Dépenser moins pour soigner mieux !

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Est-ce véritablement en augmentant les budgets accordés à la santé que l’on améliorera les soins ? Ne faudrait-il pas plutôt dépenser moins pour soigner mieux ?

Ce qu’il y a de frappant dans cette élection présidentielle, c’est que tous les candidats partent du principe que si l’on met plus d’argent dans un secteur, celui-ci va forcément s’améliorer. Aucun n’a le courage d’émettre l’hypothèse que ce qu’il faut peut-être améliorer ce ne sont pas les financements mais l’organisation du système et les comportements de l’ensemble des acteurs. Est-ce en augmentant le nombre de professeurs que ceux-ci feront moins de fautes d’orthographe et enseigneront mieux leurs matières ? Ou en augmentant le nombre de policiers qu’il y aura moins de délinquance ? Ce n’est en tout cas sûrement pas en augmentant le nombre de parapluies qu’on empêchera la pluie de tomber !

Voici quelques focus sur lesquels on pourrait, en pensant différemment, dépenser moins pour soigner mieux (pour paraphraser un slogan célèbre).

Des urgences ?

Les urgences hospitalières sont débordées, le 15 est parfois difficilement accessible en raison de l’encombrement du standard, les médecins de la Permanence des Soins effectuent leurs interventions dans des délais de plus en plus longs. Et ceci alors que l’état de santé de la population (mis à part la résurgence de maladies comme la tuberculose ou la rougeole) s’est amélioré, et que les grandes urgences que l’on voyait il y a 20 ou 30 ans ont disparu. Plusieurs raisons expliquent ce recours croissant aux urgences :

  • Une relative gratuité : bien des personnes démunies préfèrent se faire soigner aux urgences pour de la bobologie quitte à subir de longues heures d’attente
  • Une peur irraisonnée de la gravité des problèmes. Un excès d’informations alarmistes ou mal relativisées par les médias, l’obsession du risque zéro, et un manque d’outils d’aide à la décision en sont à l’origine. Nombre de jeunes parents se rendent aux urgences pour la moindre fièvre de leur enfant, là où les grands-mères gèrent le problème avec quelques médicaments d’automédication. Nombre de personnes angoissées encombrent le 15, le rendant parfois inaccessible, pour des problèmes sans la moindre gravité.
  • La culture de l’immédiateté : on veut des réponses immédiates et on a parfois du mal à admettre que le corps humain réagit aux agressions et se répare dans des délais incompressibles. L’urgence est souvent dans l’impatience. Les urgentistes ont coutume de citer cet aphorisme : « il n’y a pas d’urgences, il n’y a que des gens pressés ».
  • Les délais d’accès aux soins : ce qui était auparavant le fait de consultations dans certains spécialités s’étend à la médecine générale. Les médecins généralistes sont parfois tellement débordés qu’ils ne peuvent accorder des rendez-vous que plusieurs jours après. D’où le recours aux urgences pour des problèmes qui n’en sont pas. En raison de la désertification médicale croissante, ce phénomène ne pourra que s’accroître.

En ce qui concerne le secteur préhospitalier, les numéros d’urgence sont saturés, le plus souvent pour des demandes de conseil. Il devient parfois difficile d’accéder au 15, non par manque d’effectifs, mais par excès d’appels.

Les services d’urgences eux-mêmes souffrent de difficulté à faire face à cet afflux de patients. Un patient aux urgences doit passer entre les mains de plusieurs intervenants (l’administratif qui créé le dossier, l’IAO [infirmière d'Accueil et d'Orientation], éventuellement l’externe, puis le médecin sénior, puis les praticiens effectuant les divers examens complémentaires pour l’obtention du diagnostic, puis retour vers le sénior pour obtenir la décision et la prescription). Conséquence de ce parcours du combattant, de longues heures d’attentes. Mêmes les services les mieux organisés ne peuvent raccourcir ce délai en raison du goulot d’étranglement que constitue la réalisation des examens complémentaires, en particulier tout ce qui concerne l’imagerie.

En quoi le fait d’accorder des crédits supplémentaires permettra t-il de résoudre cette problématique à moins de doubler pour chaque service d’urgence, le nombre d’infirmières, de médecins, de scanner, d’IRM, etc. ? On voit bien que l’équation économique ne tient pas. Il faut donc penser différemment, et peut-être d’abord remettre en cause l’organisation de l’accès aux urgences. Quelques pistes :

  • Fournir directement à la population un outil d’aide à la décision en urgence (système expert d’aide à la décision) qui permettrait aux patients de moins encombrer le 15 et les services d’urgence en soulageant  leurs symptômes grâce à une automédication encadrée.
  • Trier les urgences en amont du sas d’urgence, afin d’orienter les patients non urgents dans une maison médicale attenante, et de prioriser l’accès des patients urgents directement au médecin senior hospitalier. Un tel tri pourrait se faire grâce aux IAO (infirmières d’Accueil et d’Orientation) utilisant le même système expert d’aide à la décision dans sa version professionnelle.
  • Limiter les examens inutiles en urgence grâce à un logiciel d’aide à la prescription des examens (Cf. infra).
  • La régulation médicale pourrait être plus efficace en créant sous l’égide du 15 un numéro d’appel distinct, destiné au conseil et à la prérégulation et permettant de désencombrer ce numéro vital qu’est le 15. J’avais en son temps proposé un amendement à la Loi du 13 Août (amendement 9 ter) qui a été voté par l’Assemblée Nationale et malheureusement écarté par le Sénat. Cet amendement prévoyait l’instauration d’un numéro (projet 3333), à destination du public, financé selon un partenariat public-privé, et utilisant des outils d’information et de régulation dont je dispose. Mais c’était il y a 8 ans. L’évolution des esprits pourrait permettre la réémergence de cette idée simple. Pourvu que les blocages d’hier ne se renouvellent pas.

De telles mesures simples permettraient de diminuer le nombre de patient recourant aux urgences hospitalières, et de dépenser moins.

La désertification médicale

Évidemment il aurait fallu il y a 20 ans former plus de médecins, mais la myopie des Pouvoirs Publics est une maladie inguérissable ! Évidemment, il faudrait plus de médecins dans les zones désertifiées, mais à moins de politiques coercitives qui seront de toute façon rejetées par les jeunes médecins, cela reste un vœu pieux ! Évidemment, il faudrait en aval du médecin, plus de laboratoires  d’analyse, plus de centres d’imagerie médicale, mais outre qu’il s’agit du même vœu pieux, le coût des remboursements serait prohibitif pour la CNAM ! Évidemment, il faudrait plus d’infirmières et de kinés pour effectuer les soins… idem !

On voit bien que ces voeux pieux ne sont pas près d’être exaucés car pour que ces mesures soient efficaces, les sommes d’argent à y consacrer seraient hors de portée du Budget de l’Etat. Rajouter des crédits supplémentaires ne résoudra donc pas le problème. Il faut donc penser différemment, ce qui est en train de démarrer avec la télémédecine. Malgré cette avancée, on peut regretter que la télémédecine ne fasse que tenter de reproduire de façon virtuelle les principes de la médecine réelle. On est encore loin de la télémédecine 3.0 qui permettrait d’aller beaucoup loin à moindre coût. Mais on y viendra un jour…

En effet, l’utilisation par exemple de mallettes de télémédecine autonomes et intelligentes seraient une application opérationnelle de télémédecine 3.0.  Portées par des professionnels de santé non médecins (infirmières, kinés, pharmaciens…), sous le contrôle d’un médecin (centre 15, standard de permanence des soins type SOS Médecins), ces mallettes permettraient au chevet du patient de suspecter un diagnostic d’urgence, de prendre la décision adaptée, voire d’effectuer un traitement d’urgence dans le cadre de la délégation des tâche prévue par les décrets sur la télémédecine de la Loi HPST. Le patient pourrait ainsi  attendre la prise en charge ultérieure par son médecin traitant grâce à des médicaments d’automédication, voire des médicaments par téléprescription. Ce n’est pas une vue de l’esprit mais une réalité.

La prévention

Cette grande idée souffre malheureusement d’une vision passéiste : dépistage organisé, campagnes nationales d’information. Beaucoup d’argent dépensé pour peu d’efficacité. En dépenser encore plus ne fera pas bouger véritablement les lignes. Cette prévention 1.0 fait penser à l’arrosage massif d’un champ qui profite autant aux mauvaises herbes qu’aux bonnes. Les solutions d’arrosage au goutte à goutte en continu au pied de chaque plant, qui sont mises en place dans les zones désertiques permettent de dépenser très peu d’eau. Cette image pour expliquer ce que pourrait être la prévention 3.0 : une prévention personnalisée, adaptée à chaque individu, géolocalisée,  pilotée par le patient lui-même, grâce à l’intelligence des machines qui relayent et filtrent pour chaque individu les principes généraux de prévention.

Ce n’est donc pas tellement d’argent supplémentaire sont on a besoin, mais d’une conception différente de la prévention.

Le diagnostic

Comme on l’a vu, ce n’est plus le médecin qui effectue le diagnostic, ce sont les examens complémentaires puisque la médecine nécessite une preuve par la biologie et l’imagerie. Un médecin généraliste, avec sa seule intelligence et ses outils au cabinet, ne peut réellement faire que très peu de diagnostics avec certitude. Pour le reste il a besoin de batteries d’examens. La prescription est donc incontournable. Vouloir la limiter en encadrant la prescription du médecin est une démarche aussi stupide que d’imaginer diminuer la consommation d’essence en limitant le nombre de stations-services !

L’autre solution serait évidemment d’augmenter les budgets afin que les médecins puissent prescrire toujours plus d’examens. On sent bien intuitivement que dépenser plus n’améliorera en rien la pertinence des prescriptions. Et que c’est donc sur cet aspect là qu’il faudrait travailler. Quelles sont les prescriptions réellement indispensables pour aboutir à un diagnostic ? C’est ce qu’établissent les conférences de consensus et les bonnes pratiques répercutées par la HAS. Mais les protocoles diagnostiques sont loin de faire entrer dans leur cadre toute la complexité de la maladie, et les difficultés que l’on a à limiter l’errance. Une précision sur ce terme un peu péjoratif :  cette errance est normale puisque le corps humain n’est pas une machine, que la médecine -heureusement !- n’est pas une science et que les médecins ne peuvent pas tout savoir. Cette errance est intrinsèque à la réflexion du médecin, mais elle peut être limitée. Un seul examen judicieusement prescrit peut éviter des mois d’errance et de souffrance au patient, pourvu que le médecin ait pensé à le prescrire.

Améliorer les diagnostics en diminuant cette errance, c’est non seulement améliorer la santé publique et la santé des individus, mais également faire des économies. L’aide au diagnostic et surtout à la prescription des examens permettrait  de diminuer l’errance en suggérant au praticien les examens les plus adaptés pour parvenir au diagnostic. La seule anamnèse (l’histoire racontée par le patient) porte en elle le germe des différents diagnostics possibles parmi les 15.000 pathologies répertoriées et les 150.000 occurrences de la CIM 10. Seule la méconnaissance de toutes ces pathologies empêche le médecin de suspecter ces diagnostics à partir de l’anamnèse et des données de l’examen physique.  L’investissement pour réaliser un tel logiciel, qui est l’un des aspects du médecin virtuel, est de l’ordre de 20 M€. Infiniment de fois moins que les sommes que la CNAM devrait débourser pour financer l’errance.

Les traitements

Dans ce domaine, les protocoles thérapeutiques sont de plus en plus standardisés, qui permettent au médecin d’être aidé dans sa prescription. Dans le domaine – combien complexe !- de la cancérologie, il existe des logiciels d’aide à la prescription qui permettent de prendre en compte la particularité du patient pour obtenir une meilleure efficience des traitements. De tels outils permettent de diminuer l’errance thérapeutique.

La difficulté dans le traitement tient à plusieurs éléments :

  • d’abord la complexité des interactions médicamenteuses. Les logiciels existent, ils permettent d’éviter notablement certaines incompatibilités.
  • ensuite la non interopérabilité des protocoles liée à l’hyperspécialisation : le cardiologue applique son protocole, le cancérologue le sien, le gynécologue le sien. Au milieu de tout cela, le médecin généraliste est souvent bien démuni car il ne possède pas forcément de l’information susceptible de coordonner ces différents protocoles dont certains éléments peuvent être contradictoires. Nous manquons dramatiquement de vision transversale du patient, par trop de verticalisation imposée par la spécialisation.
  • enfin, l’évolutivité grandissante de la médecine qui va tellement vite que parfois certains spécialistes ne sont pas entièrement au courant de tout dans leur propre spécialité.

C’est là où l’intelligence des machines, dans une perspective de  médecine 3.0 permettra, non pas de résoudre totalement les problèmes, mais du moins d’améliorer considérablement l’efficacité de notre médecine pour le bien des patients.

Au total

On le voit bien au travers de ces quelques focus, que la résolution des problèmes ne tient pas à une question de finances, mais d’abord à une nécessité de réflexion prospective. Et au courage de faire bouger les lignes. Ce qui devrait être le rôle des politiques, et encore plus celui des candidats à l’affligeante myopie…

Utiliser la puissance des TIC et l’intelligence collaborative du patient me semble être la voie à emprunter qui permettra de dépenser moins pour soigner mieux !

 


 

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2 Réponses à “Dépenser moins pour soigner mieux !”

  1. Anonyme dit :

    Les examens biologiques et l’imagerie font le diagnostic= en milieu hospitalier oui, au cabinet du médecin oui mais il faut un certain laps de temps surtout en milieu rural. Vous dîtes vous- même que l’interrogatoire, cf régulation par le 15 et questionnaire de bilan de santé ou d’assurance, est essentiel. J’essaye de transmettre cet avis aux jeunes internes en médecine générale qui m’accompagnent, et aussi d’examiner, en s’aidant d’un ecg, d’un lecteur de glycémie, d’un doppler de poche. Donc pour moi, la clinique reste un temps essentiel. Merci de nous remuer dans nos certitudes

    • Merci de votre commentaire,
      Face à l’inéluctable évolution de la médecine où les machines prendront de plus en plus le pouvoir, il est en effet vital que la relation médecin-patient soit préservée, avec son temps essentiel qui est celui de la clinique.Tant qu’il y aura des médecins comme vous pour défendre cette idée nous éviterons cette déshumanisation progressive de la médecine qui nous guette.
      Merci à vous.
      Loïc Etienne

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