La relation médecin patient : une négociation perpétuelle

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De la plainte à la guérison, le parcours du patient face au médecin est complexe. Mais pour le médecin c’est aussi vrai : tout doit se négocier !

Le terme de négociation peut sembler choquant lorsqu’on parle de relation médecin-patient, censée être fondée sur la confiance réciproque. C’est pourtant une réalité qui explique bien les avatars de ce couple turbulent que sont le patient et son médecin, et d’une manière plus générale le monde des patients et le monde médical. Jugez plutôt !

La plainte

Quel que soit le lieu, le type de médecine, la pathologie, et les enjeux, un principe est immuable : pour qu’il y ait un médecin, il faut d’abord qu’il y ait un patient. Ce dernier sera toujours en amont du médecin, lequel sera toujours en aval, en réponse à une demande. Cette demande porte un nom : la plainte, (l’expression de ce dont souffre le patient). C’est grâce à la plainte que le patient exprime son mal-être, sa souffrance, et qu’il espère être entendu pour être soulagé.

Le symptôme

De son côté, il faut avouer que le médecin accueille la plainte avec une oreille qui n’est pas forcément celle que le patient attend. En effet, le premier souci du médecin est de transformer cette plainte en un symptôme. Par exemple, si le patient se plaint d’un mal de tête, le médecin examinera cette douleur d’un œil critique (mais bienveillant heureusement, du moins peut-on le souhaiter !), afin de la transformer en un concept utilisable : la céphalée. Cette opération n’est pas que sémantique, elle est le moyen pour le médecin de définir le périmètre de cette plainte afin qu’elle ait un sens pour lui, et afin que tous les médecins puissent communiquer entre eux autour de ce concept et bien parler de la même chose. Ce travail d’analyse peut être mal vécu par le patient qui peut ressentir dans les questions du médecin une remise en cause de sa plainte. C’est la première négociation : s’entendre sur la plainte et définir le symptôme. Cette négociation ne se fait pas sans heurts et sans difficultés, car il y a ce que le patient dit, et ce qu’il ne dit pas. On ne dit pas tout au médecin, ce droit est légitime pour le patient et fait partie du jeu, mais il rend le travail d’analyse délicat et c’est tout le talent du médecin de savoir deviner ce qui se cache dans la tête du patient, voire susciter sa confidence. Il existe au moins 7 raisons pour lesquelles on ne dit pas tout au médecin.

La même problématique se pose au médecin : il y a ce qu’il dit pour aider le patient à « accoucher » de sa plainte (ce qu’on appelle la maïeutique »), et ce qu’il ne dit pas pour des raisons tout aussi légitimes. Il existe au moins 7 raisons de non dit du médecin. La somme de ces non dits réciproque rend la négociation parfois difficile, et peut parfois se solder par une incompréhension mutuelle. Le patient peut avoir au final l’impression diffuse de ne pas avoir été compris ou écouté , et le médecin que son autorité, voire sa compétence est remise en question. La double blessure narcissique due à ce conflit non résolu est souvent le ferment de la discorde qui peut s’ensuivre.

Cette notion du dit et du non dit a une importance considérable en médecine, comme le résume le Dr Sauveur Ferrara, psychiatre :  » certains non-dits ont une utilité stratégique pour chaque sujet qu’il convient de respecter quand ils servent les intérêts psycho-dynamiques du patient. Dans tous les cas il convient pour le soignant mais aussi pour le sujet de tenter de ne rien en ignorer ? Parfois ce non dit produit des effets ravageurs sur la chaîne des soins.

Le diagnostic

Une fois la négociation effectuée autour de la plainte et l’isolement des symptômes effectué, le médecin va les associer dans sa tête pour aboutir à un diagnostic qui passe par plusieurs stades : d’abord la suspicion diagnostique qu’il doit ensuite transformer en hypothèses diagnostiques, puis en établissement du diagnostic. Il utilise pour cela plusieurs outils : d’abord l’enquête, appelée aussi anamnèse (en gros : « racontez moi ce qui s’est passé ? ») qui est un interrogatoire que certains médecins d’un autre siècle veulent « policier » et qui permet de recueillir ce qu’on appelle des « signes fonctionnels » ; ensuite l’examen clinique, temps essentiel, malheureusement de plus en plus bâclé par les médecins, qui va recueillir des « signes physiques » ; et enfin les [examens complémentaires] qui sont dorénavant le vrai temps du diagnostic, aucun médecin ne se risquant à poser un diagnostic sur les seuls éléments de l’examen clinique et de l’interrogatoire. Et là encore il va y avoir négociation : autour de l’interrogatoire (« vous êtes sûr(e) que ça s’est passé comme ça ? demande le médecin»), de l’examen clinique (« C’est nécessaire ce toucher rectal ? demande le malade inquiet ») et des examens (« Allons, allons ! fait le médecin, il ne s’agit que d’une simple prise de sang ! »).

Le but du médecin est d’obtenir, si possible, un diagnostic. Le diagnostic est la pierre angulaire de la relation. L’absence de diagnostic porté met autant le médecin que le patient mal à l’aise, le premier parce qu’il a l’impression de ne pas avoir joué le rôle que lui fait jouer la société, et le second parce qu’il met en doute les compétence de son médecin. Lorsque le diagnostic est porté par le médecin, la négociation est nécessaire, le médecin devant justifier son diagnostic. Or bien souvent, et de plus en plus, le patient vient avec des diagnostics clef en mains, obtenu le plus souvent sur internet, ce qui a pour effet de mettre le médecin de mauvaise humeur.

Le traitement

Le résultat de cette négociation est essentiel, car c’est à partir de là que le [traitement] sera mis en place et plus ou moins bien suivi. Meilleure aura été l’adhésion du patient au traitement, meilleure sera l’observance, et plus fort sera l’effet placebo. Plus le médecin met sa force de conviction dans la balance, plus il a de chances de soulager son patient, mais plus cuisant sera son échec s’il s’est trompé. La conséquence est parfois un engagement plus ou moins timide du médecin pour échapper à cet effet pervers en cas d’échec, ce qui diminue ses chances de réussir la négociation. Pour résumer par une image : moins on investit dans un relation, moins elle a de chances de porter ses fruits, mais moins elle a de risque de faire souffrir en cas d’échec.

Le résultat

L’objectif final est le [résultat] du traitement qui est destiné guérir le patient ou du moins le soulager. Pour cela, un suivi est mis en place par le médecin, avec un bilan régulier de la situation. Le but est bien entendu la guérison, mais il se peut que ce ne soit pas le cas : le patient n’est pas soulagé et reviendra voir son médecin avec la même plainte, ou une plainte qui s’est transformée. Ce « statu quo » a pour conséquence une ou plusieurs nouvelles consultations autour du même problème. A la longue, si le patient n’est pas satisfait, la relation peut se dégrader et aboutir à un conflit plus ou moins violent et revendicatif de la part du patient, ou à un abandon pur et simple du médecin par le patient qui repart avec sa plainte. Un nouveau cycle va recommencer pour lui, plus ou moins long avec un parcours plus ou moins cahotique entre les différents médecins et médecines qu’il va approcher.

Les 7 raisons du non dit du patient.

Le non dit se cache dans le fait que le patient ne réponde pas aux questions posées par le médecin ou qu’il ne pose ps des questions essentielles :

  • La question est d’ordre sexuel ou touche la sexualité de près ou de loin
  • La question n’est pas posée car cela paraîtrait idiot ou incongru face au médecin
  • La question ne concerne pas la sexualité mais le sujet est suffisamment intime ou gênant pour qu’on n’ose pas la poser
  • La question a été posée souvent, mais comme on n’a jamais obtenu de réponse, on finit par ne plus la poser
  • On ne pose pas la question, car si on la posait, cela reviendrait à montrer au médecin qu’on doute de son avis ou de son traitement
  • On ne pose pas la question, car on a peur de ce que le médecin va dire
  • La question pose un problème moral, éthique ou autre qui fait qu’on ne la pose pas de peur de se déconsidérer ou de ternir son image auprès du médecin

Les 7 raisons du non dit du médecin

Là encore, il s’agit, soit de questions qui ne sont pas posées au patient par le médecin, soit d’informations que le médecin ne révèle ps au patient. :

  • Le médecin ne pose pas la question car elle pourrait être intime ou gênante pour le patient
  • Le médecin protège son patient de la « cruelle vérité »
  • Le médecin se protège des révélations qui pourraient l’atteindre ou le blesser
  • Le médecin ne pose pas la question car elle risquerait de fragiliser la relation qu’il a avec son patient
  • Le médecin a posé tant de fois la question sans obtenir de réponse qu’il ne s’expose pas à la poser de nouveau
  • Le médecin élude une question, car la poser montrerait au patient que celui-ci en connait plus que lui sur le sujet (connaissance du patient recueillie sur internet).
  • Le médecin élude les questions qui pourraient révéler son incompétence ou sa méconnaissance

 


 

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1 reponse à “La relation médecin patient : une négociation perpétuelle”

  1. Anonyme dit :

    J’ai tout lu docteur et tu me blufferas toujours !
    Comment créer une dynamique positive autour de toutes ces informations ou prises de position ?
    Amitiés
    Michel

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