Redonner du sens au DMP

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Le DMP est mort, vive le DMP ! Faut-il y voir la continuité d’une façon de penser qui a montré son inefficacité pour des coûts extravagants, ou la nécessité qu’il y a de le penser autrement.

Philippe Ameline dans « Le DMP est mort… vive quoi ? » (1) évoque la nécessité de redonner du sens au DMP. Et par conséquent de le repenser de fond en comble en commençant par son nom.  Le terme de « Dossier Médical Partagé » ne nous a t-il pas en effet aveuglé et fait partir dans une mauvaise direction ? Essai de réflexion.

Petit résumé historique

  • Historiquement, la première rupture majeure avec une vision paternaliste de la médecine a été  à la Loi Kouchner de Mars 2002 qui a rendu -enfin !- le patient propriétaire de son dossier et donc de son histoire. Dans le même temps cette loi l’a fait passer de patient à usager. Cette avancée majeure venue en plein essor d’internet a introduit la notion de partage, puisque le médecin n’est plus, de par la Loi, le seul à disposer ces données que contient son dossier.
  • Deux ans après, la Loi du 13 Août 2004 a introduit la notion de responsabilité partagée entre tous les acteurs de santé pour maîtriser la machine folle du déficit de l »Assurance maladie. Partage encore, mais responsabilité aussi. Là encore, internet a donné une dimension supplémentaire à ce partage et à cette responsabilité en les inscrivant dans la réalité du dossier médical. En effet, pour maîtriser les coûts, il faut optimiser les parcours de soin. De ce jour, le Dossier Médical est devenu on-line et partagé. Il était prévu dans les textes que ce DMP verrait le jour en 2007. Un flou a persisté un moment sur le sens du « P » : serait-il personnel ou partagé ? C’est ce dernier terme qui est resté. Force est de constater que cette idée simple -et sans doute simpliste- du DMP n’a pu voir le jour qu’au prix de tiraillement et de contorsions qui ont complexifié sa mise en œuvre au point de le rendre inopérant.
  • Six ans après, la Loi HPST voyait le jour, plus centrée sur la problématique de l’accès aux soins, mais pourvue de deux décrets, l’un sur l’automédication, l’autre sur la télémédecine. Plus grande autonomie du patient pour le premier, dans le sens d’une meilleure responsabilisation, début de dématérialisation de la relation médecin-patient pour le second. Le DMP n’est alors plus au centre des préoccupations et sa naissance se fait au forceps, après que la Cour des Comptes ait épinglé son coût faramineux. A ce jour, le nombre de dossiers ouverts est ridicule comparé aux 2 millions de dossiers du DP (Dossier Pharmaceutique), et force est de constater que personne ne l’utilise. Les erreurs du passé (le carnet de santé pour tous créé vers la fin des années 90) n’ont visiblement servi à rien.
  • A ce jour, le DMP de l’avis général est un « Dossier Mal Pensé ». Se pose la question, non pas de son utilité qui est certaine, et par laquelle passe obligatoirement le modèle économique de la santé, mais de son sens. Que veut dire à l’heure de la santé 2.0, et de la prochaine santé 3.0, cette entité que nous appelons DMP ? Et la première des choses, comme le dit Philippe Ameline,  n’est-elle pas de lui redonner un nom qui ait du sens ?

Tout à fait d’accord avec cette idée ; le seul moyen de sauver le soldat DMP, est de lui redonner un sens, et donc un autre nom.

Sémantique du DMP

  • Dossier : est-ce seulement un dossier, c’est à dire un lieu de stockage ? Ou bien cela ne va t-il pas au delà ?
    • Puisqu’il doit être utilisé par les médecins pour optimiser le parcours de soins, il ne s’agit pas d’un simple lieu de stockage. Ne peut-on pas parler plutôt  d’outil intelligent pour donner des points de repère et évoquer des stratégies ?  Auquel cas il ne s’agit pas d’un dossier mais d’un « système » ou d’une « application » ou d’un « outil ». Si cet outil était une personne, on parlerait d’un « témoin » ou d’un « conseiller ».
    • Ce dossier est dématérialisé, donc virtuel. Un terme très approximatif pourrait donc être « conseiller virtuel » par exemple.
  • Médical : ce terme est-il adapté ? N’est-il pas trop restrictif ?
    • Cela fait longtemps que la médecine n’est plus limitée au diagnostic et au traitement : elle est devenue préventive et a l’ambition de devenir prédictive. Elle déborde donc le cadre de la maladie et pénètre dans celui de la bonne santé. Médical est donc trop restrictif.
    • Rester en bonne santé est une ambition partagée par tous comme une aspiration essentielle de la société. Au terme de médical, ne faut-il pas substituer la notion de « santé »
  • Partagé : Ce partage, s’il est un souhait, n’est-il pas dans les faits une illusion ? Comment en effet peut-on parler de partage, lorsque celui qui en est le titulaire et le propriétaire n’y a pas accès pour le remplir ?
    • Il y a là un contresens profond. Si le patient est propriétaire de son histoire, et donc de sa vie, il doit pouvoir y avoir accès et le remplir. Le partage passe donc par cette idée iconoclaste.
    • Et pour le remplir, il faut disposer d’un savoir que seul détient le médecin. Mais on a vu, dans les faits encore, que le médecin n’a pas le temps de le remplir. Il n’est par ailleurs pas rémunéré pour cela quand ont voit la somme ridicule prévue pour le payer au titre du Paiement à la Performance prévu dans la convention récemment signée par certains syndicats médicaux. Qui peut donc prendre le temps de le remplir, si ce n’est le patient lui-même ?
    • Mais dans cette hypothèse, le patient ne dispose pas du savoir suffisant pour le faire. Ne serait-ce pas alors au dossier lui-même, en tant qu’ »acteur intelligent » à le faire ? On voit donc que si cette solution technique était possible, le terme de » partage » aurait enfin du sens.
    • Le médecin venu en aval de ces informations n’aurait plus qu’à les valider -ce qui lui prendrait un temps moindre-, donnant ainsi au mot  » partage » toute sa dimension médicale.

Au total, les éléments que l’on peut retenir pour que le DMP ait du sens pourraient être :

  • Conseiller Virtuel Intelligent
  • pour une Information Santé
  • Partagée

L’acronyme est certes moins flatteur que DMP ; il peut sembler hors de portée technique car le Conseiller Virtuel Intelligent a de quoi faire peur ; et la possibilité donnée au patient d’être un acteur effectif du partage de l’information a de quoi faire hausser les épaules à de nombreux médecins. Le sens que l’on pourrait donner à ce nouveau nom est-il bien celui recherché ?

Le sens du concept de DMP

Dans l’idéal, le dossier devrait comporter :

  • une information concernant l’ensemble des données de santé du patient
  • horodatée permettant un suivi du parcours de soins
  • validée par les différents professionnels de santé
  • rapidement accessible pour chaque professionnel de santé
  • ne nécessitant pas de double saisie par rapport à son outil métier
  • comportant toutes les données médicales datées (observations, résultats de biologie, d’imagerie et de compte rendus d’examens)
  • et que le patient puisse s’approprier pour y mettre les éléments de santé qui le concernent.

Ce dossier virtuel a t-il un sens, alors qu’il n’est qu’une utopie dans la vie réelle ?

En effet dans le monde réel :

  • L’exercice médical de chaque professionnel de santé est compatible avec une vision parcellaire du patient.
  • Le patient ne dispose jamais de l’intégralité de son dossier médical qui est éparpillé entre les différents spécialistes
  • Le parcours de soin n’a aucune réalité tangible dans les faits
  • L’interopérabilité des outils métiers des différents professionnels de santé reste une vue de l’esprit

Le réel demande donc au virtuel d’avoir une intelligence capable de résoudre sa problématique.

Ce qui veut dire que le virtuel pour avoir du sens doit impérativement coller au réel, donc à la complexité. Pour rendre compte de la complexité en terme d’informatique, il faut commencer par définir une ontologie. Sans ontologie, horodatage et géolocalisation, aucune donnée n’a de sens.

Les moyens pour donner du sens

  • La première des actions à mener est de définir une ontologie en partant des ontologies classique (CIM 10 par exemple), et de rebâtir une ontologie accessible (aucun médecin au monde ne peut prétendre connaître ou avoir accès à la connaissance sur le 17.884 entrées de la CIM 10).
  • La seconde est de partir du langage du patient et de le répertorier (on peut estimer à 20.000 mots et expressions existantes)
  • La troisième est de faire correspondre l’expression de son savoir avec cette ontologie médicale accessible.

Quand ces conditions seront réunies :

  • le système intelligent sera en mesure de comprendre ces données entrées par le patient et de les mettre automatiquement dans les cases appropriées. Ce qui créera un contenu texte médical hiérarchisé et international.
  • Les outils métiers n’auront plus qu’à intégrer les glossaires qui seront forcément DMP compatibles, et par conséquent interopérables.
  • Et le médecin, face à son patient  n’aura plus qu’à amender le texte en modifiant les données si nécessaire.

On disposera alors d’un DMP 3.0. : des données partagées et interopérables entrées par les différents acteurs réels grâce à une machine intelligente. Donc un concept 3.0.

Ce n’est que du travail, et cela coutera dix fois moins que les 177 millions d’Euros qui ont été consommés par le DMP jusqu’à ce jour.

 

 

(1) Blog Odyssée 3 Novembre 2012

 

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2 Réponses à “Redonner du sens au DMP”

  1. Anonyme dit :

    Bonjour,
    Vous decrivez en partie un systeme et process sur lequel nous travaillons et qui aurait pu etre mis en oeuvre depuis longtemps …

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