Vers une vision parcellaire du patient

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Peut-on convenablement soigner son patient si on ne connait pas tout de lui au travers d’un dossier bien renseigné ?

Ce débat a beaucoup agité la communauté médicale lors de la création du DMP. A tel point que devant la difficulté à répondre à cette question, celui-ci a mis des années à voir le jour. Question que l’on pourrait poser à l’envers :  existe t-il un seul médecin qui pourrait prétendre tout connaître de son patient ?

Mieu vaut enfoncer le clou tout de suite : aucun médecin ne peut prétendre avoir une vision totale du patient qu’il soigne. Il restera toujours des zones qui lui resteront inaccessibles.

Cela l’empêche t-il de soigner ? Posée de façon moins abrupte, une vision incomplète, voire parcellaire du patient est-elle compatible avec un médecine de qualité ? Si l’on considère que les patients ont globalement bénéficié par le passé d’une médecine de qualité, on peut répondre oui à cette question. 

Les raisons de cette vision parcellaire sont nombreuses. Elles tiennent tout autant au patient, qu’au médecin et qu’au cadre même de leur relation.

Les raisons dues au patient

  •  Dans l’expression même de sa plainte, le patient ne dit pas tout, et il a ses raisons : sujet trop intime, ou génant ou encore que le patient estime que ce médecin-là n’a pas à savoir.
  • Le patient tient parfois à ce que certaines informations liés à son histoire demeurent secrètes, même face au médecin qui le suit. Dans une petite ville, et même si le secret médical est respecté, beaucoup de choses finissent par transpirer que le patient ne souhaite pas voir s’ébruiter.
  • Le patient ne dit parfois pas tout à son médecin, car il estime que cette information ne lui serait en rien utile. A tort ou à raison, il peut penser par exemple, qu’il n’est pas nécessaire que le dermatologue qui le suit pour un eczéma ne soit pas au courant du stent que le cardiologie lui a posé, et vice versa.
  • Parfois ces non-dits  sont salutaires, car ils peuvent contribuer à préserver la qualité de la relation médecin-patient. Certains patients, afin de conserver une bonne relation avec leur médecin, ne lui avouent pas que son traitement n’a pas marché, ou que finalement son diagnostic n’était pas le bon. Il s’ensuit forcément une perte d’information pour le médecin.
  • Et quand il s’agit de confier ses données à un dossier électronique dont il ne sait finalement pas très bien ce qui va en être fait, le patient a toutes les raisons de ne pas tout dire.

Toutes ces raisons sont recevables car elles sont inhérentes à sa liberté ou à la conception qu’il se fait de la distribution de l’information qui lme concerne.C’est pour cela que dans le DMP, le patient a la possibilité de masquer certaines informations. Et afin que le secret reste total, le patient peut masquer le fait qu’il a masqué des informations. Ce « masquage du masquage » a offusqué de nombreux médecins qui y voyaient un obstacle à un exercice optimal de leur métier.  Cet argument ne tient pas, car toute information médicale sur le patient est de toute façon mitée par de nombreuses zones d’incertitudes, ne serait-ce déjà parce qu’il ne dit pas tout à son médecin.

Les raisons dues au médecin

  •  En raison de sa volonté de spécialisation, le médecin s’exclue lui-même d’une part de l’accès à l’information donnée par le patient, soit parce qu’il estime que cela ne concerne pas sa spécialité, soit parce que les informations sont trop éloignée de son domaine de compétence et qu’elle ne font pas sens pour lui, soit encore parce qu’elles ne lui servent à rien pour soigner son patient. Avant les années 60, le médecin de famille était au courant de pratiquement tout ce qui concernait son patient car il était le seul interlocuteur. C’est désormais impossible.
  • Le médecin ne peut pas tout connaître de son patient, parce que certaines données lui échappent. Ainsi la lecture d’un scanner ou d’une échographie ont beaucoup moins d’intérêt que la lecture du compte rendu, et surtout des conclusions du radiologue ou de l’échographiste.

Les raisons dues au cadre de la relation

  • L’hôpital créé lui-même sa zone de méconnaissance. En raison de sa spécialisation, et à part le cas très particulier de la médecine interne, un médecin hospitalier ne connait souvent pas l’ensemble de la problématique de son patient, il ne sait rien de son cadre de vie qu’il ignore totalement. De nombreux médecins  hospitaliers n’iront jamais de leur vie au domicile d’un patient.
  • Il en est de même du médecin généraliste s’il ne fait pas de visites à domicile. Le  cadre de vie, les livres lus par le patient, les tableaux accrochés au mur, la façon dont la maison est organisée, l’environnement, les personnes qui y vivent, sont riches d’informations très importantes qui peuvent lui échapper s’il ne voit pas le patient chez lui.
  • Le médecin urgentiste qui se rend au domicile du patient  possède ces informations sur la vie intime du patient. Mais le plus souvent il ne dispose que de très peu d’éléments médicaux car le patient ne conserve généralement pas chez lui les éléments de son dossier que possèdent le médecin hospitalier ou le médecin généraliste.
  • Le médecin du travail lui, connait des choses qu’aucun médecin autre que lui ne connait : le lieu de travail, les rapports professionnels, la vie de l’entreprise où la personne passe près du quart de son existence. Mais le reste qui ne concerne pas la vie professionnelle, il y a de fortes probabilités qu’il l’ignore.

On pourrait multiplier à l’envi les zones d’ombre que génèrent différents modes d’exercice.  Chacun d’entre eux entraîne une méconnaissance de la vie du patient et donc une moindre compréhension de ses maladies ou du contexte où elles s’expriment. Cela n’a pourtant jamais empêché les médecins de soigner leur patient avec efficience. Exiger tout savoir du patient est donc une requête de l’ordre du fantasme. Le seul médecin le plus à même de le faire est le médecin traitant. Mais il ne peut suivre son patient partout et à toute heure du jour et de la nuit. On peut même penser qu’exiger une transparence totale de la part du patient reviendrait à empiéter de façon inacceptable sur son espace de liberté. La connaissance que le médecin a de son patient est donc parcellaire par nature.

Les conséquences sur le DMP

L’enseignement qu’on peut en tirer est :

  • qu’un dossier médical partagé doit respecter ce secret voulu par le patient. Et que cette volonté de secret ne remet pas en cause son intérêt médical. 
  • qu’un dossier médical même parcellaire conserve une certaine valeur informative même s’il est incomplet.
  • que des données mêmes incomplètes n’empêchent pas de soigner.
  • que le soin n’est pas une science exacte et peut reposer avec efficience sur des données très parcellaires.

La question que l’on peut se poser en revanche est de savoir si on peut soigner avec efficience un patient avec des données fausses ou du moins inexactes. Cela renvoie à la question : « peut-on soigner avec efficience un patient qui ne dit pas tout ?  »

On peut penser malgré tout que la réponse est oui dans une certaine mesure, puisque c’est l’une des règles inhérente à la relation médecin-patient, le droit du patient de dire et de ne pas dire. Les éléments d’un dossier sont parconséquent fondés sur du déclaratif et donc sujets à caution. A partir de là, les données contenues dans un dossier sont :

  • soit non consolidées par un médecin, et donc d’emblée sujettes à caution
  • soit consolidées par un médecin, et donc a priori recevables. Mais il faut là encore mettre un bémol :
    • soit la donnée est un fait non interprété (un résultat chiffré d’un examen par exemple), et la seule chose que l’on pourra remettre en cause, c’est la fiabilité des mesures elles-mêmes.
    • soit la donnée est une interprétation (compte rendu radiologique) et on doit en toute logique considérer qu’elle est médecin-dépendante, donc avec un degré de fiabilité variable qu’il est important de garder en mémoire.

On voit donc bien que même avec un dossier parfaitement renseigné, la vision du patient demeure parcellaire, et potentiellement inexacte.

Cela doit-il empêcher les médecins de soigner et les patients de leur confier leurs maux ?

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4 Réponses à “Vers une vision parcellaire du patient”

  1. Anonyme dit :

    bonjour, je suis conjoint collaborateur d’un médecin de campagne et je gère son informatique. Je vois arriver des copies de dossiers informatiques « empilés ». C’est à dire qu’effectivement tout y est mais rien n’est exploitable par mon mari. Mon inquiétude sur le DMP est triple :

    * un dossier où tout soit en vrac et que personne de fait ne consultera ni ne se souciera du suivi : « je l’ai mis dans le DMP…  » . Quel sera le volume d’un dossier de patient « lourd », comment retrouver l’analyse intéressante au milieu du fatras.

    * Tout un chacun parle de confidentialité et de possibilité par les urgentistes d’entrer par effraction dans les dossiers. Le code d’effraction sera donc à priori scotché sur les écrans d’ordinateurs du centre de régulation, donc à terme accessibles aux assureurs par exemple.

    * Les professionnels de santé non-médecin sont souvent très intéressés par les pathologies des patients. Je me souviens personnellement d’un opticien voulant obstinément savoir pourquoi j’étais en ALD à qui j’ai non moins obstinément refusé de révéler que j’avais un cancer. Comment et surtout QUI hiérarchisera l’information ? Je conçois l’intérêt d’un dentiste sur sérologie HIV mais pas celle d’un opticien pour une FIV.

    Ceci dit j’ai demandé un devis à Hello Doc pour le DMP…

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