La santé, un marché éthique

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La santé est-elle un marché ? Et si c’est le cas, comment peut-il être compatible avec une certaine éthique ?

De nombreux indicateurs montrent que notre société est en révolte contre les politiques et le pouvoir de l’argent.  On peut donc s’offusquer de cette formulation : marché et éthique sont-ils compatibles ? Ou plus précisément : peut-on considérer comme recevable l’idée que l’on puisse gagner de l’argent sur la santé des gens ?

Pourtant il faut arrêter de se voiler la face : les médecins, les laboratoires pharmaceutiques, les laboratoires d’analyse, les industriels du domaine de la santé, les assureurs et même l’Etat, vivent et gagnent leur vie sur la maladie. Il suffit pour s’en convaincre de pousser le raisonnement à son terme : l’éradication de toute maladie, de tout accident, et donc de la mort elle-même, non seulement signerait la fin d’un marché dont se nourrissent les acteurs précités, mais également la fin de l’espèce humaine, qui dépérirait de surpopulation et de dépenses apocalyptiques destinées à nourrir des légions de vieillards éternels et bien portants. Ce même paradoxe pourrait être également appliqué à une prévention parfaite. La santé a été pendant longtemps seulement la réalisation d’un service (une demande et une offre), elle est devenue désormais un marché où l’offre précède la demande (thalassothérapie, prévention et dépistage non totalement pris en charge, etc.) avec une évaluation du rapport qualité/prix. La santé est donc bien un marché.

Ce marché est-il éthique ? Il est normal que ceux qui accomplissent le service soient rémunérés pour ce service. C’est non seulement éthique, mais également moral.  Par ailleurs, la formule est bien connue :  » si la santé n’a pas de prix, elle a toutefois  un coût » ; on ne peut donc envisager le système de santé sans parler d’économie de la santé. Par contre dès que l’on rentre dans une logique consumériste, on peut effectivement se poser la question de l’éthique. Par exemple, le besoin hédoniste créé dans la population a fait exploser les interventions en médecine esthétique qui pose dans certains cas de façon très délicate la compatibilité avec une certaine éthique. Ce marché est-il éthique dans ses fondements ? On peut sans doute répondre positivement, si l’offre répond de façon satisfaisante à une demande. Mais si l’offre précède la demande, à la limite de la publicité et à l’incitation au consumérisme, ce que relayent de nombreux médias, une réponse positive est sans doute plus nuancée.

Posé ainsi, le besoin de la population concernant la santé est une demande recevable, et donc la santé est un marché dont les fondements sont éthiques.

Si l’on pousse le raisonnement plus loin : la santé a un coût pris en charge de plus en plus faiblement par la société alors que la demande est en explosion. Il n’est donc plus question là d’éthique, mais de modèle économique. Comment faire en sorte que le modèle économique soit viable, et dans cette optique, ne peut-on envisager qu’il devienne un marché créateur d’emplois ? De nombreux économistes de la santé ont répondu oui à cette question. Il serait donc éthiquement envisageable que le service rendu à la population en améliorant la santé, devienne une source de richesses pour la société elle-même. Il faut donc pour cela un modèle économique vertueux. Comment faire ?

Etat des lieux

Le modèle économique en matière de santé ne fonctionne pas, quelles que soient les mesures prises depuis 15 ans. Les dépenses de santé ont augmenté de 100 à 175 Milliards d’Euros en de 1995 à 2009 (+75%), alors que la croissance n’a augmenté que de 52%. La croissance n’a donc pu financer ces dépenses.

Dans son passionnant document 12 propositions pour 2012, JALMA a relevé quatre points qualifiés « d’impasses », responsables de l’échec des politiques de maitrise des dépenses de santé :

  • La démographie médicale : la pénurie annoncée dès 1991 dans le rapport Saugmann pour tous les pays de l’OCDE s’est bien réalisée, avec une chute de 10% du nombre de médecins en 15 ans, alors que la population s’est accrue, et que se profile un départ à la retraite à partir de 2012 de toute une génération de médecin. On est dans une désertification médicale géographique et sectorielle qui ne se résoudra pas avant 15 ans, qui est le temps pour former un médecin opérationnel.
  • L’hyperconcentration de la consommation des soins et des remboursements : 20 % de retraités consomment 46% des dépenses de santé. Cette solidarité, si elle est absolument normale et conforme à l’éthique, n’en demeure pas moins un système à «  l’extrême limite de la soutenabilité« . C’est donc un fait contre lequel on ne peut rien.
  • Le financement des dépenses publiques : le financement des dépenses de santé est essentiellement public (à 76% par le Régime Obligatoire). Le déficit structurel de ce Régime est amplifié par la crise. Les déficits des comptes sociaux dépasse les 3% du PIB (à eux seuls ils sont supérieurs aux plafonds imposés par les accords de Maastrich). Ce n’est pas la très hypothétique reprise de la croissance qui va solutionner ce déficit.
  • La prise en charge des personnes médicalement dépendantes : quatrième impasse qui n’ira qu’en s’aggravant en raison de l’augmentation de la durée de vie. Face à cela, une offre en totale inadéquation avec les moyens de financement des particuliers (coût de l’hébergement et de la dépendance),  et un taux d’occupation proche des 100 %.

Face à cela, une forte croissance de la part de la santé dans le budget des ménages. On est donc dans la quadrature du cercle et face à la faillite annoncée de notre système de soins.

  • La demande de soins va inéluctablement aller en augmentant, en raison du vieillissement de la population d’une part, et de l’amélioration constante des moyens thérapeutiques d’autre part : on vivra plus vieux et en meilleure santé. C’est l’énorme marché de la dépendance, qui se heurte à plusieurs problèmes :
    • Cette charge est très lourde, et assurée partie par l’Etat (Assurance maladie, Plans pour diverses pathologies, dégrèvements fiscaux, Aide Personnalisée à l’Autonomie, etc.), partie par les particuliers (Assurances complémentaires, Mutuelles, argent personnel, aide de la famille, etc.).
    • Les structures d’accueil manquent, et celles qui existent sont de moins en moins supportables pour les familles.
    • Les domiciles des personnes médicalement dépendantes ne sont généralement pas adaptés pour le 24h/24h.
    • Les aidants ne sont pas en nombre suffisant.

Perspectives

Deux domaines vont être cruciaux dans l’avenir pour l’économie de la santé : la dépendance et l’accès aux soins. En particulier concernant le premier, des marchés considérables avec des promoteurs aux appétits féroces se mettent en place depuis une dizaine d’années.

Dans un monde idéal, il faudrait pouvoir disposer concernant la dépendance :

  • De structures d’accueil en nombre suffisant et d’un prix abordable
  • D’un nombre accru de soignants
  • D’assistants sanitaires délégués par les médecins pour diverses tâches
  • D’un nombre accru d’aidants à domicile
  • De domiciles adaptés avec une domotique permettant de limiter la présence humaine des aidants à quelques heures par jour

Il y a là matière à réfléchir à la [dépendance 3.0].

Concernant l’accès aux soins il faudrait disposer :

  • De structures de proximité
  • Compétentes en raison d’une qualification maximale de leur personnel
  • Et d’un nombre suffisant d’actes effectués (maternités par exemple)

Là encore, il faudrait envisager une mutualisation avec la mise en place de la télémédecine 3.0.

La résolution de cette problématique ne peut passer que par la résolution de l’équation économique. Dans le système actuel, c’est absolument irréaliste. Il faut donc envisager un véritable [modèle économique global de la santé], ce qui suppose comme on le verra, une autre façon d’inscrire la solidarité dans l’économie globale de la nation.

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