Modèle économique pour le DMP

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On ne peut plus considérer en  la médecine et la santé avec un simple regard angélique. Même la relation médecin-patient est assujettie à une problématique économique et pose donc la question de son modèle.

Concernant le DMP et la e-santé en général, il est clair qu’aucun modèle économique pérenne ne semble émerger. Parmi les causes, le fait qu’aucun des acteurs censés le financer ou l’utiliser n’y trouve son compte.  Cet état de fait tient au DMP lui-même, dont la conception a occulté dans ses fondements le moyen de financer son utilisation. Ce qui suit n’est pas encore une solution, mais c’est une piste de réflexion.

Le virtuel et l’économique

La santé est un marché, l’hôpital est devenu une entreprise, le médecin est un rouage de « l’horreur économique », la médecine elle-même vire au business. Il est loin le temps du sacerdoce, de la vocation, de ces valeurs humanistes qui faisaient s’engager des étudiants dans des études longues avec, au bout, une vie consacrée à leurs patients. Qu’on le regrette ou qu’on l’évacue d’un revers de main, c’est une réalité, et aucune des bonnes intentions que l’on peut avoir ne peut écarter une vision économique des choses et une gestion qui garantisse la pérennité du système. De ce point de vue, et avec de vieilles lunettes, la santé a un coût et constitue une charge pour l’État qui ne fera que s’accroitre avec le temps en raison du vieillissement de la population. Tout un ensemble de facteurs économiques sont en jeu qui pèsent lourdement sur cette équation.

Depuis le début de ce siècle, à la fois en raison d’internet et de la numérisation des données, la médecine et la santé se virtualise peu à peu. E-santé, DMP, télémédecine, ont investi la relation médecin-patient, et ont donné lieu à des décrets et des lois. La virtualité modifie les rapports humains, complexifie certains aspects (relation médecin-patient) mais en simplifie d’autres (transfert immédiat des savoirs et des données). On voit bien que la simple dématérialisation des données joue de façon positive sur l’équation économique, et que finalement un patient mieux informé et plus responsable permet une amélioration de la prise en charge des pathologies et une amélioration de la santé publique, donc de son coût. Le virtuel au secours du réel !

Divers aspects de la santé peuvent être améliorés grâce au monde virtuel apporté par les TIC dans le domaine de la santé :

  • L’information du patient, de façon libre et volontaire (la santé 3.0)
  • Les rapports avec le médecin (téléconseil)
  • La dématérialisation du diagnostic (télédiagnostic)
  • Le parcours de soins grâce au DMP. Ce dernier point mérite qu’on s’y attarde, car c’est la première mesure de virtualité instaurée dans la vie publique dès 2003 avec la Loi sur l’Assurance Maladie du 13 Août 2003.

Voici comment l’on peut imaginer un modèle économique pérenne pour le DMP.

Du réel au virtuel appliqué au DMP

Dans la vie réelle, le rôle du patient et du médecin sont bien définis. Cette relation ancestrale est encadrée depuis 1947 par la Sécurité Sociale. La CNAM -et la MSA en ce qui concerne les agriculteurs) en tant qu’assureurs obligatoires,  remboursent la part principale sur leur budget financé par les prélèvements sur les salaires. Les mutuelles complémentaires, qu’elles soient volontaires ou intégrées dans le protection sociale de l’entreprise, financent le restant à charge. Les personnes non pourvues de ces mutuelles financent le complément de leurs deniers. En raison de la crise économique et de l’augmentation des primes, un certain nombre de personnes diminuent leur recours au soins. Cela aura pour conséquence à terme une progression de certains déficits (optique et auditifs en premier lieu)  et de certaines pathologies (dentaires pour commencer). Les Pouvoirs Publics, en raison de la crise, ne peuvent que suivre le désengagement progressif de l’assureur obligatoire, et sont impuissants à enrayer la désertification médicale qui fragilise l’accès aux soins.

Le DMP, d’abord dans une logique comptable, afin d’éviter des redondances d’examen, et de suivre le parcours de soins du patient dans le système de santé, est donc une mesure logique. Mais sa mise en place, ingénument prévue pour mi-2007,  s’est heurtée à des oppositions, tant par souci éthique que par réaction rétrograde au changement. Il faut toutefois bien reconnaître que le DMP censé être un outil capable d’assurer la coordination des soins et la maîtrise des coûts est boudé par l’ensemble des acteurs. En effet, aucun des acteurs n’y trouve son compte :

  • Le médecin n’est pas rémunéré pour remplir le DMP, ce qui est un frein majeur au changement. Et même si une volonté politique est bien présente, l’argent n’est pas au rendez-vous pour assurer ce financement.
  • Le patient, censé être au centre du système n’a aucun pouvoir pour y entrer ses données personnelles. De plus, étant rédigé en langage médical et ne disposant d’aucune interface explicative sur les termes employés, les données sont le plus souvent incompréhensibles pour lui, ce qui explique qu’il n’y trouve qu’un intérêt limité. La preuve en est le nombre très faible de DMP ouverts.
  • Les Pouvoirs Publics ont financé lourdement ce système coûteux et le rapport coût/utilisation est largement trop élevé. De plus, ils ne peuvent en tirer aucun enseignement en terme de comportement des usagers qui leur permette d’avoir un retour pour infléchir leur politique si besoin.
  • L’assureur enfin,  s’est peu impliqué dans le système. En effet, la CNAM dès Avril 2007 a exprimé -à juste titre- sa défiance face au DMP tel qu’il était conçu. Par la suite, en Septembre 2011, la CNAM incite les médecins à remplir un DMP, dans le cadre de la « [rémunération à la performance]« . Mais il est clair que tout cela reste timide, sans implication forte. Il en est de même pour le soutien à la télémédecine, où la CNAM continue de traîner les pieds pour l’instauration d’un remboursement des actes de télémédecine. Quant aux mutuelles, elles sont de toute façon tenues à l’écart par la CNAM, qui malgré ses promesses réitérées, continue à considérer les mutuelles comme des payeurs aveugles. Il est vrai que la CNAM étant déjà un payeur « mal voyant » on ne peut lui demander d’être prosélyte.

Il aurait fallu que le DMP, dès sa conception ait anticipé les freins au changement et réfléchi d’une part à l’usage qu’en feraient les acteurs, et d’autre part au modèle économique garantissant un démarrage et une pérennité. Il semble que les leçons du fiasco de 1995 concernant le Carnet de santé qui a coûté la bagatelle de 800 millions de francs n’aient pas été retenues.

En fait, dans le monde virtuel que représente le DMP et la e-santé en général, la donne incontournable est la gratuité pour l’usager. De ce fait, aucun modèle économique ne tient la route si l’on s’en tient à des schémas classiques. Voici comment pourrait s’organiser un modèle économique pérenne centré autour d’un DMP intelligent, le DMP 3.0.

Un modèle économique fondé sur la virtualité

Qu’on précise bien les choses : ce qu’on entend par « virtuel » est l’utilisation des TIC dans le domaine de la santé, permettant de véhiculer des données de toute nature (imagerie, informations, avis, conseils…) depuis les patients vers les médecins et des médecins entre eux. Ce que nous appelons la santé 2.0. Mais cette virtualité est insuffisante car elle ne fait que reproduire le monde réel. La véritable virtualité est de considérer un acteur supplémentaire, qui est celui des « machines », c’est à dire des logiciels intelligents capables de créer du sens à partir de toutes ces données. Ce monde que j’appelle la santé 3.0 ou la médecine 3.0 ou encore la télémédecine 3.0, est fondé sur le data mining, c’est à dire l’exploration des données.

Une donnée qui a du sens doit être datée, stockée en base de données (c’est à dire retrouvable selon des critères multiples et donc accessible aux statistiques) et géolocalisées.  Elle n’a pas besoin d’être rattachée nominalement à une personne répertoriée, mais nécessite d’être le plus possible univoque. Ce sont donc des données personnelles mais anonymisées. Cela implique donc que le système qui recueille ces données soit à la fois intelligent et profondément éthique, ce que ne garantit absolument le monde 2.0. Plusieurs conditions sont nécessaires :

  • Première condition : la gratuité. Les données ainsi recueillies permettent d’établir pour ce e-patient anonyme,  un véritable  « parcours virtuel ». Ce parcours  du patient doit être nécessairement gratuit, afin de s’adresser au plus grand nombre. Au cours de ce parcours, le patient va obtenir des éléments d’information, d’orientation, des conseils de prévention et de coaching adaptés à son cas personnel qui vont lui permettre d’une part d’améliorer sa santé, et d’autre part de coûter moins cher à la société.  L’individu va donc confier ses données personnelles à des machines intelligentes. Si le DMP est de type DMP 3.0, c’est à dire,  renseigné par le patient, sans restriction, avec ses mots à lui, et avec sa logique à lui, on peut penser qu’il sera utilisé par le plus grand nombre.
  • Deuxième condition : données déclaratives et validées. Ce DMP doit être capable de trier ces données déclaratives, et de les compléter grâce à un interrogatoire automatisé et intelligent. Il doit être également capable de proposer des solutions grâce à un système expert intelligent, dans le but de réguler les comportements des usagers. Par exemple, un système expert d’aide à la décision permettra d’aider les patients à ne pas surconsommer dans le cadre de l’urgence et à bénéficier d’une automédication 3.0. Toutes ces données sont bien entendu déclaratives mais utilisables si elles sont validées. Pour cela on a besoin du médecin qui intervient dans le DMP 3.0. pour valider ces informations, et d’une coopération entre le patient et le médecin.
  • Troisième condition, il faut que le médecin soit payé grâce à des honoraires. Ceux-ci sont traditionnellement payés par le patient dans le monde réel et remboursé par l’assureur. Dans ce monde virtuel de la e-santé, ce paiement ne peut être effectué que par l’assureur, par exemple dans un système de panier de soins, qui lie le médecin à l’assureur. Diverses mutuelles ont déjà mis en place ce système. Il est clair que si des conventions, telles que celle proposé par la CNAM de paiement à performance, existaient, ce serait à terme la mort d’une certaine conception de la médecine libérale, et de l’évolution progressive vers un salariat de fait. L’opposition récente entre certains syndicats de médecins et le Conseil de l’Ordre montre bien qu’il y a débat sur des enjeux futurs.
  • Quatrième condition : le retour sur investissement pour l’assureur. Son bénéfice premier va être l’amélioration de la gestion du risque. En effet, un patient mieux informé, mieux orienté, avec de bons outils de prévention et de coaching coûtera moins cher en remboursement à l’assureur. Cette gestion du risque sera assurée par la connaissance que l’assureur aura des parcours de soins et des éléments remboursés. Ainsi l’assureur ne sera plus un payeur aveugle (en ce qui concerne les mutuelles) ou mal voyant (en ce qui concerne la CNAM), mais un payeur informé. Mais attention, cette connaissance ne pourra se faire que sur les grandes masses et non à l’échelon individuel, puisque toutes les données introduites par le patient sont du strict domaine médical et doivent être protégées par un anonymat total.
  • Cinquième condition : le retour sur investissement pour les Pouvoirs Publics. Ceux-ci y trouveront leur compte immédiatement, et de façon mécanique, d’abord parce que ce système va améliorer la santé publique dont il sont les garants, et ensuite parce que les coûts comme on l’a vu vont diminuer grâce au bénéfice apporté par DMP intelligent et régulateur des comportements des utilisateurs, lesquels seront garantis du même anonymat.
  • Sixième condition : une progression de la connaissance. C’est en fait l’enjeu ultime, à la fois parce que la progression de la connaissance en matière d’épidémiologie et de comportement des usagers est le gage d’une amélioration de la santé publique, mais également parce que le data mining a une valeur monétaire, les données étant anonymisées et porteuse de sens.

Si ces conditions sont remplies, voici ce qu’on peut en espérer :

  • Le patient accède gratuitement à de l’information dont il est le propriétaire, et reçoit en retour de cette information des éléments d’orientation et de connaissance.
  • L’assureur diminue ses coûts en optimisant la gestion du risque engendrée par l’amélioration des comportements des usagers.
  • Le médecin voit son travail de validation des données, rémunérées par l’assureur.
  • Quant aux Pouvoirs publics, ils ont diminué les coûts et amélioré la santé Publique.

Il est donc normal que l’Etat assure la gratuité du parcours virtuel gratuit en finançant le  DMP 3.0, et qu’il finance grâce à une contribution, l’assureur qui a permis d’initier ce système en payant le médecin. La boucle est bouclée.

Si l’on fait le bilan :

  • Les honoraires des médecins validateurs ont coûté à l’assureur, mais ont été remboursés par la contribution que leur verse l’Etat et par l’amélioration de la gestion du risque.
  • La gratuité du parcours et le DMP 3.0 a coûté aux Pouvoirs publics, mais le retour sur investissement est la diminution du coût de la santé par l’amélioration des comportements.
  • Et surtout, le véritable bénéfice est celui de la connaissance intime des comportements globaux des usagers, grâce au data mining effectué sur des données hiérarchisées, datées et géolocalisées, ce que devrait savoir faire un DMP intelligent, pour peu qu’il soit construit comme tel.

Les freins au changement

Il existe à tout cela une septième condition qui est en fait la condition première : la levée des freins au changement qui empêchent la mise en place d’un modèle économique pérenne pour le DMP. Ils sont au moins triples :

  • D’abord la création d’un DMP 3.0, ce qui suppose une revisitation complète des concepts qui ont présidé à la conception du DMP. Et pour cela que les médecins et les patienst soient associés à cette conception, les administratifs les experts et les informaticiens ayant été les seuls à y mettre leur nez.
  • Ensuite, accepter que le patient y introduise lui-même ses données et que ces données déclaratives soient considérées par les épidémiologistes comme valable. L’ »objection est que les données n’étant pas « scientifiques » ou recueillies par un médecin ne peuvent êytre prises en considération. Faut-il rappeler que certaines études sont considérées comme valables alors qu’elles ne portent que sur 500 cas, voire moins, et qu’un médecin comme tout être humain est faillible et peut se tromper. Le déclaratif a l’avantage de se fonder sur sur des données considérables (plusieurs millions) et d’avoir de fortes chances d’être très proches de la vérité car le patient a tout intérêt à donner des informations fiables s’il veut que les machines intelligentes lui donnent des conseils et des renseignements valables et adaptés à son cas.
  • Et enfin de l’implication structurée et collaborative des Pouvoirs Publics et des assureurs dans la rémunération des médecins chargés de valider ces données. Il faudrait pour cela que la CNAM coopère avec ses partenaires mutualistes de façon transparente (ce qui est loin d’être le cas) et se décide à instaurer une nomenclature pour tout ce monde virtuel qu’il ne daigne pas considérer.

Le vrai retour sur investissement se trouvera alors dans la connaissance future, une connaissance source de décisions et d’amélioration de la gestion, et une connaissance exportable puisque c’est en France que sera conçu un tel système (prestations médico-sociales virtuelles, savoir-faire médical, solutions informatiques et robotiques).

 

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