Le DMP 3.0
Le DMP est un Dossier Médical Partagé, devenu depuis Dossier Médical Personnalisé. Prévu depuis 2004, il a mis plus de 7 ans à voir le jour.
Outre le fait qu’on peut se demander pourquoi il a subi autant de blocages, on peut s’interroger sur sa pertinence en raison de la façon dont il est conçu. Ne faudrait-il pas l’envisager différemment ?
Le fameux DMP (Dossier Médical Partagé, devenu depuis Dossier Médical Personnalisé) prévu par la loi du 13 Août 2004, et qui devait être mis en place en 2007,a vu le jour. Des quantités non négligeables d’argent public ont été injectés dans un projet dont les fondements n’ont pas été pensés par des gens de terrains, mais par des administratifs, des politiques et des informaticiens. On peut se demander si DMP ne signifie pas en fait »Dossier Mal pensé ». Et le résultat est là : en fin 2012, le nombre de dossiers ouverts se montait à quelques dizaines de milliers seulement, et il n’est pas utilisé.
Créé bien après, le Dossier Pharmaceutique a vu le jour et ce sont pas loin de 1,5 millions de dossiers qui ont été ouverts, environ 150 fois plus ! Certes la matière n’est pas la même, les contraintes sans doute moins fortes, l’utilisation plus intuitive, et le couple patient-pharmacien plus directement intéressé à ce qu’il fonctionne.
Alors, pourquoi un tel échec, alors que le DMP est a priori une bonne idée ? La raison est simple, c’est parce que ni les patients ni les médecins n’y trouvent une utilité et/ou que l’interface est complexe et prend trop de temps. Il ne sert à rien de réécrire l’histoire, de rechercher les responsabilités, de pointer du doigt les errements et les erreurs. Il me semble plus intéressant de proposer un moyen pour que le DMP existe et surtout serve à quelque chose, car il est une nécessité à la fois en terme d’économie de santé, de sécurité pour les patients, de traçabilité, et de progrès de la science. Le but est à mon sens d’aboutir à un DMP 3.0, ce qui est loin d’être le cas, car nous n’en sommes même pas, dans les perspectives actuelles, au DMP 1.0 !
La philosophie d’un DMP
Inscrit dans l’esprit de la loi du 13 Août 2004, le DMP devait avoir plusieurs objectifs :
- Mémoriser pour chaque patient l’histoire de tous les évènements qui ont jalonné sa vie médicale
- Mémoriser les résultats de ses examens complémentaires (biologiques, électriques, anatomo-pathologiques, imagerie, etc. afin d’éviter les examens redondants, très coûteux pour l’Assurance Maladie
- Mémoriser le parcours de soins afin de limiter le nomadisme médical
- Véhiculer de façon personnalisée des notions de prévention.
Finalement rien que du positif. Et si on y réfléchit bien, c’est l’avenir.
Mais des contraintes doivent être respectées :
- La sécurisation des données qui doit être optimale contre le piratage et leur utilisation frauduleuse
- La confidentialité des données qui doivent rester la propriété du patient et ne pas servir à des tiers (assureur, employeur, etc.)
- L’accessibilité des données qui d’une part doit être partagée entre des praticiens différents, et d’autre part compréhensible pour le patient.
- Le masquage des données par le patient qui ne souhaite pas forcément que l’on sache tout de sa santé
- Le masquage du masquage des données qui permet au patient que l’on ne sache pas qu’il a masqué des données.
- L’entrée des données -ou la validation des données- par un médecin et non par le patient lui-même pour éviter les informations erronées.
Donc beaucoup de difficultés. Mais si on y réfléchit bien, le dossier papier existe depuis des lustres chez les médecins et dans les hôpitaux sans qu’on ait poussé les hauts-cris, alors même que n’importe qui muni d’une blouse blanche pouvait facilement à certaines heures en moindre personnel, aller fouiller dans le dossier d’une personne hospitalisée. Ces contraintes doivent donc être relativisées, tout en sachant que la numérisation des données entraîne la possibilité d’une diffusion immédiate.
Le corps médical a réagi parfois très négativement au DMP en mettant le doigt sur toutes les dérives possibles. Par ailleurs a été évoqué le fait qu’un médecin ne puisse pas raisonner de façon certaine sur des données erronées ou avec une connaissance parcellaire (masquage du masquage). Si la médecine était une science exacte, et le patient une machine, l’argument serait tout à fait recevable et cette réticence du corps médical compréhensible. Mais ce n’est pas le cas et il faut faire plusieurs remarques :
- D’abord et heureusement (!) la médecine n’est pas une science exacte (est-ce d’ailleurs une science ou plutôt un Art dont l’un des outils est la science ?). Il suffit d’observer la relation médecin-patient, pour constater que c’est avant tout une relation humaine sans laquelle le recueil des données objectives est quasiment impossible.
- Ensuite, tout exercice médical est forcément parcellaire : le médecin d’urgence qui va au domicile des patients ne possède souvent aucune donnée médicale sur patient ; le médecin hospitalier ne connait qu’une infime partie de l’histoire du patient ; le médecin généraliste, qui est sans doute celui qui a la vision la plus fine du patient, se rend (quand il s’y rend) rarement au domicile de son patient en urgence, et le patient ne lui dit pas tout ; le médecin spécialiste ne voit que la problématique de sa spécialité. Par conséquent, tout exercice de la médecine est parcellaire. Et donc la connaissance qu’un médecin a de son patient est forcément incomplète. Cela n’empêche pourtant pas tous ces médecins d’exercer la médecine avec compétence et efficacité.
- Enfin, même si on imaginait possible, le fait de tout savoir grâce à un DMP, il restera toujours une zone cachée qui est le non-dit du patient. Il suffit pour cela de se référer au schéma de la relation médecin-patient pour s’en convaincre.
Il faut enfin bien garder à l’esprit, que la numérisation du vivant est un acquis définitif. On numérise nos tissus (biologie, imagerie, etc.), on numérise notre passé (dossier médical), on numérise notre comportement (cartes bancaires, géolocalisation permanente grâce à nos téléphones portables, parcours sur internet qui peut reconstituer le fil de notre pensée, etc.). Nous avons indéniablement gagné en efficacité de la gestion de notre vie, mais nous avons considérablement perdu en degré de liberté. Toute révolte à ce constat est vaine, ce sont les outils que nous avons créés qui nous tiennent prisonniers. Le reste, c’est de la littérature ! Nous sommes donc titulaires sans le savoir d’une quantité non négligeable de dossiers qui sont détenus à notre insu par des tiers, dont certaines données sont sensibles (dossier de prêt bancaire, dossier d’assurance, etc.) et dont le recoupement pourrait donner à notre insu une image très fidèle de notre personnalité. C’est tout le combat éthique qu’il faut mener pour que nous échappions à Big Brother.
Finalement, qu’est-ce qu’un DMP, sinon un moyen parmi d’autres pour enfermer dans un coffre-fort électronique, un certain savoir sur le patient avec le consentement formel et éclairé de celui-ci ?
Les conditions du succès
Un DMP quel qu’il soit, se pourra fonctionner que si les quatre acteurs que sont le patient, le médecin, l’assureur et les Pouvoirs publics y trouvent leur compte. En voici une liste non limitative :
- Pour le patient :
- il doit pouvoir y entrer les données qu’il veut, avec ses mots à lui, et avec ses remarques et ses commentaires personnels, sans que quiconque vienne fouiller dans son dossier. Donc interface intuitive.
- il doit pouvoir être certain qu’aucune de ses données ne puisse être récupérée par un tiers quel qu’il soit : donc sécurisation et confidentialité.
- il doit pouvoir savoir dans son dossier ce que veulent dire les mots et les concepts utilisés par les médecins à son sujet : il faut donc une base de connaissance intégrée au DMP, et non, ce que prônait un ancien directeur du GIP-DMP « d’aller se renseigner sur google ».
- Pour le médecin :
- ne pas avoir à faire de double saisie : il faut donc que les logiciels métier des médecins soient connectés au DMP ou exportables.
- qu’il y trouve un intérêt pour son exercice quotidien
- que ça lui permette de gagner du temps
- et pourquoi pas … de l’argent.
- Pour les Pouvoirs publics :
- Améliorer la traçabilité
- Diminuer les actes redondants
- Diminuer les dépenses de santé
- Améliorer le passage des messages de prévention
- Pour l’assureur (Obligatoire et Complémentaire)
- Diminuer le coût des remboursements
- Diminuer le risque par une amélioration de la prévention (primaire, secondaire et tertiaire)
- Équilibrer les comptes
- Et pourquoi pas … gagner de l’argent.
Une remarque ce sujet : l’idée que les médecins, les assureurs et l’Etat puissent gagner de l’argent sur le dos de la santé des gens, peut être choquante. Posée ainsi, la proposition est moralement indéfendable. Par contre, si on considère que la santé pourrait n’être plus une charge pour l’Etat, comme elle l’est actuellement, mais un marché pourvoyeur de richesses pour tous et créatrice d’emplois, la proposition devient tout à fait défendable. C’est ce que nous envisagerons en détail dans le chapitre : la santé, un marché éthique.
Le DMP 3.0
Que peut être un DMP dans le monde 3.0 ? Il suffit de reprendre les principes généraux du 3.0. et de les appliquer au DMP. J’en rappelle les principes :
- Le 1.0 est la vision que l’individu a de lui-même au travers de machines. C’est une vision individualiste qui recueille des données sans en fournir.
- Le 2.0 est l’interaction entre l’individu et ses contemporains par le canal des TIC (Technologies de l’Information et de la Communication). La vision devient sociétale, puisque l’individu émet et reçoit des informations.
- Le 3.0 est l’interaction entre les individus interreliés, la société et les machines en tant qu’objet. La machine évolue grâce aux individus, mais ceux-ci évoluent également grâce à l’intelligence de la machine. La sophistication de ces objets pourra sans doute dans plusieurs dizaines d’années nous amener au 4.0, c’est à dire les machines non plus en tant qu’objet, mais en tant que « personne ». C’est l’ouverture vers tout le monde imaginé par Asimov.
Où en sommes-nous actuellement ?
- Le DMP est à peine du 1.0 car il n’est pas vraiment un outil collaboratif entre le médecin et le patient. Un DMP où seul le patient ou le médecin peuvent entrer des données ne permet pas de s’insérer dans la relation médecin-patient qui est depuis longtemps dans le monde 2.0. Ne pas inclure cette relation dans un outil censé les faire communiquer est un non sens. Or, il va bien falloir que si le médecin valide les données du patient, il soit rémunéré pour cet acte chronophage. Il ne semble pas qu’on sache très bien comment faire, et surtout dans le contexte économique actuel, avec quel argent ? Dans les faits, le DMP marche actuellement sur un seul pied.
- Un DMP 2.0 serait l’introduction du débat social au sein même du DMP. On peut se demander si nous sommes mûrs pour cette démocratie sanitaire, et surtout, ce que donnerait l’introduction de forums au sein d’un DMP à visée professionnelle. Il y a donc beaucoup à inventer dans ce domaine.
- Un DMP 3.0 est sans doute plus facile à envisager. En effet dans cette optique, ce sont les machines intelligentes interconnectées au DMP qui apporteraient leur contribution à la relation médecin patient. En effet, les données anonymisées, géolocalisées et sécurisées de chaque patient d’une part, et de chaque médecin sur le parcours de soins du patient d’autre part, pourraient être remontées vers des outils de fouille de données -avec toutes les garanties de confidentialité et de sécurité. L’étude par des programmes intelligents des données personnelles du patient ([télé-évaluation]), et des données générales de la population ([épidémiologie en temps réel]), permettrait de faire une véritable prévention 3.0.
Il faut donc pouvoir envisager que le DMP ne soit pas un simple outil de stockage des données tel qu’il est conçu actuellement, mais un outil éthique pourvu d’intelligence.
Le DMP 3.0 donc pouvoir être :
- Intuitif : un non médecin doit pouvoir y accéder avec ses mots à lui. Au DMP d’organiser les items dans un ordre acceptable par le corps médical grâce à un programme d’intelligence artificielle de type réseau neuronal.
- Collaboratif : le patient entre à la volée les données qui le concerne. Celles-ci sont déclaratives et non structurée. Au DMP de leur donner un sens et de poser des questions lors du recueil des données lorsque ce n’est pas compréhensible pour lui. Elles deviennent alors déclaratives mais structurées. Le médecin de son côté peut accéder à ces données non masquées du patient et les valider avec l’aide du patient. Elles deviennent validées et structurées.
- Connectable au langage du patient. Ainsi, une donnée structurée (par exemple « douleur thoracique à type d’oppression », pourra être reliée à un véritable bestiaire de mots et expressions (« ca me serre, j’ai un éléphant sur la poitrine, ca me comprime le coeur », etc.) qui feront avancer notre connaissance de la séméiologie (l’étude des signes des maladies).
- Analysable par des outils de fouille de données géolocalisées. On voit bien qu’on est sur ce point dans le web sémantique qui est l’un des aspects du web 3.0.
- Capable d’analyser de façon structurée le profil du patient et de lui proposer en retour des conseils de prévention personnalisés et validés par la communauté médicale.
- Véritable vivier de données structurées permettant aux chercheurs de faire avancer notre connaissance des maladies.
- Ethique, car conçu pour le bien du patient et dans le respect de sa personne et de sa liberté.
- Selon un modèle économique vertueux et éthique qui rémunère le médecin validateur.
Et sans doute bien d’autres performances encore.
Autant dire qu’on en est loin, si les concepteurs du DMP restent à une vision étriquée, passéiste et myope.
Tags: DMP 1.0, DMP 2.0, DMP 3.0, données médicales, dossier pharmaceutique, prévention 3.0, prévention personnalisée, sémeiologie
[...] vers un passage de la medecine à la santé 2.0 [...]
Super cet article! J’espère que le DMP 3.0 verra le jour.
ça doit tellement facile à faire pour une entreprise indépendante. Une interface intuitive, c’est dans l’ère du temps, mais ça nécessite que les patients soient informatisés.
A moins qu’on crée des bornes dans les CPAM par exemple ou dans les « maisons de santé » en création.
Je suis MKDE et je vois clairement l’intérêt du DMP dans ma pratique quotidienne:
- signaler une anomalie d’une constante physiologique
- demander un examen complémentaire ou le consulter s’il existe
- préparer son rendez vous avec le patient en analysant son DMP
- le renseigner avec des bilans MK pour suivre l’avancement de la rééducation
- fixer des objectifs de rééducation avec le patient et constater l’évolution.
-…
Je pense que le mieux c’est que cette interface soit décentralisée, sur un site web en accès sécurisé, pour être accessible n’importe quand, par n’importe quel acteur de soin.
Le problème est celui de l’authenticité de la personne qui utilise l’interface. Difficile de fournir l’ensemble des assurés en lecteur d’empreinte digitale, ou lecteur de carte à puce… et trop facile de casser un mot de passe + login.
On pourrait créer une plateforme téléphonique avec serveur vocal pour authentifier la personne et lui débloquer l’accès au site. Et pour les professionnels de santé, la CPS suffirait!
Je pense que la sécurité des données est le plus gros problème (financier et logistique) posé par ce défi qu’est le DMP.
Merci pour votre commentaire. C’est une bonne chose qu’il n’y ait pas que les médecins qui soient sensibilisés à cette question du DMP, car c’est en effet l’ensemble des professionnels de santé qui se penchent sur la santé du patient qui sont concernés.
Malheureusement, et à moins d’une prise de conscience des décideurs, on n’en prend pas le chemin. Wait and see…
très bon début BRAVO