Medecine 3.0, késako ??

sur Definitions a déjà un commentaire!

La médecine est l’un des terrains d’élection des TIC et constitue sans nul doute un secteur d’avenir.

Le terme de médecine 3.0 s’inscrit dans la perspective globale du monde 3.0 dans lequel nous sommes déjà entré sans en être parfaitement conscients.

Ce terme de médecine 3.0 est sans doute un peu déroutant, voire hors de propos, car sacrifiant à la mode utilisées par les informaticiens pour nommer les diverses versions d’un programme. Je le reconnais volontiers. Je n’ai toutefois pas choisi ce terme par hasard, car la médecine ne peut désormais plus se passer de l’informatique. Sans les ordinateurs et la numérisation du vivant, le génome humain n’aurait jamais été découvert, les IRM n’existeraient pas, de même que toutes ces applications d’utilisation quotidienne comme la simple Carte Vitale. D’où ce parti pris d’introduire une notion nouvelle, celle de la médecine 3.0.

La définition que j’en apporterai est la suivante : La médecine 3.0 est l’ensemble de tous les savoirs médicaux détenus par l’ensemble de la communauté humaine, et partagés entre tous ses membres au travers d’internet, plus particulièrement au travers du web appliqué à la santé, le web 3.0, et de toutes les nouvelles technologies d’avant garde, dont la télémédecine.


Petit tour d’horizon préalable

Parler de médecine 3.0, c’est déjà définir ce que sont la 1.0 et la 2.0. Ce n’est pas chose facile, car la notion de médecine 1.0 et de médecine 2.0 sont déjà des concepts qui n’existent pas en tant que formule, mais qui sont pourtant une réalité que nous vivons au quotidien de la même façon que Monsieur Jourdain qui faisait de la prose sans le savoir. Parler de médecine 3.0 c’est donc un peu comme prendre un train en marche. Je vais tenter de m’en expliquer :

  • La médecine 1.0 est celle du savoir médical détenu par le corps médical dans son ensemble au sens « professionnels de santé ». Elle a donné lieu à la séculaire relation médecin-patient telle que nous la connaissons et au sens plus large, celle de thérapeute-patient.
  • La médecine 2.0 est celle du savoir partagé entre ce même corps médical et le « non corps médical » (patients réels ou potentiels, c’est à dire tous les humains, Pouvoirs Publics et Organismes Payeurs). Cette médecine est née de l’irruption du web dans la relation thérapeute-patient.
  • La médecine 3.0 est celle que nous devons construire en introduisant de façon éthique et responsable dans la relation thérapeute-patient, les outils que sont le web 3.0, la télémédecine, et les nouvelles technologies.

Les notions abordées ci-dessus nécessitent un petit schéma explicatif que vous trouverez ci-dessous.

La médecine 1.0

Ce que j’appelle médecine 1.0, c’est celle du savoir médical détenu par les médecins. Elle est toujours en vigueur : un médecin face à un patient dans une relation humaine où le médecin est porteur d’un savoir, face à un patient venu le consulter. Cette médecine 1.0 a commencé dès les débuts de l’humanité et a traversé les cultures sous la forme du sorcier, du chamane, du médecin… Le médecin exerce son pouvoir médical grâce au savoir qu’il détient et grâce à la confiance que le patient et la société lui portent. J’ai décrit cela dans la relation médecin-patient, relation immuable, séculaire, à préserver, voire à améliorer. Quel que soit le pays, le lieu, le mode d’exercice de la médecine, cette relation répond aux mêmes règles et aux mêmes processus. C’est une médecine du hic et nunc, ici et maintenant, qu’on pourrait appeler aussi médecine H&N : le patient et le médecin doivent être en contact. Ce contact était physique et visuel jusqu’à l’invention du téléphone à partir duquel il est devenu possible seulement par l’audition. La médecine 1.0 a alors commencé à basculer dans une certaine virtualité : un médecin pouvait effectuer un acte (suspicion diagnostique, conseil et traitement, voire suivi thérapeutique) par le truchement du téléphone, et ceci sans examiner le patient. Ce faisant il prenait un risque, l’examen clinique étant jusque dans les années 80, une nécessité absolue pour poser un diagnostic. Depuis, le diagnostic étant posé dans la grande majorité des cas par les examens complémentaires et l’imagerie médicale, l’examen physique a perdu (malheureusement, et pour des raisons expliquées dans le chapitre l’examen physique) de son importance.

C’est la médecine d’urgence, née en France avec SOS Médecins et les SAMU, qui a introduit la notion de Régulation Médicale. Cet acte médical à part entière, qui engage la responsabilité du médecin régulateur qui l’effectue, impose de prendre une décision réelle (envoi ou non d’un médecin sur place par des moyens qu’il choisit), sans toucher le patient, ni même le voir, seulement en lui posant des questions par téléphone. On reste dans le cadre de la médecine 1.0, avec une relation médecin-patient bien réelle, mais dans un cadre empreint de virtualité, avec toutefois un certain contact par l’intermédiaire de la voix.

C’est en France encore, grâce au minitel que la relation s’est proprement dématérialisée, le contact ne se faisant plus que par l’intermédiaire d’un écran et d’un clavier. Je pense avoir été l’un des pionniers de cette médecine sur minitel en ayant créé en 1987 le 3615 ECRAN SANTE, qui a été le leader dans le domaine, en particulier grâce à l’instauration de véritables « consultations » (on ne le disait pas trop à l’époque car c’était mal vu :-) ) sur minitel. Les minitellistes posaient des questions à des médecins qu’ils ne connaissaient pas, livraient parfois des détails de leur vie qu’ils n’avaient jamais avoué à personne, en particulier pas à leur médecin, et recevaient en direct (de 18 h à 19h) une réponse personnalisée. Nous avons les seuls à faire ce travail de réponse durant 13 ans, ce qui a donné lieu à plus de 350.000 questions. Une étude a été faite sur 2000 messages, ce qui a donné naissance à un livre que j’ai écrit chez Albin Michel en 1992 : la Mort du Sorcier. L’un des chapitres de ce livre donne le résumé de cette étude qui retrace les méandres de cette relation médecin-patient totalement virtuelle. Depuis les années 90, et grâce à ce système de questions en direct et en différé, l’acte médical (c’en était un même s’il n’y avait pas de prescription) est devenu totalement virtuel. Je pense que c’est l’acte médical de médecine 1.0 le plus virtuel qui ait pu exister jusqu’à ce jour, le contact étant seulement écrit sur un terminal d’ordinateur.

Il est en effet intéressant de constater qu’internet, grâce à l’introduction de la vidéo a fait reculer cette virtualité grâce au contact visuel et auditif que peuvent offrir certains chats. Mais en fait, ce type d’acte médical est dores et déjà du domaine de la médecine 2.0, par la seule raison qu’elle introduit dans la relation médecin-patient un troisième élément qui est ce que j’appellerai « l’altérité » et dont je vais m’expliquer plus bas.

La médecine 1.0 reste donc une relation entre un patient et un ou plusieurs médecins : on parle maintenant d’équipe médicale, pour des spécialités de plus en plus nombreuses (chirurgie, cancérologie, réanimation…). Elle est réelle (dans un cabinet, un hôpital, à domicile, sur la voie publique…), ou virtuelle (par téléphone, minitel ou internet). Mais elle reste une bijection « one-to-one », grâce à la relation entre un patient et un médecin (ou une équipe).

Cette relation « one-to-one » se joue en fait avec 4 acteurs : le patient, le médecin, les Pouvoirs Publics et les assureurs (Régime obligatoire et Régime Complémentaire). C’est grâce à ce contrat à 4 que le système de santé peut fonctionner : le patient est soigné, le médecin étant payé de facto par le système assuranciel qui fonctionne globalement grâce à l’argent du contribuable, selon une réglementation fixée par ls Pouvoirs Publics. Mais on reste toujours dans le cadre de la médecine 1.0 car « l’altérité » qui va intervenir dans cette relation n’est avant les années 2000, ni les Pouvoirs Publics, ni le système assuranciel.

J’introduirai ici par parenthèse une notion moins restrictive que celle de la relation médecin-patient, qui est celle de thérapeute-patient. En effet, les médecins ne sont pas les seuls à soigner : les infirmières, les kinésithérapeutes, les pharmaciens, etc. ont une action thérapeutique qui dans leur domaine d’action dépasse bien souvent celle du médecin. Je m’en expliquerai ailleurs, et je ferme la parenthèse.

C’est vers les années 2000, en France, que la médecine 1.0 va basculer dans le 2.0.

La médecine 2.0

La médecine 2.0 est celle du savoir partagé entre ce même corps médical et le « non corps médical ». Ce savoir a pu être partagé grâce à la vulgarisation médicale fournie par les médias. De simple information unilatérale, elle est devenue frâce au minitel puis internet, et ceci en France, une relation bilatérale, le monde non médical pouvant pour la première fois faire remonter des informations au monde médical. Ce savoir partagé, cette « altérité » est né de la bilatéralisation de la relation médecin-patient.

Ce que le minitel avait en gestation, internet va le faire naître, grâce à l’irruption de « l’altérité ». Cette altérité, c’est d’abord le savoir du patient, dont la croissance individuelle apportée par internet ne fait qu’augmenter. Cette accession à la connaissance donne au patient le pouvoir qui va avec : celui de comprendre ce que le médecin était le seul à comprendre auparavant. Et comme le savoir du médecin décroit relativement au fur et à mesure que les connaissances de la médecin augmentent, le médecin au plan de la connaissance va perdre, depuis les années 2000, l’ascendant qu’il avait sur son patient. Le patient devient sachant, certes seulement dans un domaine étroit qui est le sien, mais d’une façon parfois beaucoup plus étendue que le médecin. Face à ce pouvoir du médecin qui s’érode, les patients se regroupent en associations, partagent les informations, échangent les adresses, prospectent tous azimut. C’est le début de la médecine 2.0.

Le pouvoir politique, pour une fois visionnaire, fait voter en Mars 2002 la Loi Kouchner, qui est le véritable passage à la médecine 2.0 : le patient devient propriétaire de son dossier médical, donc de son histoire, et finalement de sa maladie, le médecin n’en restant que le gestionnaire. La relation médecin-patient est alors devenue une relation à trois : le médecin, le patient, et le « savoir partagé », qui est l’un des aspects de « l’altérité ». En effet ce savoir partagé est « autre », car il est multiple, venu de la connexion de millions de cerveaux par le truchement des ordinateurs : sites d’information, forums, bases de données médicales, second avis réel et virtuel. La relation médecin-patient ne sera plus jamais ce qu’elle était, car le savoir partagé intervient dans le « colloque singulier » qui était le leur initialement. Nombre de médecins se plaignent de la phrase assassine de leurs patients, qui commence par « Docteur, j’ai lu sur internet…! ». Nombre de médecins deviennent ainsi jaloux de cet « autre ».

Mais cette altérité n’est pas que l’union des cerveaux, elle est aussi l’union des ordinateurs entre eux : « l’altérité », c’est désormais l’ensemble des données mondiales qui transitent par internet. C’est pourquoi il me semble que la médecine 2.0 est indissociable du web, un web en tant que pourvoyeur d’information, zone d’échange, et applicatifs intelligents. Ce sont ces applicatifs intelligents qui vont ouvrir la porte à ce que j’appelle la médecine 3.0. Certains de ces applicatifs existent déjà, la plupart sont à construire.

Rien ne peut exister dans ce domaine sans cadre juridique. Avant la Loi HPST et ses décrets d’application d’Octobre 2010, tous ceux qui faisaient de la médecine 3.0 sans le savoir exerçaient hors cadre juridique, règlementaire et assuranciel. Quelques exemples :

  • Conseils médicaux par téléphone
  • Prescription à distance sans examen du patient
  • Régulation médicale assistée par des systèmes experts
  • Télésurveillance médicalisée (centre de dialyse surveilla par médecin distant par exemple).
  • Téléassistance
  • Téléexpertise

Les décrets d’application ouvrent la voie à la médecine 3.0, et il faut féliciter ici ceux qui ont contribué à lever les verrsou pour que ces décrets voient le jour : le député Lasbordes dont la Commission à laquelle j’ai eu l’honneur d’apporter mjn éclairage en tant qu’expert en télémédecine, le Dr Jacques Lucas, Vice Président de l’Ordre National des Médecins.

Désormais, la voie est ouverte. Mais comme toute ouverture, il ne faut pas brûler les étapes au risque de catastrophes et de retour en arrière, et définir comment cette nouvelle médecine peut se mettre en place. C’est le rôle où très modestement ZeBlogSanté compte apporter sa pierre avec tous ceux qui souhaiteront y réfléchir.

Médecine 3.0

Nous sommes aux portes d’une nouvelle façon d’exercer la médecine, et par conséquent d’une nouvelle façon d’envisager la relation médecin-patient. Celle-ci n’est plus de la médecine hic et nunc, elle est multiple, délocalisée et asynchrone, grâce à la télémédecine qui est une réalité inscrite dans le décret sur la télémédecine, grâce aux nouvelles technologies, et grâce au web 3.0. Quelques points d’ancrage :

  • La relation médecin-patient restera toujours (je pense et je l’espère) fondée sur le colloque singulier. Ce point mérite une véritable discussion, car on ne peut plus envisager l’exercice solitaire de la médecine. En effet, comme le précise Henri Verdier dans « La fin du colloque singulier »,  » La relation médicale fondée sur le « colloque singulier » n’a plus de raison de structurer l’ensemble de l’écosystème de santé: un seul médecin ne peut plus être le pivot de l’organisation des soins: l’exercice collectif de la médecine s’impose« . Je m’inscrirai toutefois en faux face à cette fin du colloque singulier. S’agit-il de la fin du colloque singulier, ou plutôt la fin de l’exercice solitaire de la médecine ? Et dans ce cas, la relation multiple qui s’instaurera, du patient avec les communauté de patient, et du patient avec la multitude de spécialistes qui se pencheront sur son chevet risque d’aboutir à un morcellement du patient, et à une explosion de la plainte du patient entre des écoutes multiples. Or on sait bien à quel point il est important pour un patient, surtout lorsque la souffrance est immense et le désarroi total, de pouvoir se confier, de telle façon qu’une « confiance rencontre une conscience« . Je pense donc que le numérique ne doit donc pas tuer le colloque singulier, il doit simplement le faire évoluer de la même façon que l’introduction du téléphone n’a pas détruit la relation humaine, il lui a simplement donné des dimensions supplémentaires.
  • La médecine 3.0 passe déjà par le web 2.0. Mais ce n’est qu’une étape à mon sens. La médecine 3.0 au risque de se perdre doit se fonder sur les bases du web3.0, qui est entièrement à construire, dans sa dimension technique, mais surtout dans sa dimension éthique. Sans éthique au centre de la médecine 3.0 comme du web 3.0, la judiciarisation au nom du risque zéro, grippera tout.
  • La médecine 3.0 sera ubiquitaire, utilisant les outils de la télémédecine : téléassistance, télésurveillance, téléconsultation, conseil médical, téléexpertise, et sans doute à terme d’autres actions commençant par « télé ». Cette action à distance nécessite des capteurs intelligents, des outils de diagnostic à distance (système experts d’aide à la décision), et des protocoles de surveillance à distance.
  • La médecine 3.0 nécessitera une certaine délégation des tâches, pour des raisons pragmatiques (on manque de médecins et on en manquera de plus en plus en raison du vieillissement de la population), pour des raisons économiques (la santé peut être un formidable secteur d’emplois, en permettant une reconversion de chômeurs dans ces nouveaux métiers), et (certaines tâches aujourd’hui assurées par les seuls médecins, pourront être déléguées dans un cadre très précis à des non médecins, qui pourront être des infirmières, d’autres professionnels de santé comme les pharmaciens, et à terme par des professions à inventer, comme celle « d’assistants sanitaires », investissant la santé comme les assitantes sociales ont investi le teritoire du social après la 2ème Guerre Mondiale.
  • La médecine 3.0 va nécessiter un cadre réglementaire, notamment fixant la répartition des tâches selon des protocoles. Cette protocolisation va nécessiter de repenser les rôles de chaque acteur.
  • La médecine 3.0 va nécessiter un cadre assuranciel : quelle sera la responsabilité de chacun ? La limite de cette responsabilité ? Le tarif auquel chacun sera payé ? La prise en charge de ces actes par les assurances (régime obligatoire et régime complémentaire.
  • Les systèmes de capteurs et de systèmes d’aide à la décision, font déjà, et feront appel à internet comme moyen de transmission des données, donc comme on l’a vu dans le cadre du Web 3.0. On sera donc dans le « web des objets », c’est à dire la capacité qu’auront les capteurs et les machines de dialoguer entre eux de façon interactive, voire avec une veille automatisée.
  • La miniaturisation de la médecine, la venue des ordinateurs biologiques et implantables, amènera alors à un changement de paradigme, que l’on peut appeler selon Joël de Rosnay, le web 4.0. De nouvelles questions éthiques se poseront alors, concernant en particulier la liberté de l’individu : que restera t-il comme liberté à l’individu, une fois que pisté dans les moindres recoins de son corps, il ne pourra plus se soustraire à la norme dictée par les machines implantées, au risque de se trouver soudain… déconnecté !

Certains points peuvent sans doute paraître un peu hermétiques. Vous pouvez si vous le souhaitez revoir maintenant le schéma de l’historique de la médecine 3.0.

Le débat est ouvert !

Tags: , , , , , ,

1 reponse à “Medecine 3.0, késako ??”

  1. Merci beaucoup pour votre témoignage et pour votre réflexion. J’ai parfois un peu l’impression désespérante de parler depuis 25 ans dans le désert, mais il semble enfin que ces idées dont leur chemin.

Laissez un commentaire Dr Loic ETIENNE