Prévention : l’auberge espagnole

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Mieux vaut prévenir que guérir ! Apparemment c’est le bon sens, médicalement, humainement, économiquement.

Pourtant au vu de l’ensemble des mesures préventives, on peut se demander si elles sont toutes réalistes, prioritaires, et finalement souhaitables.

Un seul mot existe pour décrire cette démarche consensuelle, le mot « prévention ». Il est assez intéressant je pense, de se pencher un peu sur ce mot que l’on a peu à peu étiré, fait glisser au plan sémantique, au point de le vider de son sens initial. Et puis également de bien examiner ce qu’il recouvre, certains objectifs de prévention pouvant au final entrer en contradiction complète avec d’autres. Il ne s’agit pas ici de décrier la prévention, bien au contraire, mais de proposer une nouvelle façon d’envisager ce concept dans notre monde.

Ethymologiquement

  • Dans ce mot se trouve d’abord la notion de prévision : on essaye de prévoir tous les facteurs qui peuvent être responsables de l’accident ou de la maladie. Cela passe par l’observation des situations et par l’information de ceux qui y sont soumis. Cette attitude débute dès le plus jeune âge lorsque les parents alertent leurs petits sur les risques du monde qui les entoure. Cette attitude peut engendrer deux façons de voir le monde : une en retrait « attention tu vas tomber », une autre en anticipation « voila ce qu’il faut faire pour ne pas tomber ». Ces deux visions du monde peuvent s’opposer (« avoir une prévention contre… » ou au contraire « adopter une attitude préventive pour… ») . La première conditionne à craindre les risques, la seconde à les anticiper. L’idéal est qu’elles se complètent dans une attitude responsable permettant de ne pas voir le monde seulement comme une somme de dangers potentiels, mais comme une somme de données permettant d’optimiser sa vie. Une dérive majeure de cette crainte perpétuelle du risque est l’obsession croissante de notre société du « risque zéro« , véritable mécanisme pervers qui conduit à une immobilité totale.
  • Ce mot apporte également la notion d’avertissement (« je t’avais bien prévenu !  » ). Sous-entendu, « et tu ne m’as pas écouté ! ». S’instaure alors un jugement moral, une critique de la personne qui n’a pas suivi les conseils de prévention. Il y a là une formidable conséquence politique et éthique : en effet, si la personne qui a pourtant été prévenue n’a pas agi selon les conseils qui lui ont été fournis, elle devient en quelque sorte responsable de son malheur. On voit bien la dérive qui pourrait en être faite : la société acceptera t-elle toujours de prendre en charge par exemple les personnes atteintes de cancer du poumon qui auront continué de fumer malgré tous les conseils de prévention ? Une telle dérive fait froid dans le dos.
  • Autre facette de ce mot, les différents synonymes ou mots apparentés qui ont été introduits suite à ces 2 étapes fondamentales de l’histoire de la médecine occidentale : Rambuteau qui a instauré dans les faits les base de l’hygiène alimentaire avec l’adduction d’une eau non polluée dans les villes, et Claude Bernard qui a défini la notion de « physiopathologie » (toutes les maladies ont une cause, et donc éliminer la cause, c’est éviter la maladie). Ces mots sont légion : prophylaxie, dépistage,  éducation sanitaire, hygiène, etc. Chacun recoupe un aspect différent de la prévention. Chacun de ces mots porte en lui ses aspects positifs lorsqu’ils apportent une amélioration de la qualité de vie, mais également ses aspects négatifs dans le cas contraire. Quelques exemples :
    • Dépister une maladie est évidemment une bonne chose car elle permet de la soigner avant qu’elle ait trop évoluée. Mais jusqu’où doit on aller ? Faut-il dépister tous les cancers chez toutes les personnes à risque, durant toute leur vie ? Jusqu’à quel âge faut-il dépister ? On voit bien la sélectivité qui risque de se mettre en oeuvre, certains patients ne justifiant pas de dépistage au regard de leur âge, de leur productivité, de leur état de santé, et ceux qui le justifient pour les raisons inverses. La notion de curseur, si elle est nécessaire, induit toutefois dans les faits une prévention à deux vitesses
    • L’hygiène est indispensable, mais jusqu’où faut-il aller ? Faut-il comme le recommande l’INPES laver à l’eau de Javel la paillasse avant de faire le repas, alors qu’on sait que les conditions de vie de bien des personnes défavorisées ne permettent généralement pas de mettre en oeuvre ces principes ? Faut-il se laver systématiquement les mains après avoir serré la main de quelqu’un pour éviter d’attraper ses germes ? Une telle attitude est sans doute excessive, mais si on veut le risque zéro, c’est bien ce qu’il faudrait faire. Et si on ne le fait pas, cette attitude est-elle finalement applicable et raisonnable ?
    • La vaccination est un traitement préventif. Et comme tout traitement, il possède ses indications, ses contre-indications, et… ses risques. La vaccination est donc incompatible avec le risque zéro. Et elle est donc antinomique avec l’idée même de prévention, dont elle est pourtant l’un des piliers majeurs. Or la vaccination a permis d’éradiquer la variole et la poliomyélite et d’écarter pendant de longues années la tuberculose de la société occidentale. On se trouve donc face à une notion de bénéfice-risque.
    • La prophylaxie est l’ensemble des mesures qui visent à empêcher l’apparition, la réapparition et la propagation des maladies. Elle recouvre donc les notions globales de prévention, en y ajoutant une autre notion qui est celle d’épidémiologie, qui possède un aspect un peu plus prédictif. La médecine prédictive (prévoir la probabilité individuelle d’apparition des maladies) entre donc dans une vision futuriste de la prophylaxie. Mais elle porte en elle un germe effrayant qui est celui d’une vie où les embûches sont presque programmées et connues. A quoi servira t-il de vivre si l’on sait déjà à l’avance ce qui risque de se passer ?

On voit donc déjà que ce mot prévention est un concept complexe, aux nombreuses facettes qui recoupe des notions très étendues, parfois contradictoires, et qui amènent à la question essentielle du choix philosophique de notre existence. Quel est le souhait de chacun, et a t-il le droit et la possibilité d’exercer son choix si celui-ci n’entre pas dans les rails qu’impose la société ?

Une première tentative de classification

Face à cette invasion désordonnée de la prévention dans nos vies, l’OMS (Organisation Mondiale de la santé » a classé la prévention en 4 types :

  • Prévention primaire : ce qu’on pourrait résumer par  « éviter la maladie ou l’accident ». On a même rajouté dans cette optique la notion de prévention primale, qui précède la prévention primaire puisque s’appliquant au foetus dans le ventre de sa mère.
  • Prévention secondaire : on est tombé malade, mais on évite que ça recommence. La prévention secondaire face à une problématique est donc l’échec de la prévention primaire.
  • Prévention tertiaire :  la maladie, du fait de ses répétitions est devenue chronique, et on essaye d’éviter qu’elle s’aggrave. Elle est le témoin de l’échec de la prévention secondaire.
  • Prévention quaternaire : on est porteur d’une maladie chronique, et on essaye de limiter au maximum la surmédicalisation liée à cette maladie. En ce sens, la prévention quaternaire est une certaine démarche de distanciation et de prévention contre les effets d’une prévention tertiaire excessive.

La prévention dans le contexte actuel

Prévention jusque dans les années 2000 était synonyme d’interdits (fumer, boire, etc.) et de restrictions (nourriture, sexualité, etc.), appliqués au niveau individuel (campagnes individuelles de prévention, relais par le corps médical, médias, etc.) et au niveau de la société (campagnes de prévention, dépistage organisé…). Trois types d’attitudes en ont résulté au sein de la population :

  • La première a été, à force, un rejet par une part de la société de ces messages de prévention, du type brèves de comptoir : » alors si on n’a plus le droit de boire, de fumer, de b…, qu’est-ce qui nous reste ! ». Ces réactions montrent bien que ce qui est expliqué de façon très logique par les Pouvoirs Publics et les autorités sanitaires, a pu être ressenti comme une privation des seuls plaisirs de l’existence dans un contexte économique et social plus que morose. Cette réaction est d’autant plus ancrée dans les esprits que le pouvoir d’achat est faible et la santé déjà altérée.
  • La seconde, à l’inverse, a été un mouvement de recherche de diminution du risque, avec de la prévention tout azimut : aux interdits que l’on s’impose on rajoute des principes d’hygiène de vie (exercice physique, nourriture équilibrée, gestion du stress, attitude de dépistage pro-active).  Autant ce type d’attitude positive a permis d’améliorer les choses, puisque l’âge moyen ne fait que croitre, autant il a amené une frange le plus souvent aisée et en bonne santé à rechercher à terme le risque zéro.
  • La troisième est un regard qui se pose de plus en plus avec l’allongement de la vie : à quoi bon se restreindre à ce point si c’est pour devenir un vieillard dépendant, souffrant et solitaire ? D’où cette troisième attitude de réflexion critique sur la prévention dont la prévention quaternaire est l’un des aspects.

La prévention, si elle est médicalement justifiée, souffre du fait qu’elle est une sorte de costume standard dans lequel on veut faire entrer tous les individus. Or il est clair que nous ne sommes pas égaux devant la maladie. Certaines personnes peuvent se permettre des excès, voire des dérives, et d’autres pas. D’où ce sentiment d’injustice que peuvent ressentir certaines personnes (on peut prendre l’exemple de l’obésité) qui ne peuvent se permettre le moindre écart. La phrase célèbre « Docteur, tout me profite ! » entendue maintes fois dans les cabinets médicaux traduit bien cette amertume.

Face à cela, on se dit que l’idéal serait une prévention personnalisée. La difficulté est que la médecine pour fonctionner en tant que discipline scientifique a besoin de normes. C’est ce qui permet aux médecins d’enfermer chaque individu dans des catégories pathologiques (diabéte de type 2, cancer non à petites cellules, hypertendu sévère, etc.). Cette vision verticale du patient a l’avantage de nourrir les statistiques qui sont un moyen objectif d’observer l’évolution d’une maladie ou sa probable évolution ; mais elle a l’inconvénient de réduire la complexité de chaque individu en catégories caricaturales (on n’est pas que diabétique, hypertendu, ou cancéreux !). De ce fait, tout principe de prévention globale, s’il est exact à l’échelle de la population, risque dans certains cas d’être inexact, voire absurde au niveau individuel.

La prévention personnalisée

Ce serait idéal : des mesures préventives adaptées exactement à chaque individu en fonction de ses forces, de ses faiblesses, de son environnement, des maladies qui le menacent en raison de son comportement mais également de son génome (la médecine prédictive). Chacun saurait très exactement ce qu’il peut faire et ne pas faire, et compenser la frustration qu’il doit s’imposer là où son risque est élevé, par des débordements là où son risque est faible. Une sorte de « prévention à la carte ».

Une telle démarche était inenvisageable, ne serait-ce qu’au tout début du siècle. La capacité que l’on a désormais grâce à l’informatisation de nos existences, de pister chaque individu jusque dans le moindre de ses comportements, de ses déplacements, et de son parcours au sein du système de soins, permet d’envisager une prévention personnalisée, géolocalisée, et fondée à terme sur la médecine prédictive. Une telle prévention serait alors « pré-primaire » puisqu’elle pourrait intervenir dès la naissance, bien avant que l’individu soit confronté aux risques de l’existence. La voie serait tracée, le chemin balisé, la vie programmée.

Rien qu’à cet énoncé, on voit bien qu’une telle prévention, si elle est envisageable n’est pas souhaitable car elle finirait par nous priver totalement de liberté. Il faudrait alors créer une « prévention quinquénaire », destinée à éviter la « surinformatisation » en matière de santé.

Il y a peut-être alors, une autre façon d’aborder la prévention, grâce aux concepts de prévention 1.0, 2.0 et 3.0. Il s’agit d’appliquer à la prévention les principes de la pensée 3.0, c’est à dire l’interaction étroite qui existe entre l’individu, la société et le monde des machines intelligentes. C’est tout l’objet de la prévention 3.0.

     

     

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