Le dépistage, passeport pour l’angoisse ?

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Le dépistage des maladies part d’une bonne intention. Mais comme on le sait bien, l’enfer en est pavé !

Le dépistage est l’un des fleurons de la prévention. Et c’est un fleuron mérité, car grâce au dépistage on prend les maladies à temps, et on sauve des vies, c’est un fait indubitable. La question que l’on peut se poser est de se demander où il faut placer le curseur.

Principes du dépistage

Le dépistage est intimement lié à la notion de risque. Il est fondé sur la probabilité qu’a une personne de présenter une maladie particulière. Cette probabilité est fonction de son âge et de son sexe, mais également de ses antécédents personnels et familiaux, de son terrain, et de son environnement. Ce sont les facteurs de risque. La façon de mettre en œuvre le dépistage repose un peu sur l’examen clinique, mais beaucoup sur les examens complémentaires.

Le dépistage est soit individuel (le médecin examine la personne, et prescrit des examens qui dépendent des facteurs de risques qu’elle présente), soit organisé (selon le sexe et la tranche d’âge des dépistages gratuits sont proposés). On peut faire entrer dans ce cadre les bilans gratuits qui sont proposés dans le cadre de l’entreprise ou des collectivités.

Face à une maladie bien individualisée et évolutive, plus le dépistage est précoce, plus il va permettre de traiter la maladie en amont lorsque cela est possible :

  • Mise en évidence de facteurs de risques spécifiques  : par exemple dépistage d’une hypercholestérolémie, d’un diabète ou d’une hypertension qui aggrave le risque cardio-vasculaire, lequel augmente naturellement avec l’âge et certains comportements à risque (prévention primaire)
  • Découverte d’une lésion qui peut conduire à une maladie :  par exemple les lésions du col de l’utérus qui prédisposent à terme à un cancer (ce qu’on pourrait appeler de la prévention primo-secondaire)
  • Découverte d’une maladie déjà installée de façon précoce ou latente et qui risque de s’aggraver ou d’entrainer des lésions : par exemple certaines maladies métaboliques ou endocriniennes du nourrisson (prévention secondaire)
  • Découverte d’une lésion qui témoigne d’une maladie évolutive et déjà installée qui n’a pas été découverte précédemment.

Les succès

La liste est longue, notamment en matière de dépistage des cancers, du diabète et des maladies cardio-vasculaires. La preuve en est :

  • la diminution considérable des décompensations aiguës des maladies chroniques
  • la diminution des complications chroniques des maladies comme le diabète, l’hypertension, etc.
  • le fait que certaines maladies comme le sida et beaucoup de cancers sont devenues des maladies chroniques et non plus des processus foudroyants
  • l’allongement de la durée de la vie (qui tient également à l’efficacité des moyens thérapeutiques)

Ces succès parlent pour l’efficacité du dépistage.

Le dépistage selon le patient

Les patients le réclament tout et autant que le coût psychologique du résultat ne soit pas trop élevé. En effet, lorsque le dépistage va à la recherche d’une maladie grave, il devient pour le patient  une épreuve. Chaque examen devient alors un messager potentiel de mauvaises nouvelles : pour la mammographie c’est le cancer du sein, pour l’échographie prostatique le cancer de la prostate, pour le HIV le sida, etc. Cela signifie entre le moment de la prescription et le résultat de l’examen, beaucoup d’angoisse et de questions existentielles.

Lorsque le dépistage devient une obsession (on est séronégatif mais on pourrait le devenir, la mammographie est normale mais qu’en sera t-il demain ?), il peut conditionner le patient à une vie effroyable suspendue dans l’attente de la catastrophe annoncée.

Mais sans entrer dans cette névrose obsessionnelle, notre société nous fait tous entrer peu à peu dans une sorte de mécanisme délétère. On ne voit plus la vie qu’à travers la recherche d’une absence de risque, et cette angoisse peut en elle-même générer d’authentiques pathologies. Notre société à force de vouloir tout dépister nous enferme inéluctablement dans une sorte de « désert des tartares » dont il devient à peu près impossible de sortir.

Comment sortir de ce piège que la technologie nous tend ?

Les conditions d’un dépistage efficace

Trois éléments très prosaïques sont nécessaires pour un dépistage efficace : l’efficacité économique, diagnostique et thérapeutique

  • Économiquement on ne peut tout dépister. La maladie doit être suffisamment fréquente et  suffisamment grave. Mais pas trop. En effet, dépister de façon systématique des maladies fréquentes et graves pose des problèmes économiques en raison de leur quantité. Le dépistage organisé de tous les cancers n’est pas possible, ce qui nécessite des choix cornéliens. Surtout à l’heure de la récession.
  • D’un point de vue diagnostic, les faux négatifs et faux positifs grippent le système. Or ils ne peuvent être éliminés que si les examens sont totalement fiables, ce qui est illusoire.
  • D’un point de vue thérapeutique la maladie dépistée doit être facilement traitable à un stade précoce (sinon son dépistage ne sert pas à grand chose).

On le voit, les conditions d’un dépistage efficace sont loin d’être réunies, ce qui en montre les limites.

Les limites du dépistage

Elles sont directement liées à la finesse des examens et à la pertinence des interprétations qui sont médecin-dépendantes (notamment en matière d’imagerie médicale). Quatre cas peuvent se présenter :

  • Les vrais positifs : on a découvert grâce aux examens une maladie qui existe réellement. Le chemin thérapeutique est bien balisé.
  • Les vrais négatifs : les examens sont normaux parce que la maladie n’existe pas. L’assurance que donne la vrai négativité est toute relative, car la maladie peut n’être qu’à un stade trop peu évolué pour être dépistée, ou bien les examens chargés de la dépister ne sont pas assez fins (faux négatifs).
  • Les faux négatifs :  les examens sont normaux, mais la maladie existe bel et bien. Plusieurs causes à ce cas de figure :
    • le médecin n’a pas demandé l’examen adéquat
    • le médecin est passé à côté du diagnostic (sous-diagnostic)
    • l’examen n’avait pas la finesse appropriée
    • la maladie était trop peu évoluée pour être dépistée.
  • Les faux positifs : les examens ne sont pas normaux, mais on a posé un diagnostic sur une maladie qui n’existait pas. Plusieurs causes à cela :
    • le médecin s’est trompé dans son interprétation
    • l’examen a dépisté une maladie qui a involué ou qui disparait par la suite ou qui se normalise (il s’agit donc d’une fausse positivité momentanée)
    • l’examen n’est pas fiable  car trop sensible

En plus de ces limites due aux examens, se rajoute la limite de nos connaissances : certains dogmes du dépistage organisé (on pense à la mammographie ou au dosage des PSA pour le cancer de la prostate) sont mis à mal par des études qui mettent en doute leur efficacité. Quitte à ce que ces mêmes études soient contestées par des études ultérieures. Le dépistage est une matière profondément inexacte et totalement évolutive, ce qui nécessite de l’observer avec une certaine distance.

Les conséquences

  • Pour le patient, une fausse négativité est préjudiciable car elle entraîne une perte de chance pour le traitement de la maladie ; une fausse positivité l’est également car elle fait pénétrer le patient dans un processus de soins pour une maladie qui n’existe pas (ou pas encore).
  • Pour le médecin, c’est également un problème puisque sa responsabilité peut être engagée. Les dogmes d’hier peuvent être contredits par les conférence de consensus de demain, on est donc bien dans le respect de protocoles scientifiques et non pas dans des prises de position politiques.
  • Au plan économique, on peut se demander en voyant la normalité des examens qui sont demandés si ceux-ci étaient nécessaires et s’il était pertinent de les demander. Les médecins ont sous les doigts des réflexes de prescription, un peu comme un pianiste fait ses gammes. D’abord les examens de routine (NFS, CRP, glycémie à jeun, transaminases, etc.), et ensuite ceux qui sont plus spécifiques des pathologies probables selon les facteurs de risque identifiés (dosages hormonaux, sérologies, imagerie, etc.) . La prescription « réflexe » ratisse large mais retrouve rarement des anomalies ; la « prescription ciblée » a plus de chance de trouver une anomalie (puisqu’un faisceau d’argument ont présidé à sa prescription),  mais on ne peut tout explorer, d’autant que ce type d’examen est souvent coûteux.

La recherche du risque zéro (donc en l’occurrence l’élimination surtout des faux négatifs) amène les médecins à ouvrir le parapluie en surprescrivant. Ainsi se garantissent-il d’un sous-diagnostic. Le problème est que les Pouvoirs Publics ont une attitude très schizophrène en ce domaine puisqu’ils se plaignent de l’excès de prescription, et en même temps des conséquences néfastes sur la santé publique d’un dépistage insuffisant ou pas assez efficace. Et puis les patients, bien que le dépistage soit source d’angoisse, demandent en même temps toujours plus de sécurité et de réassurance.

Il faudrait donc pouvoir ne dépister qu’à bon escient, avec mesure et discernement, avec des examens totalement fiables, et en dépistant toutes les maladies. Autant dire mission impossible !

Les limites de la connaissance

Là encore, c’est le manque de connaissance qui est la cause des dysfonctionnements. Ce manque de connaissance est lié à plusieurs facteurs :

  • le manque de connaissance que la science a des maladies (ce qu’on ne peut reprocher aux chercheurs qui font leur travail, mais qu’on peut éventuellement  reprocher aux organismes qui financent et aux décideurs qui orientent les recherches et votent les budgets)
  • le manque de connaissance que les médecins ont des pathologies. Comment en vouloir aux médecins de ne pas tout savoir quand il est établi que les connaissances de la médecine doublent tous les 3 ans ?
  • le manque de connaissance que les patients ont de leur corps et de la façon dont il fonctionne, ce qui retarde la mise en route du dépistage. Ce point est en nette amélioration depuis 10 ans grâce à internet. On va même dans un excès inverse, où à force de lire des horreurs sur le net, le public développe une véritable cyberchondrie qui met encore plus la pression sur les médecins.

Les solutions

  • Il faudrait laisser plus la part à l’anamnèse. Les médecins internistes savent bien à quel point un interrogatoire bien mené peut éliminer des diagnostics, en suspecter d’autres, et donc limiter les examens au strict nécessaire. Cela n’est possible que si l’on donne plus de temps aux médecins grâce à une rémunération décente, et une aide à la reconquête de la connaissance sur la séméiologie,
  • Il faudrait écouter ce que disent les patients : le premier observateur des signes d’alerte c’est le patient et son entourage. Encore faut-il qu’il sache ce qu’est un signe d’alerte, et de quoi. Les outils d’information 1.0 sur le net angoissent mais n’alertent pas, car les tableaux décrits sont trop caricaturaux. Il faut donc une aide à la reconnaissance des signes d’alerte.
  • Mais il faudrait également écouter la façon dont chaque patient exprime ses symptômes. Depuis les années 70 la médecine a abandonné  la séméiologie (l’étude des signes) au profit des examens complémentaires jugés plus discriminatoires des maladies entre elles. De ce fait nous passons à côté de nombreux petits signes dont le relevé permettrait le dépistage des maladies bien avant que celles-ci s’expriment avec plus de bruit. La création d’une base de données structurée et ouverte au langage des patients est une solution.
  • Il faudrait pouvoir prescrire avec discernement. Bien des examens redondants sont inutiles, que ce soit à l’hôpital ou en ville. Des outils d’aide doivent voir le jour.

Aider les médecins et aider les patients peut se faire grâce à des systèmes experts. C’est ce qui se passe pour les traitements en cancérologie par exemple, où le choix de la thérapeutique est assisté par des systèmes intelligents. Etendu à toutes les spécialités et à la prescription, une telle aide ne peut se concevoir que grâce à la mise en place d’un véritable « [médecin virtuel]« , agissant selon le même mode que les pilotes automatiques dans les avions. Les médecins y sont souvent réticents car cela les prive en apparence d’une part de leurs prérogatives. Mais les mentalités évoluent, en particulier parce qu’ils sentent bien qu’en gagnant du temps et de l’efficacité sur leurs prescriptions, ils gagneront en temps consacré à l’écoute du patient et au renforcement de la relation médecin-patient, dont la bonne qualité augmente considérablement l’efficacité des traitements et l’observance par le patient.

Tout cela est de la prévention 3.0, et donc de la médecine 3.0. Ce qui prendra du temps, alors que les outils du changement sont déjà là.

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