Systèmes experts, les outils de la médecine 3.0
Un système expert est un produit de l’intelligence artificielle, qui permet de simuler la pensée d’un expert (médecin en l’occurrence).
Ces systèmes existent depuis les années 65 où fut créé Dendral, le premier système expert. Il permettait une analyse chimique des constituants d’un matériau. En médecine, le logiciel Mycin, créé en 1972 avait pour objet le diagnostic des maladies du sang et la prescription de médicaments. Le projet Sachem mis en place dans les années 90 aidait au pilotage des hauts-fourneaux en analysant les données en temps réel. Qu’en est-il à présent ?
La place du diagnostic
D’une manière générale, dans la conception classique, ces systèmes utilisent des bases de faits, des bases de règles et un « moteur d’inférence ». Sans entrer dans les détails, ces moteurs ont pour but de rechercher des faits à découvrir, et de remonter à des faits connus. C’est un peu le principe d’acquisition des connaissances : on essaye grâce à l’expérience de prévoir l’attitude à adopter et les décisions à prendre face à des faits dont on ne connait pas encore la nature, et grâce au résultat obtenu, d’enrichir la connaissance. C’est le principe de tout système intelligent. Les plus évolués sont ceux qui équipent les drones, et qui sont capables de prendre des décisions immédiates quant à la direction de leur vol, grâce à une foule de données qui répercutent au système les aléas climatiques, géographiques, environnementaux, etc.
En médecine, comme on l’a vu, tout passe par le diagnostic qui est une démarche incontournable pour prendre une décision et mettre en route un traitement. D’où l’obsession qu’ont eu tous les systèmes experts de poser un diagnostic. Le prototype de ce type de raisonnement est semblable au diagnostic de panne que font les garagistes. Une telle démarche suppose plusieurs prérequis :
- que l’ensemble du fonctionnement de la machine soit connu
- que l’ensemble des diagnostics de panne soit connus
- que la façon de formuler les symptômes de la panne ne soit pas l’objet d’équivoque
Aucun de des principes ne sont applicables en médecine. En effet :
- Le corps humain est encore le siège de bien des mystères
- On est loin de connaître tous les diagnostics dont peut souffrir le corps humain
- La façon de formuler les symptômes est éminemment culturelle et dépend de la personne malade.
De plus, notamment en médecine d’urgence, il est très courant que l’on soit incapable de poser un diagnostic, alors qu’on est tout à fait en mesure de prendre une décision et de donner un traitement. La médecine dont le but, soit dit en passant n’est pas de faire un diagnostic mais de soigner les personnes malades, peut tout à fait se passer du diagnostic. Celui-ci n’est que l’un des éléments de la décision (on peut envoyer à l’hôpital un patient en raison de son état et sans connaître le diagnostic) et du traitement (on peut donner un traitement contre les symptômes sans connaître non plus le diagnostic).
Enfin, il faut prendre en compte la variabilité des attitudes diagnostiques et thérapeutiques en médecine, qui sont le fruit des conférences de consensus qui évoluent chaque jour.
Par conséquent, aborder la maladie comme une panne de moteur est d’emblée vouée à l’échec. Il faut donc penser différemment.
L’image qui m’a été donnée par l’un de mes confrères de SOS Médecins est qu’en médecine d’urgence, on raisonne plus en « maquignon » qu’en « garagiste ». Un maquignon est un expert qui peut dire qu’un cheval est un bon cheval, et qu’un autre n’en est pas un, simplement en le voyant passer. Le maquignon a, du fait de son expérience, toutes les raisons pour justifier sa décision. L’interroger pour obtenir des bases de faits et des bases de règles s’avère extrêmement complexe, car s’ajoutent à ces faits objectifs (il traîne la patte, il a une allonge insuffisante, etc.) des éléments subjectifs (il n’a pas l’air très dynamique, son propriétaire est un sale type, etc.). Ces éléments peuvent sembler lointains, mais dans de nombreuses circonstances, ils peuvent entrer dans sa décision. Un homme n’est pas un cheval, loin de là, et il est beaucoup plus complexe puisque c’est un être pensant qui ne se contente pas d’être un simple objet d’observation.
Quelques problématiques courantes en médecine :
- Faut-il hospitaliser cette personne âgée dont l’état de santé nécessiterait une hospitalisation à des fins diagnostiques, alors qu’elle vit seule avec un chat, et que la séparation d’avec cet animal hypothéquerait considérablement le pronostic ?
- Faut-il envoyer sur le champ un médecin d’urgence chez cette jeune femme qui a l’impression horrible de mourir, alors qu’il est fort probable qu’il ne s’agit que vraisemblablement d’une attaque de panique ?
- Quel traitement faut-il donner alors que l’on a aucune idée du diagnostic, et que la personne refuse tout traitement symptomatique ?
- Faut-il mettre cette personne sous antidépresseurs parce qu’elle vient de subir un chagrin d’amour ?
La quantité de facteurs qui entrent en jeu pour moduler une décision ou adopter une attitude est considérable. La puissance des calculateurs rend désormais possible le traitement des donnés en intelligence artificielle. Elle ne résout toutefois pas la problématique de la fiabilité des données qui y sont entrées. Il existe en effet à la base un problème d’ontologie, fondée entre autre sur la subjectivité du langage (par exemple, malaise veut-il dire nausées, perte de connaissance, mal à l’aise, vertiges, etc. ?). Cette complexité inhérente à la dimension culturelle et affective de l’expression de la maladie, rend les systèmes experts peu souples et finalement peu adaptés à la réalité quotidienne. Or, deux médecins différents, face à une même situation, sont en mesure de prendre la même décision et de la justifier avec des arguments qui peuvent être similaires ou différents.
La question est donc de savoir si l’intelligence artificielle est en mesure de reproduire la pensée d’un expert ? Vu l’état des connaissances actuelles dans ce domaine, il semble que non. On ne peut donc que très lointainement s’approcher avec de tels systèmes la complexité du raisonnement d’un expert.
La problématique du langage
Le langage utilisé par les patients est source de complexité. Quelques aspects :
- Le langage qui exprime la plainte, rend inobjectivable le recueil tel quel des données qui permettront de faire le diagnostic. Outre le fait que les mots ont souvent un double sens, ce qui en rend la compréhension mécaniquement difficile, ils ont une valeur affective et émotionnelle. Pour exprimer son mal, le patient fait souvent référence à des faits réels et personnels de son existence, qui échappent à toute qualification objective.
- Le temps est par ailleurs une donnée éminemment complexe à introduire dans un système expert d’aide à la décision. En effet un symptôme peut être répétitif, variable dans sa répétitivité même, variable dans son expression, soumis à un contexte fluctuant. Les médecins savent bien la difficulté qu’ils ont à faire préciser l’ancienneté ou la fréquence d’un symptôme.
- La mémorisation d’un symptôme est très hétérogène, car fondée sur l’émotion.
- Les mots employés sont source de confusion, les patients ayant tendance à utiliser un nom de maladie pour caractériser leur symptôme (j’ai une cystite, j’ai une gastro, etc.)
Cette problématique du langage nécessite que soit déterminée une ontologie fondée sur le langage des patients. Or les systèmes experts sont souvent développés par des médecins et/ou des informaticiens qui mettent en scène leur propre système de pensée et non celui du patient.
Le travail de recueil des données pendant près de 25 ans, m’ a permis de constituer une base de connaissance hiérarchisée des mots utilisés par les patients. Tout ce travail est désormais disponible dans un système appelé MVIR1 (médecin virtuel de première génération)
Les caractéristiques du système MVIR1
En préambule, il est nécessaire de préciser que ce « Médecin Virtuel » n’a pas la prétention de vouloir remplacer un jour le médecin. Le choix de ce terme est d’essayer de rapprocher le raisonnement du système expert de la pensée d’un médecin, c’est à dire prenant en compte toute la dimension émotionnelle, affective et humaine d’un médecin. Vaste chantier dont on ne verra sans doute jamais la fin !
Ce système est capable de faire 250 diagnostics d’urgence à partir des 130 symptômes que l’homme a pour exprimer une maladie. Il est en mesure de proposer à la suite d’un interrogatoire de 2 mn 30, les diagnostics possibles avec leur probabilité, les gestes à faire et à ne pas faire, les médicaments éventuels d’automédication primaire et secondaire, la décision à prendre, les secours à appeler avec le délai souhaitable, les éléments à surveiller en attendant les secours, le balisage de ce qui va se passer dans les heures qui suivent. Et lorsqu’aucun diagnostic n’est porté, il peut proposer une décision, une conduite à tenir et les éléments de surveillance.
Les années passées à recueillir le langage des patients m’ont permis de mettre au point un système qui possède les caractéristiques suivantes :
- Il prend en compte la valeur émotionnelle de la plainte du patient
- L’ontologie a été établie à la fois à partir du langage du médecin, mais surtout à partir de celui du patient.
- Le système est compassionnel et son niveau de compassion peut être réglable.
- Il est en mesure d’être auto-apprenant, pourvu qu’il dispose d’un retour diagnostic.
- Il peut prendre une décision même s’il ne dispose d’aucun diagnostic
- Sa décision peut être justifiée logiquement
- Les questions qu’il pose sont paramétrables en fonction du contexte (centre d’appel médicalisé ou non, site internet, mallettes de télémédecine, etc.), et du niveau de qualification médicale de la personne qui l’utilise
- Il intègre peu à peu les expressions des patients pour qualifier leurs symptômes et constitue un glossaire qui viendra nourrir une prochaine interface en langage naturel.
- Il permet de faire de l’épidémiologie géolocalisée et en temps réel.
- Il prend en compte les épidémies en temps réel.
- Les probabilités diagnostiques ont été établies à partir des données de la littérature médicale lorsqu’elles existent, et de l’expérience des médecins d’urgence lorsque ces données n’ont pu être retrouvées. Il est donc paramétrable en s’appuyant sur les données épidémiologiques réelles.
- Les décisions sont adaptables au système sanitaire de tout pays.
- On peut y introduire des éléments thérapeutiques aussi bien destinés aux médecins, qu’à des utilisateurs de médecines traditionnelles locales.
Ce système s’est volontairement écarté du système des moteurs d’inférence qui ne peuvent pas prendre de décision pertinente si aucun diagnostic n’a été posé. Une expérience avec les Champs de Gallois a également été rapidement abandonnée. De la même façon on a renoncé aux réseaux bayésiens qui, lorsque les données sont trop importantes, sont incapables de prendre une décision. Le système qui a été développé s’apparente à de la logique floue.
Ce système a fait l’objet d’une évaluation par SOS Médecins, a été confronté à des expériences réelles du samu, et a « examiné » environ 300 patients dans le cadre des Urgences de l’Hôpital Lariboisière à Paris.
Système expert et télémédecine 3.0
Le MVIR1 n’est encore qu’un système 2.0. Il ne deviendra intégrable à la télémédecine 3.0 que lorsqu’un réseau de retour diagnostic de type ville-hôpital sera mis en place avec récupération automatisée des données.
Toutefois, dans sa version 2.0 il est en mesure :
- de s’intégrer à toute prise d’appel de régulation (Samu, SOS Médecins, Permanence de soins, etc.), tel que spécifié dans le Livre blanc de Décembre 2009 de l’Ordre National des Médecins
- de s’intégrer à une mallette de télémédecine pourvue de capteurs (tension, oxymétrie, ECG, etc.)
- de s’intégrer à tout type d’écran tactile (bornes interactives, smartphones, Ipad…)
- d’aider un médecin non urgentiste à l’évaluation d’une situation d’urgence, ou d’aider un non médecin pour assister un médecin distant dans le cadre de la délégation des tâches
- d’être implémenté sur tout système embarqué (avions, bateaux, etc.)
Ce système a comme avantage :
- d’être insensible à la fatigue (au bout de 3 heures de régulation, un médecin est moins efficace)
- de ne rien oublier
- de laisser au médecin qui l’utilise son libre arbitre
- d’assurer une traçabilité totale des données médicales qui y sont entrées
- d’aider à l’amélioration de la séméiologie (étude des signes des maladies)
Il est opérationnel. Dès aujourd’hui.
Tags: aide à la décision, base de connaissance, base de faits, base de règles, intelligence artificielle, logique floue, moteur d'inférence, MVIR1
[...] vers un passage de la medecine à la santé 2.0 [...]
Article de fond très intéressant mais absolument opaque techniquement,
Quel langage/logiciel avez-vous utilisez pour son développement ?
si je lis bien entre les lignes, vu la complexité du système, il n’est pas libre de droit ?
-Combien pourrait-il coûter ?
-Est-il applicable à un autre domaine d’activité ?
salutations
zzlinks
Comme je vous l’ai écrit dans un mail privé, ce type de logiciel n’est effectivement pas libre de droit, il a réclamé 25 années de développement et est basé sur des principes de logique floue.
Le développement est fait en sql. Il n’utilise aucun software existant, c’est une création pure from scratch.
Il est actuellement dans sa version professionnelle destiné à la régulation des urgences, soit dans un standard de Permanence des soins, soit dans un service d’urgence pour le tri des patients. Il est en mesure de suspecter 230 diagnostics d’urgence simplement à partir des symptômes exprimés par le patient. Il est embarquable dans une mallette de télémédecine (projet en cours, mais très long).
Il est applicable à d’autres utilités (diagnostic de prévention primaire, diagnostic de pathologies, suivi post-opératoire…). On pourrait en effet en modifiant l’ontologie l’appliquer à d’autres domaines comme la Bourse ou le calcul de risque en général.
Dr Loïc Etienne
Article très intéressant et blog très riche en informations. Merci
Merci de votre soutien.
Bonjour,
Notre équipe travaille activement sur la création d’une plateforme téléphonique de santé.
Nous suivons votre travail depuis plusieurs mois.
Est il possible de se rencontrer pour discuter langage, logique floue, bases de données et autres sujets?
Très cordialement
Didier EVRARD