La nécessaire transversalisation de la médecine

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A l’heure où le nombre de spécialités médicales explose, les patients sont de plus en plus seuls face à leur maladie. L’origine de ce malaise est la verticalisation de la médecine.

Les réseaux sociaux, les associations de patients, le web 2.0, sont l’un des moyens d’échapper à cette solitude. Mais ce n’est pas suffisant. Seule l’introduction d’une réelle transversalité permettra de décloisonner la médecine pour le bien du patient, et de la connaissance médicale.


La verticalisation de la médecine

Au départ -disons jusqu’à la fin du XIX è siècle- tout était simple : les chirurgiens descendants des barbiers, et les médecins descendants … de Molière. Cette distinction entre ceux qui ouvraient les ventres et ceux qui les auscultaient témoignait d’une répartition simple des rôles. La révolution apportée par Claude Bernard avec la notion de physiopathologie a été à l’origine de cette fragmentation progressive de la médecine en spécialités qui s’est étirée sur une soixantaine d’années. De ce fait, le médecin censé être « omniscient » a abandonné peu à peu des pans de son savoir afin d’améliorer sa connaissance relative dans des domaines plus restreints. La conséquence est désormais pour le patient un partage de la gestion de son état par différents spécialistes, sous la houlette du médecin traitant. Ce système fonctionne mais on entrevoit ses limites, autant pour le patient qui a bien du mal à réunir ces « bouts de lui-même » que pour les médecins spécialistes qui se déchargent complètement de tout ce qui n’est pas leur spécialité. Le médecin traitant doit faire face à une tâche de plus en plus lourde qui consiste, pour chaque patient, à maintenir un tout à peu près cohérent. Il doit en effet faire face à plusieurs fronts simultanés :

  • La coordination, tant au niveau du dépistage, du diagnostic et du traitement de l’action des différents spécialistes
  • Les tâches administratives imposées par l’assurance maladie (la télétransmission en est un exemple)
  • L’information du patient dans le contexte de la santé 2.0
  • Le maintien de sa propre connaissance (Formation médicale continue)
  • L’intrication croissante du médical et du social.
  • La gestion qu’il doit assurer pour lui-même au plan patrimonial, fiscal et professionnel.

La médecine est donc un métier d’avenir, mais le médecin actuel a t-il un avenir ?

Le patient victime de la gravitation sociale

Du point de vue du patient, les fronts ne sont pas moins nombreux :

  • La relation interpersonnelle qu’il entretient entre la kyrielle de spécialistes qui s’occupent de lui et qui provoque sa parcellisation
  • Le combat qu’il mène avec chacune des pathologies dont il est atteint
  • La relation administrative avec les organismes payeurs
  • les informations qui lui viennent du monde 2.0
  • Le poids de plus en plus prégnant de la société sur son existence, à l’origine de pathologies surajoutées (stress, harcèlement, précarité, environnement…)
  • Le diktat de la prévention qui l’oblige de plus en plus à rester dans les normes

Cette sorte de gravitation engendrée par ces diverses contraintes complexifie son existence et explique que la santé soit devenue en quelques années la préoccupation majeure de notre société. En fait, la santé n’est plus le simple « silence des organes », elle est le fruit d’un équilibre précaire, sans cesse menacé par les divers fronts auquel le patient doit faire face.

Le vertige de la verticalisation

Il est clair que la prévention, la recherche et le partage de la connaissance sont trois moteurs importants du progrès en santé. Mais…

  • La prévention reste trop du domaine des injonctions générales  et souffre d’un manque évident de personnalisation. Lorsqu’on dit qu’il faut faire du sport pour rester en bonne santé, le simple bon sens pour une personne clouée sur place par de l’arthrose et un surpoids permet de relativiser cette injonction et montre la nécessité qu’il y a de l’adapter à la situation de la personne. De même, arrêter de fumer lorsqu’on est en surpoids ne relève pas forcément d’une stratégie cohérente : peut-être vaut-il mieux commencer par maigrir avant d’entreprendre le sevrage. Ces exemples et tant d’autres montrent que la verticalisation de l’information en matière de prévention, ce qu’on pourrait appeler aussi « pensée unique » ou « pensée normative » n’est plus adaptée à notre monde. La prévention personnalisée, qui participe de la prévention 3.0, est une nécessité, car elle permet à l’individu d’adapter son cas particulier à des injonctions normatives générales. Cela revient à échapper à la verticalisation de la prévention et à y introduire les éléments transversaux issus d’autres pensées, voire d’autres médecines. Autre problème lié à la verticalisation de la prévention, l’enfermement qu’il provoque dans des programmes de coaching. Là encore on découpe la personne en « diabétique », « hypertendu », « fumeur », etc. Or on peut tout aussi bien être tout cela à la fois et en plus être « cancéreux » (horrible enfermement !), asthmatique, ou handicapé. Cet enfermement dans des catégories contribue encore plus à parcelliser le patient de façon absurde.
  • La recherche souffre du même problème, chaque programme de recherche étant orienté de façon verticale par rapport à des pathologies spécifiques. Le défaut de communication transversale entre spécialités nuit à la connaissance globale en médecine.  Ce défaut n’est pas tant dû à la myopie des chercheurs qu’au cloisonnement produit par l’incommunicabilité du savoir. La recherche en neuro-immunologie est inaccessible au ryhmologue, de même que la recherche en médecine nucléaire est aux antipodes de la psychiatrie. Autant certains domaines comme ceux cités précédemment sont très disjoints, autant d’autres mériteraient une communication transversale, voire une recherche parallélisée et communicante. Si l’on n’avait pas compris que les lésions cutanées du zona provenaient de l’infection d’un ganglion nerveux dû à l’herpès virus, on continuerait à soigner cette maladie d’un simple point de vue dermatologique, alors qu’elle est tout autant du domaine de la neurologie que de l’infectiologie. La transversalité acquise grâce à la connaissance a permis grâce à l’action coordonnée de ces différents spécialistes de mieux gérer cette pathologie invalidante. Ainsi, pour rester dans le domaine de la dermatologie, le psoriasis reste quasi exclusivement l’apanage des dermatologues, alors que l’étrange symétrie des lésions de psoriasis et leur évident rapport avec le stress pointent du doigt la nécessité qu’il y aurait à y mêler de façon plus étroite neurologie et psychiatrie. Bien des piétinements sont dus à cette absence de transversalité qui est structurelle, mais également à l’absence de « passeurs de savoir ».
  • Le partage des connaissance est le fondement de la transversalité. Elle est valable d’une spécialité à une autre comme on l’a vu, mais également entre le médecin et le patient (de façon bilatérale comme en témoigne la santé 2.0 actuelle et bientôt la santé 3.0), mais aussi entre le médecins et d’autres métiers. Ce dernier point est important car sa première manifestation éclatante est la notion de délégation des tâches inscrite dans les décrets de la loi HPST. En raison du manque de médecins et de l’ouverture qu’apporte la télémédecine, des professionnels de santé non médecins seront nécessaires pour accomplir dans le futur, et sous l’égide du médecin, des tâches tout à fait gérables. Dans le domaine de la communication, les téléconseillers présents dans un Centre d’appel destiné à l’information deviendront forcément, à terme, détenteurs d’un savoir qui pourrait être exploité sur le terrain dans une optique de prévention personnalisée. Cela ouvre à la notion « d’assistants sanitaires », de la même façon qu’ont été créées jadis les assistantes sociales. Mais cela va plus loin si l’on considère que le rôle du médecin s’insinue de plus en plus sur le terrain du social. Les médecins jouent de façon croissante  un rôle d’assistante sociale, les « sociopathies » (burn-out, dépressions, somatisation…) investissant de plus en plus la vie des patients. Il y a donc là aussi un glissement de la profession médicale vers d’autres compétences complémentaires. Ce glissement est un début de transversalisation.

Les solutions

La verticalisation n’est pas une volonté des médecins et des Pouvoirs Publics d’enfermer les patients dans un ghetto, elle est tout simplement un manque d’imagination, et surtout un manque de courage de se confronter à la complexité. En effet, il est beaucoup plus commode de ne considérer qu’une simple pathologie (même si elle est complexe), que de s’attaquer à l’interaction entre elles de pathologies qui constituent pourtant bel et bien le quotidien du patient. Il va donc bien falloir un jour que les différents programmes de coaching aient l’intelligence de se coordonner sur des pathologies multiples. Mais pour cela il faudrait que les spécialistes cessent eux-même de s’enfermer dans une pensée verticale, et qu’ils élargissent leur vision.

Cela veut dire également accepter de s’attaquer à la complexité. Trop de programmes de prévention se contentent de bégayer les mêmes actions en les limitant à une seule pathologie (diabète, hypertension, surpoids…) alors qu’il serait plus judicieux de s’attaquer par exemple au syndrome métabolique (ensemble de problèmes interdépendants aboutissant à des désordres multiples). Mais pour cela, il faut penser large, complexe et … différent. « Think different ! », cette pensée de Steve Jobs devrait hanter les concepteurs de ces programmes. Plusieurs éléments sont nécessaires à prendre en considération pour ce résultat :

  • Faire confiance à la parole du patient. Les médecins et les épidémiologistes passent souvent à côté de la richesse du savoir du patient, justement par pensée simplificatrice.
  • Développer des machines intelligentes, c’est à dire capables de stocker des données intelligemment. Cela signifie décrypter la complexité de la pensée du patient, la stocker selon une ontologie différente des ontologies actuelles (CIM 10, SNOMED, etc.), la dater et la géolocaliser.
  • Accepter d’introduire dans le débat les données issues de la réflexion de ces machines, tout en sachant qu’elles sont comme la pensée humaine : faillibles.

Les TIC, une fois de plus, du fait qu’elles ont placé le patient au coeur du débat, sont un moyen d’instaurer cette transversalité. Mais ce travail ne peut se faire que si l’on sort de la médecine 2.0 telle qu’elle existe pour entrer dans un monde communicant, celui de la médecine 3.0.

 

 

 

 

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