Le symptôme : une plainte normalisée
Aussi étrange que cela puisse paraître, la plainte appartient au patient, et le symptôme au médecin.
En effet, ce que le patient exprime avec ses mots n’est pas un symptôme, il est l’expression de sa souffrance. Au médecin de l’observer, de la décoder, et de transformer cette plainte en un symptôme qui puisse entrer dans un diagnostic.
Previously on ZeBlogSanté : la plainte du patient ne lui appartient qu’en partie, car le médecin a le pouvoir de l’écouter ou pas, de lui donner un sens ou pas, elle n’est qu’un objet dans un raisonnement dont le but est le diagnostic. La compassion, l’empathie ne font pas partie du schéma ; elles sont un plus, ce qui donne un supplément d’âme au médecin, mais elles sont également une arme contre la maladie, car c’est cette compassion qui nourrira l’effet placebo qui participe pour au moins un tiers dans l’efficacité du traitement.
Le rôle dévolu au médecin est de soulager, soigner, voire guérir lorsque cela est possible. La médecine moderne, issue de la lente progression de la connaissance et des avancées scientifiques du Siècle des Lumières a pour objet de poser un diagnostic afin de préconiser un traitement. Le diagnostic repose sur le recueil des symptômes, qui, on va le voir sont la traduction, l’interprétation et l’acceptation par le médecin de la plainte initiale du patient, lequel peut ne pas se reconnaître dans la lecture qui en est faite.
Le symptôme selon le médecin
Le symptôme au sens médical du terme est une plainte recevable et normalisée, c’est-à-dire passé par les arcanes du jugement du médecin afin d’aboutir à un terme précis au sens médical. La négociation est parfois rude entre les deux parties, le patient tenant à sa plainte qu’il considère comme un symptôme, et le médecin refusant de considérer cette plainte comme un symptôme. Ainsi, un phénomène habituel lorsqu’on se juge en bonne santé prend valeur de symptôme lorsqu’on se croit dans un état maladif. Le médecin est donc obligé de valider cette plainte et lui donner la valeur d’un symptôme.C’est ce que Canguilhem [1] avait observé à propos de la plainte : « c’est donc d’abord parce que les hommes se sentent malades qu’il y a une médecine. Ce n’est que secondairement que les hommes, parce qu’il y a une médecine savent en quoi ils sont malades ».
Débusquer le symptôme caché ou invalider un symptôme apparent est une phase importante et d’ailleurs souvent le moyen pour le médecin d’asseoir son autorité en montrant au patient qu’il est consciencieux et perspicace. Certains médecins poussent le raisonnement jusqu’à faire un « interrogatoire policier », ce qui immanquablement fait du symptôme et des patients qui le portent, des suspects, ce qui n’est pas du meilleur augure pour instaurer une relation de confiance…
Quand c’est le médecin qui découvre un symptôme (j’entends par là quelque chose dont le malade ne s’est pas plaint a priori, mais qui est apparu au cours de l’interrogatoire), il emploie souvent le mot de « signe ». Le signe n’est pas la plainte, et, qu’il soit corroboré ou non par une plainte, le médecin lui accorde a priori beaucoup plus de valeur pour la simple raison que c’est lui qui l’a débusqué. C’est humain et compréhensible. Il est en quelque sorte le « découvreur » du signe.
Prenons une histoire simple :
Un patient vient consulter son médecin pour un problème de santé quelconque. Le médecin dans le cadre de son examen va lui prendre la tension. Supposons que celle-ci soit trop élevée : le médecin a mis en évidence de façon fortuite une poussée d’hypertension qu’il va immédiatement explorer grâce à des examens. Il peut arriver d’ailleurs que le médecin finisse par privilégier dans sa recherche l’exploration du signe qu’il a mis en évidence au détriment de la plainte initiale qui a motivé la consultation. La plainte selon le patient n’est pas forcément un symptôme, alors qu’un signe découvert par le médecin l’est par essence.
Isoler le symptôme avec douceur mais fermeté fait partie de l’Art du médecin. C’est le plus souvent lors de cette étape que va se nouer la relation de confiance entre le patient et le médecin.
Le symptôme selon le patient
Pour le patient, les choses sont assez compliquées car il se trouve confronté à plusieurs types de concepts pour exposer sa plainte : la plainte en elle-même « j’ai mal au ventre », la plainte médicalisée « j’ai des gastralgies », et le diagnostic supposé « j’ai une gastrite ».
Cette confusion n’est pas préjudiciable quand le patient parle à son médecin, car ce dernier saura faire la part des choses et faire préciser avec des mots non médicaux comment le patient ressent ce mal de ventre. Par contre, comme on le verra dans le chapitre sur l’automédication, cet amalgame entre symptôme et maladie va conduire à des comportements à risque lorsque le patient est seul face à son armoire à pharmacie.
Le symptôme, bien plus que la plainte est un étendard, une sorte de proclamation armée face au médecin. C’est un moyen pour le patient à la fois de se rebeller face à un pouvoir du médecin jugé excessif, ou encore pour lui signifier qu’il ne faut pas qu’il passe à côté du diagnostic en question, voire pour l’influencer sur les examens à prescrire ou les traitements à mettre en œuvre.
Il y a donc une guérilla qui peut s’instaurer et se révéler funeste à la future relation, le symptôme devenant au centre de cet échiquier, l’objet de la « bataille pour le pion central ». Sans un armistice et une négociation sur ce qui est acceptable par l’un et par l’autre, la suite du dialogue devient délicate.