L’éthique en télémédecine

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Le respect d’une éthique est la condition sine qua non pour passer du monde 2.0 au monde 3.0

Posée ainsi, cette affirmation mérite des explications et la réponse à quelques questions . D’abord qu’entend-on par éthique en médecine ? Ensuite, l’éthique en télémédecine est-elle superposable à l’éthique en médecine ? Enfin, pour ceux qui ne le savent pas, quelle est la différence entre le 2.0 et le 3.0 ?

L’éthique en médecine

Les définitions sont nombreuses et variées, notamment en raison de la proximité qui existe entre la morale d’une part, laquelle dépend de l’époque, de la culture, et des normes, et l’éthique d’autre part, plus intemporelle et philosophique.

Toutefois, on parle plus d’éthique médicale que de morale médicale, l’acceptation du mot éthique débouchant avant tout sur des actions et des choix face à des situations. On parle de choix éthique ou d’attitude éthique, lesquelles sont ouvertes et offrent plusieurs solutions. A la différence de la morale dont les règles sont censées poser la limite entre ce qui est considéré comme Bien ou Mal. L’éthique est donc plus souple et évite le jugement.

Elle est également plus individuelle, toute personne pouvant se prévaloir d’une éthique dont elle peut justifier les fondements.

Mais cette éthique personnelle peut se trouver en opposition avec une éthique collective définie par exemple par des « comités d’éthique », censés représenter les tendances de la société face à un problème. En cela, l’éthique peut rejoindre la morale. En médecine, certains principes sont relativement invariants dont la limite n’est pas franchissable : « primum non nocere », « tact et mesure », « respect des personnes », « secret médical », tels que définis dans le Serment d’Hippocrate. D’autres sont plus sujets à interprétation, et inscrits dans le Code de Déontologie. Il s’agit plus alors de règles de fonctionnement des médecins entre eux : règles de confraternité, interdiction du compérage, etc. Ethique, morale, déontologie, tous ces mots très voisins aboutissent tôt ou tard, de près ou de loin à la notion de choix ou d’attitude face à des situations problématiques ou pouvant poser problème et entraîner débat.

L’éthique en médecine pourrait donc – au risque d’être simplificateur – être appliquée au décisionnel : une décision est elle éthique ?

La décision doit être prise dans tous ses aspects : la décision en elle-même, mais également la manière dont elle a été prise, dans quel objectif, par rapport à quel référentiel, etc. L’éthique en médecine ne se limite donc pas à un simple raisonnement philosophique, mais bel et bien à une action réelle et pratique. L’éthique en médecine s’examine donc sur des actes médicaux et des pratiques médicales. Et donc s’inscrit dans le cadre de la relation médecin-patient.

L’éthique en télémédecine

La télémédecine est de la médecine à distance. L’éthique en télémédecine est donc a priori superposable à l’éthique médicale.

Toutefois, l’introduction au sein de la relation médecin-patient d’une machine qui permet cette relation à distance complexifie le problème. Cette complexification croit avec le stade de télémédecine.

  • Au stade de télémédecine 1.0, qui est celui de la visioconférence, socle de toutes les applications de télémédecine, le respect d’une éthique est relativement simple et concerne les questions de sécurisation des données, du respect du secret médical, et des principes de rémunération des praticiens. Les questions éthiques sont essentiellement d’ordre réglementaires, ce type de télémédecine n’étant finalement qu’un « copier-coller » de la médecine classique. L’entrée dans les faits des décrets d’application de la Loi HPST sur la télémédecine, devrait permettre dans un horizon assez proche de stabiliser ces questions. L’une d’elle toutefois, est loin d’être résolue, c’est celle du DMP lequel n’a pas été pensé dans une perspective évolutive. On est loin d’un DMP 3.0 en mesure de suivre en pratique les évolutions inéluctables de la télémédecine.
  • Au stade de télémédecine 2.0 qui n’existe que dans de rares applications (par exemple les hémodialyses surveillés à distance par un seul néphrologue, ou la télésurveillance des personnes médicalement dépendantes, ou encore les interventions robotisées à distance), les problèmes éthiques sont plus complexes. Notamment en raison de l’existence par exemple d’un tiers non médecin qui est l’effecteur sur place du médecin distant ou encore de l’implication de machines qui servent d’intermédiaire. Les problèmes éthiques se décalent alors vers le juridique et la notion de responsabilité. L’introduction active des Assurances dans le débat permettra sans nul doute dans un horizon proche l’alignement des problématiques de télémédecine sur celle des relations interprofessionnelles autour des patients.
  • Au stade de télémédecine 3.0, on change de paradigme. En effet, à cette relation distante médecin-patient se rajoute le rôle des machines intelligentes et des systèmes experts d’aide à la décision.  Je rappelle que dans l’optique d’un monde 3.0, les machines intelligentes se nourrissent des données de la science, sont auto-apprenantes (puisque intelligentes), et disposent donc d’une autonomie croissante de pensée. De ce fait, elles interviennent directement dans la décision qui est finalement assumée par le médecin réel. L’analogie avec le pilotage automatiques dans les avions permet de montrer qu’au final le pilote reste décisionnaire, mais peut se faire piéger par la confiance aveugle dans une machine qui n’est pas exempte de déficiences. Diverses catastrophes aériennes en ont été le résultat. Toutefois la décision en aéronautique n’a pas la même portée qu’en médecine puisque la notion de « bien » est univoque : les passagers doivent arriver vivants et à bon port. En médecine c’est autrement plus complexe, car le « bien du patient » est un sujet délicat en particulier dans les cas extrêmes ou aux frontières de la vie. Les problèmes posés par le statut donné aux machines iront en croissant au fur et à mesure que les machines deviendront de plus en plus sachantes du fait de leur interconnexions au travers du web 3.0, et qu’elles seront douées de facultés humanisées.

L’éthique dans le passage du 2.0 au 3.0

Le passage du 2.0 au 3.0 ne peut s’envisager sans machines intelligentes (auto-apprenantes, interconnectées, et agissant selon une ontologie et des process bien établis par la communauté scientifique). Mais il ne peut non plus s’envisager sans une éthique forte, destinée à protéger la relation médecin-patient des pressions technologiques qui s’exerceront sur elle. Cette éthique ne peut voir le jour sans débat autour de la question des rapports homme-machine. Par exemple :

  • Dans quelle mesure des systèmes experts et d’une manière plus générale les outils de la médecine 3.0,  peuvent-ils intervenir dans les décisions – et donc dans la question de l’éthique médicale  ? Il n’y a pas que la notion de la fiabilité de ces systèmes qui entre en ligne de compte, mais également la prise en compte de « l’avis » de ces systèmes. En pratique, la prise en compte d’une dimension compassionnelle dans une décision en médecine d’urgence effectuée par un médecin réel, peut se trouver en contradiction avec la même décision prise par un système expert prenant en compte dans ses algorithmes la dimension compassionnelle, mais également des facteurs autres (économiques, épidémiologiques, organisationnels, etc.). Il se pose alors la question de la prééminence d’une pensée humaine mais forcément limitée dans ses connaissances, sur une machine plus « sachante », mais à une conscience éthique limitée voire inexistante. L’arbitrage, forcément humain, posera des problèmes éthiques non négligeables, le poids de la connaissance s’opposant à celui de la morale.
  • Peut-on accorder à des machines qui recueillent le fruit de la pensée et du savoir humain, un statut qui leur permette d’intervenir dans le débat éthique ?
  • L’éthique qui sera définie par la communauté des hommes peut-elle être contestée par les données issues du savoir des machines et de la conscience qu’elle pourront peu à peu en avoir ?

Évidemment nous en sommes loin, car de telles machines sont loin de voir le jour. Mais le peu d’intelligence qu’elles possèdent nous oblige à introduire cette réflexion dans le débat éthique du monde 3.0 qui vient.

 

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2 Réponses à “L’éthique en télémédecine”

  1. [...] vers un passage de la medecine à la santé 2.0  [...]

  2. Anonyme dit :

    Keep on wrtiing and chugging away!

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