Tiers Payant Généralisé : ça ne changera rien à la relation Médecin-patient

sur Prevention a déjà un commentaire!

Mais pourquoi voudriez-vous que le TPG change quoi que ce soit à la relation médecin patient ?

 

 

 


Previously on Zeblogsante

Mais bon… admettons pour la suite du raisonnement que ce soit vrai.

La relation médecin-patient actuelle

  • Le patient attend le médecin, soit dans la salle d’attente, soit à son domicile. Il sait bien qu’il devra payer la consultation et il a donc pris avec lui de quoi payer. Pendant ce temps-là, il réfléchit à ce qu’il va dire au médecin. En fait la relation a déjà commencé, avant même que  l’un et l’autre se soient vus.
  • Le patient et le médecin sont face à face. On échange si on se connait et si on a un peu de temps, sur la pluie et le beau temps avant d’entrer dans le vif du sujet. Et puis vient la question : « Alors qu’est-ce qui vous arrive ? », demande le médecin.
  • Le patient explique la raison de sa venue, qui peut d’ailleurs être la suite d’une consultation précédente. Patient et médecin sont concentrés sur cet échange, d’abord l’interrogatoire, puis l’examen, la prescription. Durant toute la consultation, ni l’un ni l’autre ne pensent à ce qui viendra conclure cet échange, le paiement du médecin.
  • En fin de consultation, le patient paye… ou pas. Et contrairement à ce que dit la Ministre, il existe tous les moyens pour que le médecin soit payé sans que cela coûte au patient.

La nouvelle relation avec le TPG

  • Le patient attend le médecin, soit dans la salle d’attente, soit à son domicile. Mais, il faut absolument qu’il soit en règle avec la Sécu et sa mutuelle. En effet, lors d’une consultation avec un autre médecin, il se souvient que ses droits n’étaient pas à jour, et le médecin était furax car il n’a pas pu se faire payer. Le patient a du revenir. Un peu perturbé par ce problème, il ne pense plus trop à ce qui l’amène.
  • Le patient et le médecin sont face à face. Le médecin commence d’abord par lui demander sa carte vitale pour vérifier les droits. On ne parle plus de la pluie et du beau temps et de la première dents du petit dernier. Le patient s’inquiète : le médecin a l’air contrarié : « votre mutuelle n’est pas à jour » grommelle t-il.
  • Alors que fait le médecin ? Il refoule le patient et lui dit de revenir avec une situation à jour ? Ou bien, ne faisant que suivre son Code de Déontologie, il soigne quand même son patient, et il lui dit de revenir ?
  • Le patient s’en va avec son ordonnance. C’est vrai que depuis le TPG, il ne paye plus, mais son médecin n’est plus le même, il n’a plus le temps de parler, les consultations sont expédiées, il est plus nerveux, et semble préoccupé.

Et si la prochaine fois, ou une autre il fait remarquer au médecin qu’il se sent un peu expédié, le médecin lui répondra : » vous savez ce que je dois faire une fois le dernier patient parti ? Vérifier pour chaque patient que la Sécu m’a bien payé ! Alors malheureusement, c’est sur le temps des consultations que je suis obligé de le faire ».

A l’hôpital pourtant, on ne paye pas les médecins et pourtant ils prennent le temps

  • Oui, c’est vrai, mais il y a quand même une différence de taille, c’est que ces médecins hospitaliers sont salariés. Mal payés c’est sûr, comme les libéraux, mais salariés. Pas de comptabilité, de paperasses, de course après les impayés de l’Assurance Maladie et des mutuelles ! C’est une armée de comptable qui effectue ce travail. Les médecins hospitaliers n’ont qu’à attendre la feuille de paye à la fin du mois, avec tous les avantages des salariés (arrêts maladie, indemnités journalières, congés payés, etc.).
  • Le paiement ne les préoccupe pas, vu que ce n’est pas leur problème, mais celui de l’hôpital.
  • Mais ce dont ce plaignent aussi ces médecins hospitaliers, surtout dans l’accueil des urgences, c’est le mépris, l’absence de considération et le caractère revendicatif de certains patients. C’est normal, pour le patient qui vient à l’hôpital, la santé c’est gratuit, et c’est un dû !

Le contrat thérapeutique

Lors de la relation médecin-patient, s’établit un contrat tacite qu’on pourrait appeler « contrat thérapeutique » dans la lignée de ce qui se passe entre le psychothérapeute et son patient : le médecin met tout en oeuvre pour soigner son patient, et celui-ci donne quelque chose en échange. L’argent est le plus simple moyen de sceller ce contrat, mais il y a 50 ans, dans les campagnes, le médecin était payé en produits de la ferme. C’était une autre époque…mais la relation, elle, n’a pas changé.

  • Dans la relation médecin-patient actuelle, le patient donne quelque chose en retour du travail du médecin, – même si cet argent lui est remboursé par l’Assurance maladie. C’est ce qui fait que l’acte du médecin vaut… quelque chose. Que vaudra dans l’esprit du patient un acte qui n’aura pas été payé ? Rien ! Or quelque chose que vous avez obtenu pour rien n’a pas la même valeur dans votre esprit que quelque chose que vous avez payé. Et ce quelque chose, c’est une prescription, un avis, un conseil, une écoute, ça a une valeur qui ne sera compensée par… rien. Sans transfert d’argent, il y a perte de la valeur symbolique de l’acte, et donc de ce qui fait sa valeur thérapeutique. C’est pour cela qu’à l’hôpital (en dehors des patients qui prennent le médecin pour un larbin), ou en ville lorsque le médecin ne fait pas payer son patient parce qu’il n’a pas les moyens (Tiers Payant Social), le patient éprouve le besoin de manifester sa reconnaissance.  Il sait au fond de lui-même qu’il a besoin de donner quelque chose (un cadeau la prochaine fois, un sourire, un geste…) pour que le contrat thérapeutique soit valide.
  • Pour le médecin, il faut bien comprendre que c’est exactement la même chose : la récompense de son travail, elle est intellectuelle, matérielle, mais elle est aussi symbolique. C’est grâce à ce paiement que l’acte effectué prend une valeur. Or l’entité qui va payer le médecin, c’est l’Assurance Maladie, avec laquelle il n’y a strictement aucune relation thérapeutique.  Ce qui fait que pour le médecin aussi, son acte ne vaudra… rien.

Je voudrais précisément ici parler d’un vécû personnel. Comme la quasi totalité des médecins libéraux, je prends la CMU (d’ailleurs, si je ne la prenais pas, je ne serais pas payé du tout, c’est donc mon intérêt). En tant qu’urgentiste, je vais chez des patients que je ne connais pas et que je ne reverrai pas. Je ne suis donc pas soumis au risque de « clientélisme ». La seule chose que je sais avant d’arriver chez eux, c’est le motif de la visite, et le fait que leurs droits de CMU sont à jour a priori. Je sais donc dès le départ que je serai payé plus tard, et par l’Assurance Maladie.

Lorsque le patient est ouvert, sympa, respectueux de l’effort que nous faisons pour venir, cela se passe sans problème. Mais j’avoue que cette gratuité m’agace quand le patient est méprisant, et imbu du droit que lui confère ce petit bout de plastic vert. Il est clair que je me borne alors à faire mon travail sans la moindre empathie. Et sans empathie, on soigne moins bien (*). C’est l’un des principes de la relation médecin-patient. Alors, comme je ne supporte pas le fait de ne pouvoir jouer mon rôle de médecin dans toute l’acceptation du terme, je me raccroche à quelque chose, le sourire d’un enfant, une affiche au mur, n’importe quoi. J’en ai besoin pour retisser ce lien avec le patient fragilisé par l’absence de paiement. Grâce à cet échange humain, je peu partir la conscience tranquille d’avoir fait mon travail de médecin. En général, j’y parviens, mais c’est dur, ça demande de l’énergie, du temps, de l’humilité. Il faut accepter de faire ce chemin vers l’autre. A la fin de la journée, après 12 h de visites dans les pattes, je n’ai plus ce courage. Et je pars, furieux, mal à l’aise, conscient du fait que je n’ai pas donné une once d’empathie. Je pars comme si cet argent que me versera l’Assurance Maladie, ne m’était pas dû.

Alors, je me dis que cet effort que je fais pour chaque CMU qui considère mon acte médical sans valeur, je vais devoir le faire aussi pour la totalité des patients pour lesquels cet acte médical ne vaudra rien. Et quand j’imagine cela, je me dis que ce sera au dessus de mes forces. Comment vais-je faire pour vivre ces 4 années qui me restent avant la retraite ? Pour la première fois de ma vie, je pense à quitter ce métier que j’aime, à partir avant l’heure. Pour ne pas être mis en face de mon incapacité à gérer la nouvelle relation que les Pouvoirs publics vont m’imposer.

Nous en parlons entre médecins. Nous sommes tous sonnés, abattus par tant de mépris de la part de la ministre Touraine, effarés du silence de la poignée de député qui a voté en catimini une loi absurde. Nous cherchons tous un échappatoire pour quitter la médecine. Car nous refusons que notre acte médical qui est avant tout une relation humaine, soit réduite à rien. A rien.

A lire : (*)

  • Le mystère du placebo (Patrick Lemoine)
  • Le mystère du nocebo (Patrick Lemoine)

Tags: , , , , , ,

1 reponse à “Tiers Payant Généralisé : ça ne changera rien à la relation Médecin-patient”

  1. Anonyme dit :

    Exactement ce que j’en pense, à une ligne près. Me suis renseignée et j’aurai tous mes trimestres de cotisation dans 2 ans, ce qui me laisse une possibilité non négligeable de décider d’échapper à ça.

Laissez un commentaire