Télédiagnostic : le diable est derrière les mots

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Télédiagnostic ! Quoi de plus naturel dans ce terme dès lors qu’on parle de télémédecine ? En fait, le pire et le meilleur se cachent derrière ce mot.

Télédiagnostic signifie « diagnostic à distance ». C’est simple. Mais si on y regarde de plus près, la notion de diagnostic recouvre un ensemble d’éléments qui sont incompatibles avec la distance. Peut-on donc véritablement parler de télédiagnostic pour toutes les situations, et ce terme est-il approprié tant qu’on n’en sera pas au stade de médecine 3.0, c’est à dire d’ici quelques années ?

C’est quoi un diagnostic ?

Ce sujet a été longuement développé dans  » le diagnostic étape magique de la raison « . Certains points méritent d’être précisés :

  • Mis à part un nombre limité de diagnostics (par exemple abcès, paralysie faciale, otite, asthme…) ce sont les examens complémentaires (imagerie médicale, prise de sang, prélèvements, etc.) qui font le diagnostic. Aucun médecin ne se risquera à poser avec certitude le diagnostic d’appendicite par exemple sans examens complémentaires. Tout ce qui n’est donc pas diagnostic formel effectué par un interrogatoire et un examen clinique relève de la « suspicion diagnostique » et non du diagnostic. La nuance est de taille.
  • L’interrogatoire peut être effectué sans voir le patient (par téléphone par exemple), mais il manquera au médecin les éléments de communication non verbale (gestes, attitudes, etc.). La web cam pallie à cela. Mais il lui manque l’odeur (difficile par web cam de voir si une personne sent l’alcool par exemple), le toucher si porteur d’empathie, et l’impression générale, empreinte de subjectivité certes, mais si importante pour mener un interrogatoire pertinent.
  • Un examen clinique repose sur la vision (ce que les médecins appellent l’inspection), l’audition,mais également sur la palpation, la percussion, l’auscultation, et la réalisation d’examens simples (examen des orifices directement ou avec des appareils simples, électrocardiogramme, bandelettes urinaires, etc.).
  • Se rajoute à cela le lieu : au cabinet du médecin, certains éléments de la vie du patient manquent, qui sont par contre présents au domicile ou dans le milieu de vie. C’est ce qu’on peut appeler la vision parcellaire du patient.  Ces éléments sont souvent très éclairants pour suspecter un diagnostic. D’où l’intérêt au passage de rappeler l’importance de la visite à domicile. Une web cam au domicile du patient sera plus éclairante que dans la froideur clinique d’un cabinet de consultation virtuel. Mais avec toujours avec cette limite, que le patient peut à domicile masquer, voire maquiller certains aspects de son environnement et donc induire le médecin en erreur.
  • Là où intervient réellement le télédiagnostic, c’est dans le domaine de la téléexpertise : un praticien distant effectue un diagnostic à distance par la visualisation de données issues de l’imagerie. On ne peut donc pas parler de télédiagnotic, mais plus exactement de « télétransmission de données permettant de faire un diagnostic ». Cela existe depuis des années, et la seule limite est la qualité de la compression des images et la taille des tuyaux. On peut désormais avoir des images d’une qualité exceptionnelle sur un simple I-Phone.

Le diagnostic en lui-même ne sert pas à grand chose s’il n’est pas suivi de plusieurs éléments indispensables :

  • La décision. Comme on l’a vu dans la notion de médecin virtuel, la décision repose sur le diagnostic, mais également sur l’état du patient, lequel se passe difficilement d’une présence physique.
  • Le traitement. Lorsque l’acte thérapeutique est un geste qui nécessite une présence physique (manipulation, injection, manœuvre, etc.), l’intervention d’un effecteur est obligatoire (médecin, infirmière, etc.). Et s’il s’agit d’une prescription, elle doit être transmise. Les médecins hésitent beaucoup aux prescriptions à distance, en particulier en raison de l’absence d’examen physique. Mais cela peut s’envisager pour certains diagnostics, notamment lorsque celui-ci a été posé par des examens complémentaires.
  • Le suivi thérapeutique. Il est plus aisé à distance -à la restriction faite concernant l’examen clinique- parce que le diagnostic a déjà été posé.

Toutes les actions ce qui vont suivre le diagnostic sont donc malaisées à réaliser à distance, voire impossible. Un télédiagnostic sans décision, traitement et suivi ne sert donc pas à grand chose.

Et pourtant…!

Le terme de télédiagnostic peut par contre s’envisager si on y met certains aggiornamentos :

  • D’abord, il ne s’agit pas -pour l’instant du moins en l’état de la technique- de diagnostic, mais, comme on l’a vu, de suspicion diagnostique. Appelons cela un « pré-diagnostic », ce qui correspondra mieux avec la réalité des faits.
  • Ensuite, un prédiagnostic effectué à distance est dépourvu d’un certain nombre de caractéristiques qui sont indispensables au médecin pour le diagnostic : la palpation, l’impression générale liée à l’environnement, tout ce qui fait la réalité « intuitive » lié à la présence physique. En revanche, le prédiagnostic effectué par l’intermédiaire d’un ordinateur possède un avantage certain qui est la traçabilité, à la condition que tous les éléments constitutifs de l’interrogatoire soient stockés en base de données. C’est là où intervient la force d’un système expert d’aide à la décision. Sans ce type d’outil, il n’y a aucune sécurité au télédiagnostic, les images d’un dialogue pouvant facilement être modifiées par la suite. La conséquence juridique n’est pas négligeable.
  • Enfin, l’examen par web cam ne rend compte qu’une très petite partie des éléments cliniques. Tout au plus peut-on envisager de voir une lésion cutanée (avec une forte limitation liée à l’absence de vision en relief), d’examiner une gorge, les pupilles ou le blanc de l’oeil. Tout cela est bien mince ! Il manque en particulier diverses mesures comme la tension artérielle, la saturation en oxygène, l’électrocardiogramme, la mesure de la glycémie,  etc. Il apparait de façon évidente sur ce point, qu’en l’absence de capteurs effectuant ces mesures on ne peut raisonnablement envisager un prédiagnostic, et a fortiori un diagnostic. En revanche, une mallette de télémédecine équipée de ces capteurs est en mesure de faire cela. Mais c’est insuffisant. En effet, 17% seulement des diagnostics d’urgence (au nombre de 230) peuvent être portés grâce à ces capteurs, et à la condition que l’interrogatoire ait été correctement mené. Il faudrait donc y adjoindre des capteurs plus évolués comme une auscultation,  le ressenti de la chaleur, l’examen des oreilles, voire la palpation grâce à un gant avec retour de force. De tels outils sont encore dans les cartons et ne verront pas le jour avant quelques années.

A ce jour, la notion de télédiagnostic par web cam est donc au mieux un abus de langage, au pire une escroquerie intellectuelle. Au mieux peut-on parler de « téléconsultation » tel que ce terme est défini dans les décrets d’application de la Loi HPST. Et dans ce cas, une téléconsultation -qui a de fait des limites- prend tout son sens car son but n’est pas forcément de faire un diagnostic.

Au dela du diagnostic

Au delà, il y a en effet bien plus important que le diagnostic dans une consultation à distance, c’est la relation entre le médecin et le patient. Et c’est sans doute là que se trouve le véritable intérêt de la téléconsultation. Encore faut-il que l’on essaye pas de « singer » une consultation réelle en pensant que peut s’y substituer une consultation virtuelle. Il faut utiliser la force de la distance et les avantages de ce média dans des objectifs bien spécifiques :

  • Etre distant permet au médecin de …prendre de la distance, donc du recul, et donc de la pertinence face à une problématique. Une autre façon de voir un problème apporte souvent bien des éclaircissements.
  • L’absence de contact physique est porteur parfois d’une certaine libération de la parole, le patient osant parfois exprimer certaines choses qu’il n’aurait pas dites au cours d’un face à face. La distance induit une dimension psychanalytique que l’on peut comparer à celle qui existe entre le patient sur son divan qui ne voit pas son psychanalyste. Certaines expériences en psychiatrie par téléconsultation ont fourni des résultats intéressants sur ce point.
  • On peut penser que la téléconsultation apportera à terme une dimension complémentaire à la consultation, comme le téléphone a apporté à la communication entre les hommes une dimension qui n’était pas imaginable tant qu’il fallait une présence physique.

Enterrons donc bien vite ce terme de télédiagnostic par web cam, tant qu’on ne disposera pas d’outils intelligents tels que ceux que fournira la télémédecine 3.0. Il serait d’ailleurs temps que l’on arrête de limiter la télémédecine à la médecine 2.0 et à la web cam comme on le fait depuis quelques années. Il y a bien d’autres choses à imaginer et à utiliser : des systèmes experts, des capteurs intelligents, des serious games, des compilateurs de données sur le langage des patients, bref, développer une pensée 3.0 !

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3 Réponses à “Télédiagnostic : le diable est derrière les mots”

  1. [...] vers un passage de la medecine à la santé 2.0  [...]

  2. Anonyme dit :

    Bravo, enfin un article précis sur le sujet, avec une perspective qui nous fait aller au delà des sempiternelles redites des symposium de tous bords sur le sujet de la télé médecine, qui culminent dans la contemplation d’une visioconférence dans les contreforts des Cévennes.
    Et qui désolent tous ceux qui voudraient enfin voir avancer cette révolution dans l’art médical.

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