Le traitement : la fin et les moyens

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Le traitement est la dernière phase avant la guérison recherchée. Mais traitement et soins sont-ils synonymes ?

Malgré les extraordinaires avancées dans le domaine de la thérapeutique, il faut rester très humble  : une grande partie des plaintes exprimées par les patients ne peut bénéficier d’aucun traitement. On peut soulager avec plus ou moins d’efficacité quasiment tous les symptômes, mais un nombre important de maladie ne disposent d’aucun remède.

Traitement et soins ?

Le traitement n’est pas l’apanage des seuls médecins. Il faut bien avoir conscience que le médecin qui prescrit et qui obtiendra la guérison, n’est que l’acteur final de toute une chaîne qui l’a précédé : les chercheurs, les laboratoires pharmaceutiques, les fabricants de matériel médical, etc. Peu de médecins, et de moins en moins, sont présents d’un bout à l’autre de la chaîne. Pasteur avec le vaccin antirabbique, le Dr Forman inventeur du cathétérisme cardiaque et qui l’a expérimenté sur lui-même, sont des exceptions. Désormais, la chaîne est si complexe et les intervenants si nombreux qu’il devient impossible que la séquence recherche-fabrication-prescription soit assurée par une seule personne. Le traitement est donc un acte très humble car il repose sur le travail de tous ceux qui ont participé à sa mise au point.

Pourtant, là où le prescripteur recouvre tout son pouvoir, c’est grâce à la façon dont il va « vendre » ce traitement à son patient. La relation médecin-patient est émaillée de phases de négociation, en particulier en ce qui concerne l’acceptabilité du traitement par le patient. Si le médecin se prive de l’effet placebo qu’il aura mis en place grâce à sa crédibilité auprès du patient, le traitement sera inefficace, voire sans effet (effet nocebo). Cette implication humaine dans le traitement potentialise le traitement et le rapproche du soin.

La langue française montre, au travers des expressions qu’elle utilise, la différence fondamentale qui existe entre le traitement et le soin. On « prodigue des soins », alors « qu’on prescrit un traitement », la prescription des soins transférant le soin à celui qui va les effectuer (infirmière, kiné, etc.).  On parle de « médecin traitant » et « d’équipe soignante », ce qui prouve bien que pour soigner il faut désormais être plusieurs. Le soin possède désormais une dimension multidisciplinaire, ce qui en augmente le professionnalisme, mais ce qui introduit une distance de fait entre le patient et son médecin. En dehors de relations fortes entre un patient et son médecin, le soin est dévolu à l’équipe, ce qui dilue l’implication humaine entre le patient et  tous les participants à cette relation. Il est intéressant de voir que pour les professions paramédicales (infirmières, kinésithérapeutes, dentistes, etc.) où le thérapeute utilise ses mains, on continue à parler de soins. Le glissement effectué dans les termes employés par les médecins ne montre t-il pas que nous avons, en tant que médecins, peu à peu abandonné le soin, moins noble, au profit du traitement, plus intellectualisé ? Traitement et soins ne sont pas synonymes.

La question qui se pose alors est : peut-on traiter sans soigner ? Et si la réponse à cette question est positive, qui va prendre soin du patient, si un paramédical n’entre pas dans le processus ? C’est là je pense que se trouve toute la dimension thérapeutique cachée de l’examen clinique, car c’est (en dehors des actes techniques permettant de soigner), le seul moment où le médecin touche son patient. Sans doute est-ce à ce moment, alors qu’il n’a pas encore prescrit de traitement qu’il est, dans la relation médecin-patient, le plus proche du soin.

L’acte intellectuel de la prescription serait donc limité au traitement. Pour soigner, il faudrait donc soit une implication manuelle (les gestes thérapeutiques), soit une implication psychologique (les psychothérapies). En effet, dans la psychothérapie, on ne parle pas de traitement, mais de « soins », ou parfois de « suivi », car l’acte, s’il demeure intellectuel, est prolongé par une dimension émotionnelle qui lui confère un statut de soin.

L’effet placebo

Une parenthèse est ici nécessaire, qui sera reprise plus loin : toute substance destinée à soigner et présentée comme telle, entraîne une amélioration dans 30% des cas et souvent davantage. Cela explique sans doute comment les apothicaires d’autrefois, très friands d’élixirs bizarres, parvenaient à faire passer la maladie à défaut de faire trépasser le malade.  Corvisart, médecin avisé de l’Impératrice Joséphine, distribuait des pilules de « mica panis » (mie de pain) aux courtisanes aux intestins paresseux. Un placebo pur est donc une substance totalement neutre, sans la plus petite molécule pharmacologiquement active, donnée dans le but de susciter un effet psychologique à visée thérapeutique.

L’effet placebo entre pour beaucoup dans l’efficacité du traitement. Tous les médecins ont pu l’expérimenter. Il est intéressant de constater que moins la maladie est guérissable, plus le médecin accordera de soin à « vendre » l’efficacité du médicament qu’il prescrit, que celui-ci soit actif ou inactif.

« L’image du placebo dans l’esprit des médecins est encore, injustement, une image négative » disait Edouard Zarifian. Tout se passe comme si le médecin en accordant à cette substance sans effet pharmacologique, dévalorisait son acte, en fournissant à un vrai patient un faux médicament. Ou encore à un stade de plus, comme si le fait de donner un « faux médicament », faisait passer le malade du statut de  « vrai malade » à celui de « faux malade ». Et donc en poussant le raisonnement plus loin, comme s’il participait à une sorte d’arnaque où le patient était trompé sur la nature du traitement réellement administré. Il y a en fait confusion entre un médicament placebo (pharmacologiquement inactif, mais psychologiquement actif), et l’effet placebo qui est un effet psychologique, potentialisateur d’un médicament biologiquement actif. Un médicament placebo administré comme un vrai médicament fait prendre des risques au patient, alors qu’un effet placebo augmentera l’action du médicament.

C’est peut-être là que justement, le traitement devient soin, car le médecin ajoute à la substance médicamenteuse son propre génie thérapeutique grâce à l’implication psychologique qu’il a développée avec son patient. On peut penser en poussant le raisonnement que pour soigner, le médecin a besoin de « se prescrire lui-même » en tant qu’acteur du soin.

Les différents traitements

  • Le traitement étiologique.Il signifie littéralement « traitement de la cause de la maladie ». Par exemple, le traitement par l’insuline est un traitement étiologique du diabète. La maladie est diagnostiquée et le patient entre dans un « schéma thérapeutique » qui est appliqué à partir de « conférences de consensus » des spécialistes de la question. Le médecin traitant suit généralement ces recommandations en y ajoutant éventuellement une touche personnelle, soit grâce à des « traitements adjuvants » (des traitements ajoutés), soit grâce à des innovations thérapeutiques qu’il détient du fait de son expérience personnelle. C’est souvent le cas en cas de maladies chroniques mal équilibrées ou qui ont tendance à « décompenser », c’est à dire à s’aggraver. Il apparaît clairement que lorsque le médecin ne dispose plus d’outils thérapeutiques face à la montée croissante de la maladie sur la bonne santé du patient, il se tourne volontiers pour soulager le patient vers les traitements symptomatiques ou joue dans sa thérapeutique de l’effet placebo. Le fondement scientifique de cette démarche se fait jour depuis quelques années avec la neuropsychopharmacologie qui connait de mieux en mieux les rapports qui existent entre notre cerveau et les capteurs des organes par l’intermédiaire des neuromédiateurs.
  • Le traitement symptomatique. Il consiste à traiter les symptômes d’une maladie qu’on a identifiée ou pas, mais qui n’est pas accessible au traitement étiologique. Par exemple à propos du diabète, en cas d’atteinte des nerfs (neuropathie diabétique) que l’on ne peut soigner spécifiquement, on donne, à visée symptomatique, des médicaments à base de Vitamine B et des antalgiques, qui diminueront les douleurs. Autre exemple courant, les spasmes intestinaux, sans cause réellement définie, et qui bénéficient d’un traitement symptomatique par antispasmodiques. La position du médecin est alors délicate : il peut avouer ne pas avoir de diagnostic et donner le traitement dans l’attente que quelque chose d’autre apparaisse ou que l’organisme guérisse tout seul ; il peut aussi se refuser à donner une explication en esquivant les questions légitimes du patient ; il peut enfin donner un diagnostic qui lui semble cohérent mais dont il n’a pas la preuve certaine. Cet exercice d’équilibriste passe d’autant mieux auprès du patient que la confiance aura été établie au cours de la relation médecin patient, en particulier lors de l’examen clinique. Le passeport pour un traitement symptomatique efficace passe par l’examen clinique qui a été fait auparavant.
  • Le traitement préventif. Le traitement préventif peut être mis en place en amont de la maladie : c’est de la prévention primaire, et les traitements proposés sont généralement de l’homéopathie ou des compléments alimentaires. Cette démarche montre la médicalisation de notre société, puisqu’on commence à traiter alors même qu’on est en bonne santé.  Cela a des bons côtés, mais il peut y avoir à cette médicalisation et ce réflexe de médication l’entretien de l’illusion du risque zéro. Le traitement préventif peut aussi être mis en place  lorsque la maladie a déjà fait son apparition. Il s’agit alors de prévention secondaire et  tertiaire.
  • Le traitement d’épreuve. C’est une variante du traitement étiologique. On suppose un diagnostic de maladie, on traite le patient comme s’il en était atteint, et le résultat montrera si on s’est trompé ou non. Le traitement devient alors « probabiliste ». Par exemple, on va prescrire un traitement contre ce qu’on pense être une crise de goutte, avant d’avoir obtenu les résultats du taux d’acide urique. On ne devrait stricto sensu donner un traitement étiologique qu’en cas de certitude diagnostique. Mais cela supposerait demander des examens, ce qui se révèle parfois difficile ou économiquement délicat, ou encore nécessiterait de laisser souffrir le patient dans cette attente. D’où l’intérêt du traitement d’épreuve.
  • Le traitement palliatif. La cause est généralement connue, mais les moyens thérapeutiques sont dépassés par la virulence et la gravité de la maladie. Notamment en matière de douleur, de grands progrès ont été faits cette dernière décennie.
  • Le traitement placebo. Ce terme n’existe pas. Et pourtant il est largement utilisé lorsque le médecin ne sait plus à quel saint se vouer pour soulager son patient. Il n’y a là ni arnaque ni tromperie, mais la nécessité morale que le médecin a de soulager son patient avec les moyens dont il dispose.

Le passage du traitement au soin

Est-ce nécessaire ?

Car finalement, ne pouvons-nous pas en tant que médecins et en respectant notre éthique médicale, nous exonérer du soin en nous contentant de traiter ? On peut le penser quand on voit l’augmentation constante de la technicité. Plus les traitements sont techniques et passent par les mains (ou les machines qui prolongent les mains), plus le traitement se rapproche du soin. Mais lorsque le traitement ne passe plus par les mains, l’acte intellectuel seul ne suffit plus à moins qu’une autre dimension soit introduite : la compassion, ou son versant moins impliquant, l’empathie. C’est l’arme ultime dont le médecin dispose auprès de son patient lorsqu’il n’y a plus rien à faire. La main sur le front des mourants, les paroles de réconfort, les gestes d’humanité.

Avons-nous besoin d’être à ce stade ultime pour introduire dans le traitement, ce qui lui donnera la dimension d’un soin ?

Bibliographie

  • Bernard Lachaux et Patrick Lemoine. Placebo, un médicament qui cherche sa vérité. Paris Medsi/MacGraw-Hill
  • Edouard Zarifian, Les jardiniers de la folie, Ed Odile Jacob
  • Loïc Etienne, La mort du sorcier, Ed Albin Michel 1992

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1 reponse à “Le traitement : la fin et les moyens”

  1. Anonyme dit :

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