Le diagnostic : étape magique de la raison

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Le diagnostic est un mot magique, car il confère au médecin un pouvoir auquel le patient est suspendu.

Etablir un diagnostic est une étape obligatoire et quasi rituelle dans la relation entre le patient et son médecin. Autant pour le médecin il s’agit d’une sorte de jeu intellectuel dont le but est de découvrir la cause de la plainte, autant pour le patient il s’agit d’une quête inquiétante et parfois douloureuse.

Previously on ZeBlogSanté : La plainte n’est pas le symptôme ! La plainte du patient ne retentit pas de la même façon aux oreilles du médecin qui en a besoin pour établir son diagnostic, de la société qui raisonne en termes économiques, normatifs et culturels, et du patient lui-même qui au-delà de sa souffrance tente de faire passer des messages au monde qui l’entoure. C’est pourtant bien la qualité de l’écoute de la plainte par le patient qui permettra d’isoler les symptômes qui sont le substrat essentiel du diagnostic.

L’intrusion du diagnostic dans la vie quotidienne

On peut imager la survenue de la maladie dans la vie courante comme celle d’un iceberg qui surgit sous l’onde tranquille de la vie courante, que vous pourrez visualiser dans le schéma ci dessous :  »la maladie, un iceberg menaçant« .

 

Au départ tout va bien, ou du moins du mieux possible. On peut dire que globalement la personne s’estime en bonne santé. Surviennent alors les premiers signes de quelque chose que le patient estime être une maladie qu’il va exprimer par une plainte. C’est, au milieu de ce fleuve tranquille, l’émergence de la maladie qui pointe comme un iceberg chargé de menaces, la plainte en étant la partie émergée. En effet, au dessous se trouve la partie immergée, la pathologie responsable des troubles, et dont le médecin est le pilote chargé de le faire descendre à nouveau dans les profondeurs pour restaurer la bonne santé initiale.

Cette partie émergée, plonge le patient dans l’univers de la maladie au sein duquel il va nouer avec le médecin une relation. Cette relation, dont le but commun est la guérison de la maladie et le retour à la bonne santé, n’est pas vécue par le médecin et le patient de la même façon, et bien que suivant un schéma très stéréotypé, ne répond pas pour le médecin et le patient aux mêmes enjeux : l’enjeu immédiat pour le patient est d’être soulagé, rassuré, guéri, alors que l’enjeu immédiat du médecin est de faire un diagnostic, le soulagement et la guérison du patient étant un enjeu secondaire, même s’il est important. Ce détour par la case diagnostic fait que les chemins ne sont pas similaires, même si le point d’arrivée est commun. C’est le [schéma de la relation médecin-patient], au milieu duquel la recherche du diagnostic constitue un passage obligé, tant pour le médecin et le patient, que pour la société représentée par les Pouvoirs Publics et les Assurances. Le diagnostic est une étape essentielle, raisonnable et magique à la fois, reposant sur une histoire et sur un rituel.

Brève histoire du diagnostic

Le terme diagnostic est issu du grec diagnosis : de gnosis (connaissance, discernement, identification) et de dia (à travers). Le mot diagnostic (sous entendu de la maladie) signifie donc identification de la maladie au travers des signes qui la manifestent.

La notion de diagnostic s’est beaucoup modifiée depuis Hippocrate et elle varie selon les cultures. L’histoire de la médecine, malheureusement peu ou pas enseignée à la Fac, montre à quel point la structure des sociétés et la conception qu’en ont eu les philosophes ont modulé la conception que les médecins se sont fait de la vie et de la mort. Ainsi le diagnostic en médecine chinoise établira par exemple un « vide de yang sur le méridien Tsou-Tae-Yang ». Les Grecs faisaient appel à la théorie des humeurs qui a prévalu pendant de nombreux siècles. Le sang  est produit par le foie et reçu par le cœur, ce qui détermine un caractère sanguin,chaleureux, la pituite ou lymphe est rattachée au cerveau et donne le caractère lymphatique, etc. Ces notions évoluèrent avec le temps, et la médecine de Molière stigmatise avec humour cette notion par le célèbre « le poumon vous dis-je ! ». Alors que 300 ans avant JC, la notion de physiopathologie avait été pressentie par les médecins d’Alexandrie, il fallut attendre le XIXème siècle, bien après le siècle des lumières et  l’expérimentation scientifique pour aboutir avec Claude Bernard à la notion de physiopathologie qui est le fondement de la médecine moderne.

Depuis Claude Bernard, la notion de diagnostic a considérablement évolué : avant les années 60, un médecin pouvait poser un diagnostic d’appendicite sur les seuls éléments de présomption cliniques (interrogatoire, examen clinique et quelques examens simples). C’est l’heure de gloire des cliniciens, où le flair, l’intuition et la déduction prennent une part fondamentale pour l’obtention du diagnostic. A partir des années 60, date de la première greffe rénale, les techniques ont considérablement évolué. On ne se risque plus à faire un diagnostic sans examens complémentaires, et le médecin avec ses seules mains ne fait plus (sauf dans un nombre restreint de pathologies) de diagnostic : il a une « suspicion diagnostique » qu’il faudra étayer par des examens de preuve indirecte. Enfin depuis les années 90, la suspicion n’est plus suffisante : on établit des protocoles normalisés d’investigation, et grâce à des examens de preuve directe fondées sur l’imagerie, on envisagera le diagnostic.

Le rituel du diagnostic

Le rituel du diagnostic se fait en trois étapes incontournables, auquel le médecin comme le patient sacrifient.

  • La première est l’anamnèse, c’est-à-dire grâce à l’interrogatoire du patient, le recueil des symptômes et l’établissement de « l’histoire de la maladie ». Ces symptômes validés par le médecin portent le nom de « signes fonctionnels ».
  • La deuxième étape est l’examen clinique qui consiste avec des moyens simples (auscultation, palpation, quelques appareils) effectués avec très peu de matériel, de recueillir des « signes physiques ».
  • La troisième est la demande d’examens complémentaires et leur interprétation en confrontation avec les données de l’anamnèse et de l’examen physique.

Au terme de ces trois étapes, le diagnostic ou les hypothèses diagnostiques sont portées.

L’anamnèse

C’est l’étape la plus importante de la recherche du diagnostic, et ceci pour plusieurs raisons :

  • D’abord c’est le moment de la prise de contact, le moment où le patient et le médecin (surtout lorsque c’est la première consultation) se jaugent, s’évaluent, s’apprécient avec des questionnements différents. Pour le patient, il y le besoin d’exprimer sa plainte, de s’en décharger et par là même de la recherche d’un apaisement par la simple écoute du médecin ; mais il a aussi l’interrogation sur la valeur médicale et professionnelle du médecin, sa capacité potentielle à trouver le diagnostic et à guérir la maladie ou le soulager le trouble. Pour le médecin c’est le moment où il va essayer de comprendre qui est cette personne qu’il a devant lui, ce qu’elle dit et ce qu’elle ne dit pas, et quelle est la réalité de ses symptômes.
  • C’est aussi le moment crucial où le médecin va recueillir l’histoire de la maladie, quand elle a débuté, dans quel contexte, sur quel terrain, après quels antécédents personnels et familiaux, quelles sont les caractéristiques des symptômes. Pour cela il va poser des questions, laissant le patient s’exprimer plus ou moins longtemps. Certains médecins sont directifs traquant le diagnostic comme un chien policier, laissant peu de place à l’expression au risque de fristrer le patient comme ces vins dont on ne laisse pas le temps de libérer leurs saveurs, d’autres à l’inverse sont plus à l’écoute, recueillant les éléments sur le déclaratif du patient, avec le risque de se laisser embarquer dans des histoires digressives. Mais quel que soit leur comportement, tous ont en tête l’objectif d’associer des symptômes caractéristiques afin de poser des hypothèses diagnostiques. Durant cet interrogatoire, le patient va répondre de façon plus ou moins claire, plus ou moins honnête, et selon la compréhension qu’il a de la question. Et puis au fond de sa tête,  à chaque question posée il se demande plus ou moins consciemment pourquoi le médecin la pose, et ce qu’il recherche vraiment. C’est le moment où le médecin joue sa crédibilité face au patient, qui mesure l’intérêt que le médecin porte à son problème, la pertinence des questions qu’il pose, et donc la capacité potentielle que le médecin a de le guérir.
  • C’est à la fin de cette anamnèse que le médecin, écartant les unes après les autres les hypothèses diagnostiques va sélectionner les plus probables, orientant ainsi l’examen clinique qu’il va effectuer et les examens qu’il va réclamer.

Les enjeux de l’anamnèse sont donc considérables car ils servent de fondation à l’établissement du diagnostic, le médecin ayant le plus souvent une idée assez précise à la fin de l’interrogatoire. Mais c’est surtout à partir de cet instant que s’instaure véritablement le début de la relation, sa solidité, la confiance que le patient va acquérir et par conséquent les premières pierres de ce qui constituera l’effet placebo lors de l’instauration du traitement.

L’examen physique du patient

Si l’isolation d’un symptôme demande de l’expérience, pratiquer un examen clinique (on dit aussi examen physique) en demande plus encore, car le médecin doit être le plus possible objectif et maître de ses capacités sensorielles.

Recherche un signe physique n’est pas quantifiable aussi précisément qu’un résultat d’analyse. Un signe physique est variable d’un individu à un autre, mais surtout d’une relation médecin patient à une autre. Comment en effet interpréter les hurlements de l’enfant qui a peur du médecin, ou la réaction de l’abdomen d’un patient hyper réactif au toucher ?

Dernière évidence à souligner : certains médecins sont plus doués, plus réceptifs et meilleurs cliniciens que d’autres. La médecine reste avant tout un art dont l’un des outils est la science.

L’examen physique est un temps essentiel, car même s’il apporte une quantité somme toute assez limitée d’informations, eu égards à la nécessité qu’on a désormais de faire la preuve par les examens complémentaires, il permet au patient de se sentir pris en compte. Cette prise de possession du corps est le premier pas symbolique vers l’éradication de la maladie qui s’en est emparée.

On peut se demander la place qu’aura dans l’avenir l’examen physique dans l’établissement du diagnostic, les médecins ne faisant finalement plus confiance que dans les examens complémentaires pour poser leur diagnostic. Ce point, fondamental dans l’avenir de la médecine 3.0, sera approfondi dans le chapitre examen clinique dont on verra que les enjeux ne sont pas ceux que l’on croit.

Les examens complémentaires

Ils sont devenus les seuls garants du diagnostic, les médecins ne se fiant plus depuis longtemps à leurs seuls sens pour le poser.

Ces examens sont soit prospectifs, un peu comme le ferait un pêcheur à la traîne qui laisse son filet dériver au fil de l’eau afin de ramasser des poissons, soit à visée préventive ou prophylactique, soit à visée diagnostique étiologique (détermination de la cause) permettant de faire la preuve de la maladie et de proposer le traitement.

Il existe par conséquent chez les médecins divers comportements qu’ils adoptent au cas par cas, que l’on envisagera dans le chapitre [examens complémentaires] et qui témoignent de la façon qu’ils ont d’envisager la quête du diagnostic. Ces divers comportements éclairent d’une façon très claire l’un des aspects économiques  de la médecine moderne et montrent qu’à moins d’un changement des comportements, on aboutira soit à une faillite du système, soit à une médecine à deux ou trois vitesses, soit au pire à la conjonction des deux. L’avenir de notre système de santé passe en partie comme on le verra par la rationalisation des explorations complémentaires.

Grâce à la conjonction de l’anamnèse, de l’examen physique et des examens complémentaires, le médecin est en mesure de poser un diagnostic. Ou pas.

Le diagnostic est-il nécessaire à la décision ?

La question se pose très clairement en médecine d’urgence, où en l’absence d’examens complémentaires, le médecin ne peut poser de diagnostic précis, mais seulement un éventail de possibilités. Il lui fait pourtant prendre une décision : laisser à domicile avec un traitement ? envoyer à l’hôpital, et si oui par quels moyens ? Ou appeler directement le SAMU afin de prodiguer des soins techniques immédiats suivi d’un transport médicalisé ?

Cette décision est liée aux diagnostics potentiels, mais aussi à l’état du patient. C’est pour cela qu’a été établie la CCMU (Classiffication Commune de Médecine d’Urgence), qui permet de définir un diagnostic de gravité, qu’il ait ou non été établi un diagnostic étiologique.

La conséquence est qu’un médecin peut prendre une décision en toute certitude alors qu’il est dans l’incertitude totale quant au diagnostic. Combien de patients ai-je envoyé à l’hôpital sans savoir le moins du monde de quoi ils souffraient, mais avec la conviction éclairée que leur état nécessitait un transport et des soins immédiats ? Combien de fois aussi ai-je laissé à domicile des personnes dont je savais la gravité de l’état sans connaître le diagnostic, mais que la réalité humaine imposait de laisser chez elle, une hospitalisation ne faisant que prolonger la vie de quelques heures ou quelques jours au prix de souffrances importantes et dans un désarroi total au sein de la froideur hospitalière. Combien de fois enfin, ai-je renoncé à hospitaliser des personnes que je savais être refoulées dès le sas des urgences, le problème étant plus social que médical ? Cette réalité vécue par tous les urgentistes montre bien que la compréhension intime de l’état d’un patient, dans toute l’acceptation de son être, est plus importante que l’enfermement d’une personne dans un diagnostic.

Cela pose la question de l’humanité et de l’inhumanité de l’exercice de la médecine, face à la [judiciarisation de la médecine] et à l’introduction des [critères économiques] dans la réalité de la chaine de soins..



[1] Georges Canguilhem Le normal et le Pathologique PUF 1966

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