Les examens, l’éternel recours

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Très peu de diagnostics ne peuvent désormais être affirmés avec une certitude suffisante sans les examens complémentaires.

Or ce recours excessif aux examens, outre le fait qu’il coûte très cher, amène souvent le médecin à négliger l’interrogatoire au profit de la facilité de la prescription. La perte du sens clinique, et la minimisation de l’interrogatoire aboutit à des dérives, des errements, et parfois des erreurs.

Previously on ZeBlogSanté : On se résume : le patient consulte le médecin pour une plainte que le médecin va transformer en une série de signes qui on un sens pour lui, les symptômes de la maladie qu’il recherche. Pour en effectuer le diagnostic, il va d’abord interroger son patient, c’est ce qu’on appelle l’anamnèse, qui prend en compte l’ensemble des signes décrits par le patient, le replace dans le contexte de la vie de la personne et les inscrit dans un historique qu’on appelle « l’histoire de la maladie ». Dès cet instant le médecin a déjà envisagé des diagnostics possibles qu’il essaye de déterminer en effectuant un examen clinique, lequel lui permet de restreindre le plus possible le champ des possibles. Dans un nombre de cas difficile à évaluer, mais relativement restreints, son opinion est faite. Dans la majorité des cas, elle ne l’est pas,  au mieux peut-il avoir des suspicions diagnostiques. Seuls les examens complémentaires seront en mesure d’aboutir à un diagnostic certain.

Cette démarche logique et rationnelle telle qu’elle est résumée, est en fait idéalisée, car bien souvent les examens sont demandés par le médecin presque d’emblée, avec une anamnèse insuffisamment poussée et une impasse sur l’examen clinique. Les examens complémentaires sont donc souvent pour le médecin  »l’éternel recours » et pour le patient une demande sécurisante. L’un et l’autre passent donc sur cette demande un accord tacite qui les satisfont. Seuls l’Etat et l’Assureur font grise mine quand ils voient la note à payer !

Quelle vision les examens ont-il de notre organisme ?

Tout examen complémentaire consiste à se servir d’une technique instrumentale pour observer, mesurer, ou décrire le vivant. Ce faisant, on a une vision plus ou moins directe de ce que l’on veut observer. Quelques exemples :

  • L’électrocardiogramme, le doppler, ou encore l’échographie ne sont que des observations très indirectes de la réalité, car il s’agit du recueil d’images provoquées par l’envoi d’une stimulation (les ultrasons de l’échographe ou du Doppler),  ou d’ondes (l’ECG). Ces images sont très opérateur-dépendants : à formation et compétence égale, un bon échographiste mettra le doigt sur une tumeur qu’il aura eu le talent grâce à son expérience, de mettre en évidence et de donner un sens, là où un de ses confrères passera sans la voir. A l’opposé, deux cardiologues à compétence égale verront et interprèteront de la même façon un tracé d’ECG ou de Doppler. Mais les uns comme les autres ne voient le vivant qu’au travers d’un prisme très déformant qui va nécessiter une interprétation, et non une observation directe.
  • Les résultats d’examens biologiques comme les prises de sang, les examens de selles ou d’urines, sont une vision encore plus indirecte de la réalité. En effet, le sang, les urines ou les selles sont des fluides qui ne témoignent que de ce qui est extérieur aux cellules, et qui ne contiennent donc que des déchets ou des substances en transit. En y retirant toute connotation négative, le sang auquel on donne une image noble et quasi sacrée car il est l’image de la vie quand il coule dans nos veines et le symbole de la mort lorsqu’il s’en échappe, n’est que la « poubelle des cellules ». C’est pourtant bien en l’observant que nous pouvons avoir une image très indirecte de ce qui se passe dans nos cellules, un peu comme si on devinait le mode de vie de quelqu’un en fouillant dans ses poubelles. Or il faut bien comprendre que ce qui compte dans un diagnostic, c’est la preuve du dysfonctionnement des cellules d’un organe ou de plusieurs organes. Ces examens biologiques ne sont pas opérateur-dépendants, car les normes sont fournies par le laboratoire. Il est facile pour tout médecin, et d’ailleurs pour les patients eux-mêmes de savoir si les examens sont normaux ou non. Autre chose est de savoir leur donner un sens. C’est là où le rapprochement avec l’anamnèse et avec l’examen clinique est fondamental, car c’est cela qui donnera à ces résultats un sens.
  • L’imagerie médicale, est une photographie macroscopique de l’organisme. Auparavant très imparfaite avec les radiographies, plus précise mais très indirecte avec les examens utilisant des produits de contraste (hystérographie, coronarographie, phlébographie, etc.), très précise mais encore plus indirecte avec les examens utilisant des produits radioactifs (scintigraphies), elles sont atteint un niveau de perfection visuelle extraordinaire avec les scanner et les IRM. On peut non seulement avoir une photographie en 3D de l’organisme, mais tourner autour, et même sélectionner ce que l’on veut voir (les os, les muscles, les vaisseaux, etc.).  D’autres examens comme la caméra à positrons permettent de visualiser des groupes de cellules en train de fonctionner. Ces techniques qui peuvent être assistées par ordinateur nécessitent des compétences techniques indéniables mais à compétence égale sont relativement peu opérateur-dépendant.
  • L’endoscopie est une autre façon de voir le vivant, de façon totalement directe, et de faire des prélèvements qui seront ensuite analysés. Tout ou presque est accessible par fibroscopie. Ces examens comme l’échographie nécessitent un certain talent de manipulation et sont donc relativement opérateur-dépendants.
  • L’examen au microscope, enfin est une vision directe mais figée, un peu comme une photographie des cellules qui composent nos organes et nos tissus. Cette vision microscopique nécessite les compétences d’un anatomopathologiste et est très opérateur-dépendant, au point que pour augmenter les chances d’obtenir un diagnostic, on confie les prélèvements à plusieurs spécialistes différents.

Les progrès de la science nous permettront sans aucun doute à un horizon proche de voir nos cellules fonctionner dans leur intimité. Ce sont sans doute les nanotechnologies et les applications dérivées de la connaissance du génome humain qui nous permettront de « voir » un neurone penser ou une cellule du pancréas fabriquer en direct de l’insuline, de la même façon que les schémas scientifiques expliquent par des animations symbolisées le fonctionnement du vivant.

La question de la norme

Notamment en ce qui concerne les examens sanguins ou urinaires, les résultats répondent à des normes qui ne sont que statistiques et qui définissent les chiffres en deçà ou au delà desquels on considère qu’il y a processus pathologique.

  • Certaines sont objectives de façon immédiate, car le dépassement en dehors de la norme peut entraîner des risques vitaux immédiats : c’est le cas de la kaliémie (taux de potassium sanguin) dont l’écart trop important par rapport à la norme risque de façon certaine de provoquer un arrêt cardiaque ; c’est aussi le cas du taux d’hémoglobine ou de plaquettes en deçà duquel le fonctionnement normal de l’organisme est gravement compromis ; c’est également celui du taux de globules blancs au delà duquel la probabilité qu’il y ait une infection grave de l’organisme est certaine.
  • D’autres sont objectives de façon plus distante et répondent à des conférences de consensus. Les exemples foisonnent, notamment en ce qui concerne les chiffres tensionnels ou le taux de cholestérol au delà desquels on considère que le risque est élevé. Nombre de personnes se sont retrouvées considérées du jour au lendemain comme malades à soigner, parce que la norme avait été changée à la suite d’un congrès médical international !
  • Certaines enfin sont très subjectives et liées à la législation comme par exemple le taux acceptable d’alcoolémie.

Il est donc important de comprendre que la norme est un indicateur global statistique pouvant être plus ou moins objectif. Elle n’est pas un couperet qui va fixer qui est normal ou non, mais seulement une balise qui signale l’entrée dans une zone de risque plus ou moins grave. Elle n’est pas non plus une garantie, car on peut mourir d’un instant à l’autre avec des analyses parfaitement normales.  Cela ne va sans doute pas rassurer les hypochondriaques… ;-) )

Enfin, sans pour autant voir le mal partout, il faut garder à l’esprit que la santé est un [marché] aux enjeux économiques considérables. Les « affaires » sont suffisamment nombreuses qui ont prouvé que des experts pouvaient être manipulés consciemment ou inconsciemment par l’industrie afin de faire entrer dans le cadre de la pathologie des personnes jugées auparavant saines. Un demi point de tension artérielle changée dans une norme acceptable, ce sont des milliards de dollars en perspectives pour l’industrie du médicament. Alors de là à penser que…

Du point de vue du patient

Pour le patient, les examens complémentaires sont à la fois souhaités et craints.

  • Souhaités car le besoin de savoir, d’éliminer tout risque (le fameux risque zéro ), d’avoir la certitude quant au diagnostic, les amène souvent à pousser le médecin à prescrire encore plus d’examens. Cette boulimie est à l’origine d’une inflation de résultats et parfois de redondance qui font hérisser le poil de l’Assurance Maladie.
  • Mais également craints car la dangerosité et surtout le caractère douloureux de certains examens tempère l’ardeur du patient et cela se comprend. Et puis il y a également la peur du résultat, surtout quand le verdict concerne des maladies graves.

L’attitude du patient face aux examens est donc assez ambivalente.

 

Du point de vue du médecin

Face à l’Assurance Maladie, le médecin pourra la plupart du temps justifier toutes les raisons pour lesquelles il a demandé tel ou tel examen.  Mais parfois, il est contraint de céder à la pression de son patient : « Ne pensez-vous pas, docteur, qu’il serait bon de me faire un petit bilan ? ». Les médecins sont suffisamment surveillés par l’Assurance Maladie, pour ne pas prescrire à tout bout de champ des examens dans le seul but de se rassurer ou de plaire au patient. Et pourtant la tentation ou la facilité peut être grande pour le médecin d’y céder quand il ne sait pas trop comment se dépêtrer d’une plainte incompréhensible ou d’un patient insistant. Et parfois, il se dit qu’après tout les analyses montreront peut-être quelque chose d’anormal auquel il pourra se raccrocher. Voici quelques attitudes ou comportements un peu stéréotypés auquel j’ai donné arbitrairement des noms qui ne sont pas fait pour stigmatiser, mais seulement pour pouvoir les reconnaître.

  • Le « pêcheur à la traine ». Il jette un vaste filet explorant les principales fonctions et organes du corps et il voit bien ce qui sera pris dans ses filets. Une telle attitude permet parfois de dépister quelque chose ou de montrer les variations de résultats déjà anormaux. Mais parfois elle ne ramène rien. La question est de savoir si cette attitude est justifiée a priori, donc s’il y a un « point d’appel » à la prescription de ces examens,ou s’il s’agit simplement une prescription à l’aveuglette, comme une sorte de « contenance » dont le médecin se revêt pour donner au patient l’impression qu’il fait quelque chose. Ce comportement heureusement très marginal est de moins en moins fréquent depuis que l’activité de chaque médecin  est passée à la loupe par l’Assurance Maladie.
  • Le « limier ». C’est l’attitude inverse du pêcheur à la traîne. L’organe devient un rouage et le corps machinerie. La demande d’examens est faite de façon raisonnée, en explorant une arborescence au bout de laquelle émergera le diagnostic. L’organisme devient le lieu de toutes les suppositions, de tous les débats d’idée que l’on aborde au cours des staffs hospitaliers. La maladie est un gibier que l’on traque. Le malade est l’objet de discussions, non forcément dans sa réalité souffrante de patient, mais plus dans la complexité du dérèglement de son organisme. Le labyrinthe qu’il offre à l’esprit des médecins devient un jeu intellectuel, et pour peu que ceux-ci n’y prennent garde, l’acharnement exploratoire peut amener le patient au rang de cobaye. Adieu la plainte ! il n’est plus question que de débusquer la maladie qui sera traquée quel qu’en soit le prix à payer en terme de souffrance pour le patient. La question de [l'humanité et l'inhumanité de la médecine] se trouve alors souvent posée. Cela étant dit, cette démarche n’exclut nullement la compassion, et bien des médecins renoncent, pour le bien de leur patient, à savoir de quoi il souffre exactement .
  • Le « veilleur de cité » . C’est lui qui est attentif à tout ce qui pourrait témoigner d’un problème nouveau, et qui inlassablement prescrit des examens de dépistage. D’où la multiplication d’examens normaux qui hantent les listings des laboratoire d’analyses, ce qui peut laisser rêveur. Cette attitude préventive répond toutefois à la logique du contrat : le malade a le devoir social de demeurer bien portant, et le médecin celui de dépister la maladie. Le veilleur de cité en cela ne fait que suivre les grandes orientations de la société. Mais si on creuse un peu plus, on est en droit de se demander si au fond cette attitude pour tous et dans tous les compartiments de la santé est tenable, réaliste et au fond souhaitable.  Cela pose la question plus générale de la prévention, avec laquelle on ne peut théoriquement être d’accord, puisqu’il vaut mieux prévenir que guérir. Quoique…
  • Le « surveillant ». Surveiller un traitement est la conséquence immédiate de nombre de prescriptions médicales (anticoagulants, antituberculeux, etc.). La seule question qui peut se poser est la légitimité du [traitement].
  • La « caméléon ». C’est en fait le mélange de ces quatre comportements décrits précédemment. Chaque comportement comporte ses aspects positifs et négatifs selon qu’il est adapté ou non à la situation, effectué ou non avec tact et discernement, envisagé ou non avec humanité.

On le voit, la prescription d’examens complémentaires, n’est pas un geste anodin ; elle ne se limite pas à quelques mots sur une ordonnance, elle est symbolique de l’écoute et de la bienveillance que le médecin manifeste à l’égard de son patient.

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