Demain, la médecine néosyndromique !

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La médecine moderne n’existe que depuis 150 ans. Elle s’est construite et organisée de façon empirique, grâce à un fourmillement d’idées et d’observations. Après les progrès fulgurants qu’elle a accompli, et à la lueur des avancées scientifiques notamment en génomique, notre conception de la maladie n’est-elle pas dépassée ?

 

 

 

Il existe actuellement 17.000 maladies connues, dont 7000 maladies rares. Un médecin quelle que soit sa spécialité en a appris environ 2000, il en voit un millier environ au cours de sa vie de médecin, et un peu plus de 500 en pratique courante dans sa spécialité. C’est la raison pour laquelle, afin de couvrir au mieux le champ des possibles, la médecine a explosé en près de 200 spécialités médicales, découpant ainsi le patient en tranches de pathologies au milieu desquelles le médecin traitant a bien du mal à se retrouver pour recoller les morceaux de son patient dans une perspective diagnostique et thérapeutique globale.

Face à cela, le patient se plaint d’un peu moins de 250 symptômes, dont les caractéristiques (intensité, localisation, durée, etc.) sont estimées à 8000 environ, ce qui fait potentiellement 2 millions de connexions nécessaires à créer dans la mémoire du médecin. On comprend que les études soient si longues, d’autant qu’à cela il faut rajouter les résultats d’examens que l’on peut estimer à environ 10.000 et qui sont le plus souvent porteurs du ou des diagnostics finaux.

A cela se rajoute la confusion qui règne entre des pathologies appelées parfois maladie et parfois syndrome.

Vous avez dit syndrome ?

  • Médicalement, un syndrome est un ensemble de signes qui ont été reliés entre eux parce que porteurs d’une signification pathologique. Par exemple, l’association maux de tête augmentés par le bruit et la lumière, nuque raide, fièvre et vomissements, évoquera dans la tête de tout médecin un syndrome méningé. Il existe ainsi environ 250 syndromes en médecine, qui portent généralement le nom de leur découvreur : syndrome de Wallenberg, de Morton, de Guillain-Barré, etc. Ce type de syndrome est souvent superposé à un nom de maladie : par exemple syndrome parkinsonnien et maladie de Parkinson, la maladie de Parkinson en l’occurrence étant l’une des formes cliniques du syndrome parkinsonnien. L’histoire de la médecine est là pour témoigner de la fantastique épopée débutée il y a 150 ans, époque où les médecins qui observaient les maladies regroupaient des symptômes dont l’association avait pour eux du sens.
  • Toutefois, d’autres syndromes se réfèrent non pas à leur découvreur mais à des processus pathologiques : syndrome méningé, pyramidal, vagal, etc. Ces syndromes ne se rattachent pas à une simple collection de symptômes disjoints évoquant une maladie possible, mais à des mécanismes physiopathologiques totalement explicables et reliés entre eux par des liens logiques.
  • Et puis il existe enfin des syndromes complexes, notamment dans le domaine des maladies rares dont le processus initial est connu et dont l’origine est généralement liée à des mutations chromosomiques et qui entraînent une cascade de désordres : soit symptômes isolés soit symptômes regroupés en… syndromes.

Nous mélangeons donc allègrement sous le nom de « syndrome » des entités totalement enchevêtrées les unes dans les autres. C’est cela qui participe de la difficulté de la médecine, notamment la médecine interne. C’est également ce qui explique la longueur des études de médecine où il faut retenir toutes ces associations de symptômes lesquels, dans l’esprit du futur médecin, n’ont pas forcément de lien logique, mais surtout un lien mnésique.

Entre mémoire et raisonnement

Lors de l’interrogatoire du patient, et à la suite de l’examen clinique, le cerveau du médecin navigue entre deux compartiments de pensée différents :

  • D’une part le comportement purement mnésique : un simple mal de tête allumera dans sa mémoire tous les diagnostics les plus immédiats de façon quasi automatique. Par le jeu des réponses qu’il obtient à ses questions de la part du patient, il élimine peu à peu les hypothèses diagnostiques pour n’en retenir que quelques-unes à partir desquelles il demandera -ou non- des examens complémentaires dont il peut espérer que ceux-ci feront le diagnostic.
  • Et d’autre part le raisonnement, c’est à dire la compréhension de l’ensemble des signes dans un processus pathologique replacé dans une perspective historique de la vie du patient et de ses antécédents. Ainsi par exemple, l’association d’un malaise, de troubles de l’équilibre avec une petite désorientation, et une pâleur du visage chez une personne ayant des facteurs de risque cardio-vasculaires lui feront évoquer un processus de diminution de la circulation du sang dans le cerveau qu’il interprètera comme un « bas débit cérébral ». C’est ce processus pathologique qui retiendra son attention et qui l’amènera à poser diverses questions pour aboutir effectivement à l’hypothèse de bas débit cérébral, lequel peut s’intégrer dans diverses pathologies, cardiaques, neurologiques ou endocriniennes.

Ce va-et-vient entre la mémorisation et le raisonnement n’est pas si évident que cela pour le médecin. De plus, l’enfermement progressif des médecins dans une spécialité médicale les prive des armes nécessaires pour envisager l’organisme du patient dans sa globalité : par exemple, un cardiologue devant une douleur thoracique ne s’intéressera pas forcément aux problèmes dermatologiques et rhumatologiques de son patient alors que l’ensemble de ces problèmes est dû à une maladie génétique rare dont le problème cardiologique n’est que l’une des expressions.

La médecine syndromique

Étonnamment, l’univers de la médecine n’est pas infini : nous avons une centaine de fonctions (digestion, respiration, circulation, etc.) où interviennent une centaine d’organes (foie, coeur, rein…), selon un ballet très précis. La digestion par exemple est parfaitement connue, depuis le moment où on ingère un aliment et le moment où il est éliminé dans les toilettes. Il en est de même de tous les principes qui gouvernent notre corps. C’est ce qu’on appelle la physiologie, qui met en jeu des organes communiquant entre eux pour accomplir une ou plusieurs fonctions bien précises. Un cerveau humain est parfaitement en mesure de mémoriser et surtout d’expliquer la totalité du fonctionnement de l’organisme. Ce devrait être le bagage minimum de tout médecin au sortir de ses études.

Tout cela est vrai, tant qu’on reste à un niveau macroscopique, car c’est dans les détails, les processus intimes que nous avons encore beaucoup de choses à apprendre : le fonctionnement des cellules, le rôle des hormones et des médiateurs chimiques, l’interaction entre notre système immunitaire et notre système nerveux, l’action de nos gènes, l’épigénétique, etc. La découverte relativement récente du microbiote intestinal (l’interaction étroite entre nos bactéries intestinales et nos organes digestifs, neurologiques et immunitaires) en est un exemple frappant. Ainsi, plus nous plongeons dans le microscopique, plus nous constatons l’étendue de notre ignorance, mais plus la recherche fondamentale nous permet de progresser et d’éclairer ces zones d’ombre.

Si ce parfait ordonnancement, déjà peu limpide au plan microscopique se met à dysfonctionner, on entre dans l’univers extrêmement complexe de la physiopathologie. Or on sait depuis Claude Bernard, que c’est bien la perturbation de la physiologie par des facteurs internes ou externes qui est à l’origine des maladies, lesquelles sont comme on l’a vu plus haut des associations… de syndromes. D’où une idée naissante qui est celle de la médecine syndromique qui est une autre façon de décrire les maladies, non pas comme des associations de symptômes mais comme des associations de syndromes.

Toutefois, cette médecine syndromique reste seulement dans le domaine mnésique. Il sera en effet plus facile de retenir les 4 ou 5 syndromes qui constituent une maladie, que les 40 symptômes ou plus qui la composent.

Si on passe donc du seul compartiment de la mémoire du médecin au compartiment du raisonnement, on passera de la même façon de la médecine syndromique à la médecine « néosyndromique » qui est une notion nouvelle. Pour fixer cette notion « néosyndromes » par une image : si on compare les maladies à des champignons qui poussent apparemment au hasard dans la forêt, et qui sont constitués d’une tige, d’un chapeau, de spores, etc., la physiopathologie constitue le réseau de mycélium, enfoui sous terre et qui leur a donné naissance. Le principe de cette idée de médecine « néosyndromique » est de ne plus s’intéresser aux champignons qui émergent du sol, mais au mycélium qui est en dessous.

Les principes de la médecine néosyndromique

Prenons un exemple simple en apparence : le nez qui coule (ce que les médecins appellent rhinorrhée), ce symptôme que par abus de langage on appelle « rhume » ou « rhinopharyngite ». C’est l’association avec les éternuements, les yeux qui piquent, le nez bouché, les ronflements, etc. qui nous fait dire que nous avons « attrapé un rhume ». Mais une rhinite allergique, ou le Covid récemment, peuvent de la même façon donner le nez qui coule avec une association plus ou moins complète des signes ci-dessus, auxquels peuvent se rajouter une kyrielle d’autres symptômes (fièvre, perte d’odorat, courbatures, mal à respirer, etc.). On entre alors à partir d’un simple symptôme dans une énorme complexité. Et c’est à partir de là que peut commencer l’errance diagnostique, ces multiples aiguillages que les médecins prennent au fur et à mesure à coup d’examens complémentaires (PCR, dosages sanguins, imagerie, etc.), et où, à force d’errer de spécialiste en spécialiste le patient désespère.

Considérer ce symptôme « nez qui coule » comme l’un des éléments constitutifs de divers néosyndromes permet de construire un raisonnement : un écoulement de nez limpide comme de l’eau provient soit des cellules qui tapissent la muqueuse nasale, soit d’un écoulement de liquide céphalorachidien en provenance des méninges (phénomène très rare). Dans le premier cas, ces cellules réagissent à une agression qui est soit un processus allergique, soit un processus infectieux viral, soit un processus infectieux bactérien, soit un processus traumatique, et peut-être demain un autre processus non encore identifié. Prenons simplement les deux premiers :

  • le processus allergique auquel on pourrait donner le nom de « syndrome rhinitique allergique », explique que l’on ait en plus les yeux rouges, des éternuements, et l’arrière nez qui démange un peu en raison de la réaction allergique dont on connait à peu près le mécanisme intime ;
  • le processus infectieux (qu’on appellera « syndrome rhinitique infectieux viral » ) explique que l’on ait, en plus du nez qui coule, de la fièvre, des maux de tête, des courbatures, de la fatigue, des frissons, etc. en raison de l’attaque virale, processus également connu.

Par ces simples regroupements, il est clair que les tableaux cliniques de ces deux syndromes ne sont absolument pas comparables puisqu’ils font appel à des processus différents, et donc… à des néosyndromes différents.

On voit à partir de ce simple exemple qu’envisager la maladie sous l’angle de l’explicabilité, donc du raisonnement, et non plus de la simple mémorisation, permet une rationalisation de la pensée médicale. Mais pour cela il va falloir peu à peu abandonner notre antique vision syndromique, et envisager une vision « néosyndromique » permettant de nommer les phénomènes non plus selon une « tradition médicale », mais selon des processus pathologiques auxquels on donne des noms qui les reflètent (*) . C’est donc une révolution de la nosographie qui se profile. Une telle démarche nous obligerait à abandonner notre confortable classification en maladies et syndromes au profit de la description de « néosyndromes » qui s’enchainent selon des cascades logiques. Notre fameux syndrome méningé, socle de description de la soixantaine de formes cliniques de méningite que nous connaissons, deviendrait l’association de deux néosyndromes qu’on pourrait appeler « syndrome d’hypertension du liquide céphalo-rachidien », et « syndrome inflammatoire des méninges », chacun de ces syndromes étant constitué de symptômes totalement explicables en termes de physiopathologie (le mycélium) et non plus en termes mnésiques (les champignons).

Combien de néosyndromes ?

Une conception néosyndromique (donc physiopathologique) de la médecine donnerait alors au médecin une vision beaucoup plus large, par la mise en relation non plus de deux millions de connexions, comme vu plus haut,  mais de l’ensemble des syndromes constitutifs de l’organisme humain. Tant que l’on n’a pas investigué sur ce type de conception, il est évidemment impossible d’envisager combien de néosyndromes seraient nécessaires pour décrire l’ensemble de la physiopathologie. Mais il est clair que ce nombre serait beaucoup moindre que ces inatteignables 2 millions de connexions logiques ou mnésiques, les êtres humains ne disposant finalement que d’une centaine d’organes qui interagissent pour réaliser une centaine de fonctions.

Comment créer un modèle de médecine néosyndromique ?

Grâce à l’informatique nous disposons de modèles d’Intelligence artificielle qui n’ont aucune limite en termes de volume ou de traitement des données. Le réseau neuronal de MedVir par exemple, actuellement à 4 couches a permis de modéliser 1200 pathologies, dont 300 maladies rares. Les études prospectives montrent qu’à horizon 5 ans, la totalité des 17.000 maladies existantes sont modélisables avec ce type de réseau neuronal. L’intérêt est que cela va permettre de rendre explicable toute les relations qui existent entre les symptômes et les maladies, notamment en termes de pondération (le poids de chaque caractéristique de chaque symptôme au sein de chaque maladie), et que dispatché sur les 18 populations humaines (nourrisson, femme enceinte, sénior, etc.) l’on peut estimer à 36 millions minimum. Ce qui est hors de portée d’un cerveau humain.

Il est clair que seul un réseau neuronal utilisant de l‘Intelligence artificielle en en mesure de mémoriser une telle somme d’interactions.

Toutefois, cette explicabilité réalisée par le réseau à 4 couches ne permet de rendre compte que de la mise en relation des symptômes avec leurs caractéristiques dans notre nosographie actuelle de 17.000 maladies. Elle ne peut en aucun cas rendre compte de la logique physiopathologique qui explique ces maladies. C’est pourquoi, parallèlement, MedVir a commencé à développer une architecture de réseau neuronal à 6 couches superposée aux 4 couches originelles, permettant de fournir une explicabilité des processus physiopathologiques et les cascades qu’ils produisent en termes de néosyndromes.

En effet, ce que nous a appris la génomique, notamment avec les Maladies rares, c’est que certains processus pathologiques sont dus à des mutations ou des maladies génétiques très ponctuelles entrainant des désordres explicables en terme de physiopathologie, et responsables de dysfonctionnements en cascade tout aussi explicables. L’introduction de la médecine néosyndromique permettra de créer, grâce à l’Intelligence Artificielle,  des liens logiques entre les mutations génétiques et les symptômes exacts dont se plaint le patient, ce qui n’est pas le cas actuellement.

C’est une simple question de travail. Mais il n’est possible que si nous acceptons de passer d’un système nosographique organisé en maladies, à un système nosographique organisé en réseau de néosyndromes.

Pour quoi faire ?

Les objectifs de cette démarche néosyndromiques sont multiples :

  • Rationnaliser la réflexion médicale en privilégiant le raisonnement sur la mémoire
  • Fournir aux systèmes d’Intelligence Artificielle une explicabilité opposable et susceptible d’incrémentation au fil des découvertes en recherche fondamentale
  • Diminuer le temps des études de médecine en fusionnant les sciences fondamentales (biochimie, physiologie, anatomie) qui constituent la première partie des études de médecine avec la deuxième partie qui saucissonne le patient en pathologies. Ainsi, la vision physiopathologique resterait au cœur de la réflexion de tout médecin, même en dehors de sa spécialité.
  • Diminuer l’errance diagnostique en couplant la réflexion médicale et la puissance de mémoire de l’intelligence artificielle. L’usage naturel de l’IA dans la médecine praticienne est une absolue nécessité.
  • Faire le lien point à point entre les processus pathologiques initiaux et la plainte exprimés par le patient au travers de l’expression de ses symptômes.
  • Ainsi, grâce à l’explicabilité issue de l’analyse des symptômes et donc de la plainte initiale, redonner à la parole du patient sa légitimité et ses lettres de noblesse au profit d’une réhumanisation de la médecine.

Il est clair que la mise en place d’une médecine néosyndromique demandera des années, non seulement en raison de l’importance du travail à réaliser de façon interdisciplinaire, mais aussi de l’inévitable résistance qui accompagne tout changement majeur de paradigme.

 

(*) Les maladies rares sont un très bon exemple de ce mouvement. Par exemple la « Maladie de Pompe » du nom de son découvreur porte en fait le nom de « Déficit en maltase acide ».

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