Paiement à la Performance : on achève bien les chevaux !

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Le Paiement à la Performance (P4P), subrepticement et insidieusement, fait entrer l’économie de la santé dans une nouvelle ère qui rompt avec les principes fondamentaux de la relation médecin-patient.

Le paiement à la performance n’est pas une nouveauté. Son ancêtre est le CAPI (Contrat d’amélioration des pratiques individuelles) fondé sur le volontariat des médecins sélectionnés par l’Assurance Maladie et mis en place par elle entre 2008 et 2011. Par ce moyen, la CNAM sensibilisait les médecins à améliorer leur pratique. Cette intrusion de l’assureur dans la pratique médicale avait toutefois été dénoncé par l’Ordre National des Médecins comme antidéontologique. Depuis Novembre 2011, le clou est bien enfoncé.

Les bonnes raisons

  • Comme le dit Fréderic Van Roekeghem, Président de la CNAM : « Si on a mis en place le paiement sur objectifs, c’est parce que les résultats moyens de santé publique ne sont pas bons ! Nous avons analysé tous les résultats par département. Ils sont hétérogènes, et parfois mauvais, même si les médecins, individuellement, ont le sentiment de bien faire… « . L’intention, louable, est donc d’améliorer les pratiques médicales selon les objectifs de santé publique. La vision en est donc globale, statistique et économique.
  • Elle a aussi sans doute pour but d’améliorer la santé publique par une systématisation des protocoles pour diverses pathologies chroniques (diabète, hypertension, maladies cardio-vasculaires…)
  • Elle permet d’améliorer les politiques régionales de santé en suivant l’évolution des indicateurs.

Les questions qu’on peut se poser

  • Mais n’est-elle pas aussi un peu une façon d’enterrer un peu plus la pratique libérale française dans l’un de ses fondements qui est le paiement à l’acte ?
  • N’est-elle pas non plus en fait -et surtout- un moyen détourné d’imposer un blocage de toute évolution tarifaire pour les médecins pendant 5 ans ?
  • Et puis n’est-ce pas non plus dans la droite ligne du complexe intellectuel bien français qui persiste à considérer que l’herbe est toujours plus verte ailleurs, et à appliquer un peu aveuglement des recettes expérimentées chez nos voisins ?

Les expériences étrangères

  • Auparavant, les pays anglo-saxons avaient mis en place dès 2001 aux USA et au Royaume Uni, des programmes de P4P, ce qui signifie « Paiement à la Performance ». Les études à ce sujet montrent des résultats mitigés puisque l’amélioration de la prestation du médecin sous contrat n’améliore pas la qualité du service global au patient.(1)
  • De plus il existe des effets collatéraux, voire pervers qui permettent au médecin d’exclure les patients non observants afin de ne pas baisser ses performances et donc sa rémunération forfaitaire.
  • D’autres études (2) mettent en évidence le contraste qui existe entre les bons résultats au plan de la réalisation des performances selon certains indicateurs, et les mauvais selon d’autres indicateurs. Nos grands-mères résumaient cela selon la formule « déshabiller Pierre pour habiller Paul ».
  • D’autres études vont plus loin (3), en montrant que le P4P utilisé aux USA pour les médecins généralistes augmente les disparités ethniques en matière de santé au lieu de les réduire. En effet, les populations défavorisées ne peuvent pour raison économique être aussi performantes qu’on le souhaiterait en matière de santé, ce qui amène le médecin à se focaliser sur les indicateurs les plus rentables au détriment des autres. De plus, les médecins y voient leurs revenus baisser car la population pauvre qui bénéficie du Medicaid ne pouvant être conforme aux exigences de performance ne permet pas au médecin de toucher la prime.
  • Une dernière étude Australienne publiée par Cochrane coll en Septembre 2011 confirme l’absence de preuves significatives du paiement à la performance sur l’amélioration de la qualité des soins.

Ces résultats plus que contrastés n’ont cependant pas empêché la CNAM d’emboiter le pas à cette mesure en proposant un P4P à la française, que les Syndicats médicaux ont signé en bloquant les honoraires pour 5 ans contre une prime annuelle de 9100 € maximum, soit d’après les estimations, environ 6000 € par médecin. Nos mêmes grands mères toujours, auraient dit que cela revenait à  « vendre son droit d’ainesse pour un plat de lentille ».

Les postulats du P4P

L’utilité du P4P peut s’envisager à la lumière de différents postulats :

  • L’amélioration de la santé publique mesurée en termes d’indicateurs est superposable à l’amélioration de la santé individuelle.
  • Les indicateurs sélectionnés témoignent incontestablement de la bonne santé des individus
  • La réalisation des performances aura de façon certaine un effet positif sur la santé de la population
  • Lier l’activité du médecin à des critères de performance n’aura que des influences bénéfiques sur la qualité de son exercice
  • Le patient est un être docile qui observe scrupuleusement les conseils et injonctions de son médecin
  • Le besoin de réalisation des performances par le médecin n’entraînera de sa part aucune mesure discriminatoire sur le choix de ses patients
  • Et, corrolaire, il n’y aura aucun patient laissé au bord du chemin pour manque de résultat

On voit clairement en examinant ces quelques postulats, que l’introduction de la performance au sein de la relation thérapeutique va faire bouger certaines lignes :

  • à l’obligation de moyens va peu à peu se substituer pour le médecin la notion d’obligation de résultat, ce qui serait concevable si le patient était une machine ou un animal, mais en aucun cas un être humain.
  • à la prescription libre et éclairée du médecin va se substituer la prescription encadrée selon des critères dont on peut supposer qu’ils ne sont pas que scientifiques, mais également économiques.
  • à la prise en compte de la situation individuelle de chaque patient va se substituer la nécessité pour le patient et pour le médecin de respect des normes collectives.

En résumant de façon lapidaire : le couple médecin-patient devient un attelage engagé dans une course à la réalisation de performances. « On achève bien les chevaux ! »

Comment peut-on avoir aussi peu de respect de la personne du médecin et de celle du patient, autrement dit des individus, pour assujettir la relation médecin-patient à des normes qui n’ont pas fait leurs preuves (cf. les expériences étrangères), et faire entrer « l’attelage médecin-patient » dans une course dont les Pouvoirs Publics et l’Assureur fixent les règles, tout en prétendant que tout cela est fait pour le bien du pauvre cheval qui court indéfiniment et à perdre haleine pour le maintien des performances qu’on lui réclame ?

Bref, ne sommes-nous pas en train de soumettre une fois plus notre santé, et finalement notre société au pouvoir du véritable maître du jeu : l’économie ?

Bibliographie

(1) Coleman K., Hamblin R. – Can Pay-for_performanceImprove Quality and ReduceHealthdisparities, PloSmedecine, 4, (6) e216 : 984-5

(2) Bevan G, Hood C – Have targets improved performance in the English NHS? BMJ. 18;332(7538):419-22.

(3) Casalino LP, Elster A (2007) – Will pay-for- performance and qualityreporting affect health care disparities? HealthAffairs, 26, no.3 w405-w414

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