Examen clinique : l’enjeu n’est pas celui qu’on croit

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Apanage strict du médecin, étape obligée pour le patient. Pourtant la part que l’examen clinique prend dans la relation médecin patient se réduit comme peau de chagrin.

Laennec se retournerait sans doute dans sa tombe s’il voyait à quel point notre génération a perdu le sens clinique. Qui sait encore palper un foie, alors qu’une échographie donnera des résultats bien plus fiables ? Or l’examen clinique va bien au delà : c’est grâce à ses mains et ses outils que le médecin prend en compte la souffrance du patient, qu’il la circonscrit, et qu’il lui donne au final une légitimité.

Previously on ZeBlogSanté : Le diagnostic repose sur trois éléments : l’anamnèse (recueil des évènements qui se sont succédés), l’examen clinique et les examens complémentaires. La notion de diagnostic a considérablement évolué en une centaine d’années, en particulier grâce à la place croissante des examens complémentaires. Ce sont eux qui dans la plupart des cas font le diagnostic ou du moins en apportent la preuve. Si le diagnostic est souhaitable afin de mettre en route un traitement étiologique (traitement de la cause), il n’est pas forcément obligatoire. En effet, d’une part le médecin peut être amené à donner un traitement symptomatique (traitement des seuls symptômes), et d’autre part une décision peut être prise (hospitalisation du patient, ou explorations complémentaires, voire traitement d’épreuve) sans qu’un diagnostic ait été posé de façon formelle ou avec une certitude suffisante. Le diagnostic reste donc bien en cela « l’étape magique de la raison ».

L’examen clinique est un passage obligé dans la quête du diagnostic. Il participe de la recherche du diagnostic et apporte des éléments essentiels. Certains diagnostics peuvent être effectués sans qu’il soit besoin de pratiquer des examens complémentaires (par exemple la migraine, la grippe, la colique néphrétique, etc.). Mais pour la plupart, afin d’avoir une certitude,les diagnostics reposent sur les examens complémentaires, et sur eux seuls. Au point qu’un nombre croissant de médecins finissent par ne plus examiner leurs patients, confiant aux examens le soin de poser le diagnostic. Or le médecin reste profondément attaché à l’examen clinique. Ce paradoxe tient au fait que les enjeux ne sont pas ceux que l’on croit.

Les éléments recueillis

Un examen clinique complet doit explorer toutes les fonctions du corps, et passer de ce fait en revue tous les organes. Cette exploration pour être sérieusement effectuée nécessite au bas mot une demi-heure. Chaque portion du corps, chaque fonction, chaque organe accessible doit être examiné, à la fois avec les cinq sens du médecin, et avec les instruments dont il dispose.

Il existe 90 fonctions dans l’organisme (digestive, circulatoire, cardiaque, hépatique, parole, déglutition, grossesse, etc.), et autant d’organes (coeur, poumons, intestin grêle, thyroïde, utérus etc.), les fonctions et les organes étant reliés entre eux par des relations (par exemple : axe hypothalamo-hypophysosurrénalien, cycle entéro-hépatique, bloc coeur-poumon, etc.). La bonne santé dépend du maintien de l’harmonie que les organes entretiennent entre eux, et les fonctions entre elles. Les pathologies sont la conséquence d’un dysfonctionnement d’un ou plusieurs organes et/ou d’une ou plusieurs fonctions. Par exemple, une maladie aussi complexe que le diabète est dû au seul dysfonctionnement initial du pancréas dans sa seule fonction endocrine qui est de fabriquer de l’insuline. Cette seule dysfonction est responsable de problèmes en cascade qui vont toucher l’oeil, le coeur, les vaisseaux, les reins, etc. Le mauvais fonctionnement de chacun de ces organes va être à l’origine de manifestations ressentis par le patient qu’il va exprimer sous forme d’une plainte. Cette plainte, recueillie par le médecin va être formalisée par des symptômes encore appelés signes, qui ne sont que le témoin du dysfonctionnement des organes et donc du mauvais fonctionnement de l’organisme. La plainte est donc la partie émergée de l’iceberg, la recherche du diagnostic, donc de la pathologie, en étant la partie immergée,  comme on le voit dans le schéma [la maladie, un iceberg menaçant].

Le rôle de l’examen est donc d’inventorier le bon état des différentes fonctions du corps humain. Mais cet examen ne pouvant être à complet pour raison de temps, le médecin va, en fonction des données de l’anamnèse, limiter l’examen à l’exploration des fonctions qui lui permettront un diagnostic. En effet, s’il soupçonne une grippe, l’examen neurologique  ne lui apportera rien ; ou s’il soupçonne une gastroentérite, l’examen gynécologique ne lui sera d’aucune utilité.

Les éléments recueillis sont ce qu’on appelle des « signes physiques », c’est à dire des éléments de preuve directe ou indirecte du mauvais fonctionnement ou de l’atteinte d’un organe et/ou d’une fonction. Ces signes physiques, confrontés aux « signes fonctionnels », c’est à dire les symptômes recueillis par le médecin lors de l’écoute de la plainte du patient, vont permettre de suspecter un ou plusieurs diagnostics, dont l’établissement avec certitude nécessitera la mise en route, si nécessaire, d’examens complémentaires. C’est dire si a priori l’examen clinique est indispensable à l’établissement du diagnostic.

Les limites de l’examen clinique

  • La première limite tient au fait que les cinq sens du médecin, aidés par l’instrumentation courante (stéthoscope, otoscope, oxymètre, électrocardiogramme, tensiomètre, etc.) ne permettent d’affirmer qu’un nombre assez limité de diagnostics, lesquels nécessitent des examens complémentaires, qui eux feront le diagnostic.
  • La deuxième limite est que l’examen clinique est opérateur-dépendant : les médecins n’ont pas tous la même finesse clinique, soit parce qu’ils ne perçoivent pas les signes avec la même acuité, soit parce qu’ils ne sont pas suffisamment rompus à percevoir certains signes. L’examen neurologique ou l’examen gynécologique par exemple, requièrent des qualités qui ne peuvent s’obtenir qu’à force de répéter fréquemment les mêmes gestes. Le « sens clinique » que possèdent encore quelques vieux médecins s’est d’ailleurs érodé avec les générations, les études négligeant l’interrogatoire et l’examen clinique au profil de la prescription d’examens complémentaires.
  • La troisième limite est liée à l’évolution de la notion même de diagnostic : plus aucun médecin ne se risquerait à affirmer tel ou tel diagnostic nécessitant une intervention sans le recours aux examens complémentaires. En effet, ce qui était envisageable avant les années 60 (opérer par exemple de l’appendicite sur la seule conviction clinique) ne l’est plus de nos jours. Avant les années 60,  l’avis et l’examen du médecin étaient considérés comme un diagnostic entraînant une décision ; entre les années 60 et 90, l’avis et l’examen du médecin ne sont plus qu’une « suspicion diagnostic », le diagnostic indirect étant fait par les examens complémentaires (analyses) ; et depuis 90, l’avis et l’examen du médecin déclenchent des batteries d’examens à la recherche d’éléments de preuve directe constitués par l’imagerie médicale et l’anatomopathologie qui font le diagnostic.

On voit donc que ces limites font tomber l’examen clinique en désuétude. C’est pourtant pour d’autres raisons qui n’ont rien à voir avec le diagnostic, qui font que l’examen clinique est essentiel dans la relation médecin-patient et qui ont trait au toucher du corps.

Les vrais enjeux de l’examen clinique

  • Le premier enjeu est effectivement d’ordre diagnostic : même si l’examen clinique a une portée limité, certains diagnostics sont bel et bien portés seulement par l’examen clinique, et en aucun cas par les examens complémentaires sophistiqués (poussée tensionnelle, infarctus du myocarde, certaines pathologies respiratoires ou ORL, infections urinaires, etc.). Ce point dur qui légitime la portée de l’examen clinique est toutefois amoindri par le fait que des biocapteurs placés par des non-médecins permettent dores et déjà et permettront de plus en plus, d’effectuer dans le cadre de la télémédecine 3.0 des diagnostics à distance.
  • Le deuxième enjeu est en fait bien ailleurs : seul le médecin en tant qu’homme qui soigne un autre homme a le pouvoir de compassion que jamais n’aura la machine, même si on devait la programmer pour qu’elle délivre un discours compatissant. Il est évident que toucher l’épaule du patient, lui appliquer les mains sur le ventre, coller son visage contre le sien pour examiner ses tympans, sont des actes qui vont bien au-delà de la simple exploration diagnostique. Palper le corps du patient, c’est en prendre possession au sens symbolique, le considérer spatialement, circonscrire le champ de son action. Les patients le sentent bien qui se plaignent de ces médecins qui leur donnent des médicaments sans même les examiner. Françoise Loux [1], chargée de recherche au CNRS souligne cette nécessité du contact physique entre le soignant et le soigné dans le cadre de l’hôpital :  » [...] la dimension spatiale devrait être prise en compte : les contacts corporels, l’abolition de la distance ou au contraire la soigneuse mise en scène de la visite du patron…Toute cela prend un sens exacerbé au moment de la maladie, quand le corps, comme autrefois, devient le centre de la vie. En tenir compte ne conduit-il pas à ce que le malade se reprenne en charge, ne considère plus son corps comme un objet manipulé par les autres et en même temps affectivement abandonné ? » . Examiner le corps du patient, c’est donner au « corps imaginaire » que le patient se représente (l’idée qu’il se fait de son foie, de ses artères, de son coeur, etc.) une réalité que ce dernier jugera en quelque sorte transcendante, c’est à dire un sens supérieur qui lui échappe mais qui prend ses racines dans son corps physique, et donc en, l’occurrence dans son corps souffrant. Par exemple le lien que le patient fait entre la colique néphrétique dont il souffre et le rein qui en est la cause n’est que purement conceptuel. Lorsque le médecin met en évidence une douleur précise sur le rein en le palpant, le patient fait alors le lien entre l’organe qu’il a imaginé et le rein que le médecin a palpé. Cette réalité nouvelle, c’est le « corps médicalisé », c’est à dire la réalité du corps vu par le médecin. Ne pas examiner le corps du patient, c’est refuser de donner à ce corps imaginaire une réalité médicale, et par conséquent nier une partie de la réalité de sa souffrance.
  • Le troisième enjeu est la préparation de l’acte thérapeutique.  Celui-ci repose sur des techniques, des médicaments, des interventions, mais aussi sur le fameux [effet placebo] évalué pour 30% par le corps médical dans l’efficacité thérapeutique. La prise en compte du corps du patient participe de l’idée que le patient se fait du pouvoir que le médecin a de le guérir. Ne plus examiner les patients, revient à diminuer l’efficacité du traitement mis en place.

Le jour où cette arme décisive héritée du fond des âges qu’est l’examen clinique, ne sera plus qu’un hochet inutile, la mascarade d’une relation empathique, et la perpétuation du rituel qu’il représente, ce jour-là les ponts seront définitivement coupés avec le patient pour qui il ne restera face aux machines désincarnées, que sa seule souffrance. Cette souffrance que le médecin ne saura plus prendre en charge car il aura renoncé à tout pouvoir de compassion.


[1] Traditions et soins d’aujourd’hui. Françoise Loux. Paris. Inter Editions

 

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4 Réponses à “Examen clinique : l’enjeu n’est pas celui qu’on croit”

  1. Anonyme dit :

    Bonjour,

    Je suis entièrement d’accord, l’examen clinique a toute sa place.
    Malheureusement très peu utilisé et méconnu du système de la santé.
    Merci pour cette rafraîchissante lecture.

  2. Anonyme dit :

    Honoré Confrère Dr Loic ETIENNE,
    salut,
    Heureux d’avoir fait votre connaissance à travers ce blog sur l’examen clinique;j’en suis profondémént accroché des termes utilisés et satisfait de l’enjeu de vos explications.J’aurais souhaité continuer à collaborer avec vous plus tard.Je n’ai pas de site mais mes contacts pourront vous aider à correspondre.Je suis Médecin Congolais de la RDC ,résident en GUINEE CONAKRY.En cas de besoin voici mon contact téléphonique:(00224)622.300.957.Confraternellement. Dr Jules THASSINDA

  3. Je crois que nous ne parlons pas du même « corps ». Celui dont je parle est le corps souffrant, celui qui héberge la maladie. Ce « corps » dont vous parlez me semble être plus une projection psychique voire sexuelle de votre corps. Mais à ce corps-là, le médecin n’a aucun accès puisque ce n’est à pas celui-ci qu’il s’intéresse, mais au corps souffrant.

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