Le paiement de l’acte médical est-il révolu ?

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Paiement de l’acte médical, et paiement à l’acte sont-ils superposables, comme les 2 facettes d’une même médaille ? La suppression de ce paiement ne va t-elle pas nuire à la qualité de la relation ?

Un acte médical peut-il se passer de paiement ? La gratuité d’un acte médical n’est-elle pas une illusion ?  Un acte que l’on ne paye pas (d’une manière ou d’une autre) a t-il la même valeur (symbolique, émotionnelle) et la même portée (physique et psychologique) qu’un acte que l’on paye ? Et de la même façon, pour le médecin, un acte qui ne lui est pas payé directement provoquera t-il chez lui la même implication, et ne réduira t-il pas son action thérapeutique ? Toutes ces questions sont dérangeantes, sans doute, mais on ne peut les écarter évasivement.

Fort différente est la question du paiement à l’acte, qui ne remet pas en question le fait de payer l’acte, mais la façon de rémunérer cet acte. On ne peut répondre logiquement à cette question du paiement à l’acte sans avoir répondu à la question du paiement de l’acte. C’est dans cet ordre que nous le ferons.

Le paiement de l’acte

Le paiement de l’acte est une étape naturelle dans le cadre libéral de la relation médecin patient. Semblent y échapper en apparence, les actes médicaux hospitaliers ou intervenant dans le cadre d’un salariat (médecine du travail par exemple), et les actes gratuits pour l’assuré dans le cadre de la CMU (Couverture Médicale Universelle), de l’AME (Aide Médicale d’Etat), ou de la Médecine Humanitaire. En fait le paiement revêt plusieurs aspects qui ne sont pas que financiers.

  • Le plus évident en effet, est que tout travail quel qu’il soit mérite salaire, le médecin comme les autres. Cet point est d’autant plus évident à rappeler que les charges dans le monde libéral sont très importantes et que l’Etat lui-même compte sur ces charges pour positiver son Budget. Les règles de paiement sont définies par la Convention Médicale qui est  passée entre les médecins et les Organismes assureurs (Caisse Nationale d’Assurance Maladie et Mutuelle Sociale Agricole d’une part, Mutuelles d’autre part). En ce qui concerne les actes de CMU (Couverture Médicale Universelle) et d’AME (Aide Médicale d’Etat), le médecin est payé directement par la Caisse, le patient ne faisant l’avance d’aucun frais. Et pour les médecins salariés ou bien exerçant dans le cadre de la Médecine Humanitaire, les relations financières sont celles du monde habituel du travail. Il n’est donc d’acte réellement gratuit que si le médecin y renonce pour diverses raisons (confraternité, personne indigente et ne bénéficiant d’aucune aide, décision personnelle du médecin de ne pas demander d’honoraires, etc.).
  • Les honoraires (mêmes s’ils sont offerts par le médecin) sont également la contrepartie au contrat moral qui unit le médecin au patient dans le cadre de leur relation réciproque. Sans paiement, le contrat est léonin car il faut une contrepartie à toute chose dans le cadre d’un accord. Avant l’avènement de la Sécurité Sociale, les honoraires étaient parfois payés au médecin en nature, notamment dans les campagnes, sous forme de produits de la ferme ou par services offert en contrepartie.
  • Dans le cadre du salariat, il n’y a pas de paiement direct du médecin, mais participation du patient selon des tarifs précis à l’économie de fonctionnement de l’hôpital. Un hôpital gratuit ne permettrait en effet pas de payer les professionnels qui y exercent. L’acte est alors fixés selon des normes tarifaires. Il faut toutefois préciser que la T2A (Tarification à l’Activité), a fait franchir un pas, puisque de facto l’hôpital est devenu une entreprise qui se doit sinon d’être rentable, du moins d’équilibrer ses comptes. Le secteur privé des cliniques, lui, se doit d’être rentable puisque des actionnaires ont investi pour sa création. On voit que sur cet aspect, un élément moral vient s’insinuer car on peut se demander s’il est véritablement moral d’augmenter sa richesse sur la souffrance des gens. Cette question doit alors se poser sur tous les points de la vie humaine :   la naissance, la mort, la nourriture, l’eau, etc.
  • Un autre aspect réside dans le mot « honoraires ». Même si le fait d’être « honoré » ou d’ »honneur » est bien éloigné et distinct du mot honoraires, la proximité verbale avec cette notion montre que le médecin attend par là une reconnaissance qui n’est pas que financière. Par le paiement, le patient fait montre d’une certaine reconnaissance au médecin. Cette reconnaissance va au delà de la gratitude d’un individu pour un autre, elle donne au médecin une légitimité à son Art et à la place que la société lui confère. Cette reconnaissance du statut permet d’entretenir un certain mythe du médecin qui favorise les vocations. On voit bien par comparaison que la crise des vocations chez les instituteurs tient en partie à cette déconsidération qui a été faite de ce métier depuis un demi-siècle.
  • Le paiement a également une dimension psychanalytique. Elle permet d’accomplir un certain transfert du patient vers le médecin. Ce transfert n’est pas que psychologique, il nourrit l’effet placebo dans lequel le patient puise pour guérir. Sans don de quelque chose, même du domaine de l’immatériel, le patient ne pourra pas effectuer cette démarche puisque ce bien il ne l’a pas acquit. Un acte qui ne vaut rien n’a par définition aucune valeur. Comment un acte sans valeur peut-il soigner autrement que par la seule  force des médicaments, qui dans bien des cas ne peut se passer de l’effet placebo ? Les patients le savent bien qui ne souhaitent pas être soignés par un distributeur ou une machine, mais par un médecin réel.
  • Le paiement est le sceau qui engage la responsabilité du médecin. Si l’on imaginait un acte totalement altruiste, sans la moindre contrepartie, trouverait-on des médecins qui accepteraient d’engager leur responsabilité pour rien. Et dans ce cas comment pourrait-on se retourner financièrement contre un médecin fautif ? Le paiement a donc une dimension opérationnelle dans la notion de responsabilité médicale.
  • La société, l’assureur et les Pouvoirs Publics enfin, ont besoin également de cette notion de paiement, car c’est en partie grâce à cela que l’on peut suivre l’évolution de la société en terme de santé publique et de mesurer l’économie de la santé qui s’y rattache.

Ces multiples facettes du paiement sont « consubstantielles » à la réalité de l’acte et au devenir de la relation médecin-patient dont on peut considérer qu’elle fait partie intégrante. Même s’il n’en est pas le but, le paiement constitue en quelque sorte la clef de voûte de la relation médecin-patient, comme s’il en scellait en quelque sorte l’accomplissement. On peut donc conclure qu’il serait illusoire d’envisager qu’un acte médical puisse être d’une gratuité totale (c’est à dire sans la moindre contrepartie quelle qu’en soit la nature), puisque médecin comme patient ont besoin d’une contrepartie pour que leur relation existe dans leur esprit à tout deux.

Le paiement à l’acte

L’acte médical a une valeur simple à cerner si on s’en tient à la nomenclature des actes : un médecin effectue une prestation, laquelle est cotée et donne lieu à un paiement selon des barèmes fixés par la Convention. Très simple en apparence.

C’est en fait beaucoup plus complexe, car :

  • certains actes médicaux peuvent être largement surcotés si on compare le service rendu au patient par rapport à la hauteur de la rémunération, et à l’inverse d’autres sont sous-cotés. Par exemple,au prix d’une consultation, un simple certificat d’aptitude au sport, ou un simple renouvellement d’ordonnance qui n’a demandé qu’un temps minime ne sont-ils pas surcotés, par rapport à une consultation approfondie sur un problème complexe qui aura pris une demi-heure ou trois-quart d’heure.
  • Les dépassements effectués par les médecins, montrent qu’il existe une part variable dans l’acte. Ils sont pour le médecin un moyen de revaloriser un acte qui n’a subi que très peu de revalorisation alors que le coût de la vie a augmenté considérablement ainsi que les charges (URSSAF, CARMF, etc.). En l’absence de revalorisation conséquente, ce que l’Assurance Maladie ne peut faire dans le contexte actuel et en raison de soin déficit, l’ensemble de la profession médicale a nettement augmenté cette part variable de l’acte.  Le problème est que les dépassements pénalisent les patients les plus pauvres qui eux aussi ont des problèmes financiers souvent très sérieux. Le code de Déontologie a fixé pour encadrer cette pratique la notion de tact et mesure, mais les dépassements sont souvent trop lourds au point que des patients renoncent à se soigner. Quadrature du cercle que traduit le blocage des négociations syndicales de cette fin d’année 2012.

L’acte du médecin comprend (qu’il y ait ou non dépassement)  une part fixe qui est le simple fait d’effectuer un acte médical, et une part variable qui est liée à plusieurs éléments :

  • Le temps qu’il y consacre : c’est ce qui se passe pour les consultations d’avocat ou les transports en taxi. Le taux horaire du médecin a une certaine valeur qui peut être calculé. Un médecin qui est employé hors de son cadre habituel d’exercice est rémunéré entre 3 et 5 C de l’heure (C pour Consultation au tarif conventionné).
  • L’implication du médecin : c’est l’effort de recherche, d’analyse et d’implication psychologique que le médecin fournit au cours de son acte. Elle n’est pas mesurable, mais elle entre en ligne de compte dans la valeur intrinsèque de l’acte.
  • La qualification du médecin. Un médecin spécialiste est payé plus cher qu’un médecin généraliste parce qu’il effectue des actes plus techniques ou plus spécialisés. Ces actes sont cotés grâce à la nomenclature. Mais l’acte intellectuel en lui-même n’a pas de raison d’être surcoté. Cela signifierait dans ce cas, que la valeur intellectuelle de l’acte d’un médecin généraliste serait inférieure à celle d’un spécialiste. Il y a là un paradoxe, car si on accepte comme normal cet état de fait, cela veut dire qu’il y a des médecins et des sous-médecins, et une valeur apportée à l’acte intellectuel. Cela ne parait pas acceptable, et pourtant c’est entériné de fait dans la nomenclature au prétexte qu’un spécialiste a fait a priori plus d’années d’étude que le généraliste.

Le paiement à l’acte est par conséquent générateur de consumérisme, le médecin pouvant être tenté de multiplier les actes pour augmenter son chiffre d’affaires. Même si dans les faits cette pratique est marginale elle ne peut être exclue. D’où la tentation des Pouvoirs Publics d’y substituer en partie une part forfaitaire. C’est le système de la capitation mis en place depuis longtemps Outre-Manche. La « Dernière Tentation du Fisc » [le Fisc n'a rien à y voir mais je n'ai pu résister au jeu de mot] est celle de la mise en place de primes à la performance : plus on satisfait à des critères standards dits de « qualité », plus on est financièrement récompensé (9000 € par an). Cette initiative méritera qu’on s’y attarde car, même si les intentions sont louables, elle porte en elle le ferment d’une profonde atteinte à la relation médecin-patient.

Le paiement au temps passé

Le paiement à l’acte est le dernier vestige de la médecine libérale. Mais cela fait depuis 1947 que la médecine n’est plus vraiment libérale, puisque les actes sont remboursés. Les médecins tirent en fait des chèques selon des tarifs calibrés, sur le compte de l’Assurance Maladie et sur celui des patients. Le paiement à l’acte est-il encore adapté au monde actuel, on peut se le demander. Mais si l’on parle de forfaitisation ou de salariat, comment y inclure  le « supplément de valeur » de l’acte (au sens où l’on entend le « supplément d’âme ») fondé sur le temps passé, la compétence et l’implication, rien donc de ce qui est pris en compte dans la nomenclature et qui sont des composantes structurantes de la relation médecin patient ?

Ne serait-il pas plus intéressant, afin de conserver et pérenniser  le paiement à l’acte, d’indexer la part variable de l’acte au temps passé, ou plus exactement au type de consultation. En effet, actuellement plus un médecin passe de temps avec son patient, moins son temps est rémunéré. Comment ne pas comprendre un peu dans ce cas les médecins qui font de « l’abattage » ? Un moyen de valoriser la qualité de la relation serait par exemple :

  • Consultation de type 1 : consultation rapide pour problème simple (angine, renouvellement d’ordonnance, certificat, etc.), médecine fonctionnelle, acte simple, tarif de base.
  • Consultation de type 2 : consultation plus approfondie avec examen complet, interprétation des examens complémentaires. Cette prestation pourrait être réclamée par le patient ou part le médecin parce que l’un ou l’autre souhaite avoir du temps pour approfondir le problème. Dans l’une ou l’autre hypothèse le patient s’estimera mieux pris en charge et le médecin s’investira plus dans sa relation.
  • Consultation de type 3 : consultation longue, très approfondie, nécessite par un dossier complexe.

L’assurance maladie qui souhaite participer l’amélioration de la qualité rembourserait de façon croissante la part fixe et décroissante la part variable. On peut penser que ce type de mesure irait naturellement dans le même sens que ce que recherche la mise en place du Paiement à la Performance (P4P), tout en préservant la liberté de relation médecin-patient et sans éviter les effets pervers du paiement à la performance.

 

 

 

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