Le suivi thérapeutique : ça passe ou ça casse !

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Le suivi thérapeutique est la dernière phase de la relation médecin-patient, celle dont l’un comme l’autre espèrent qu’elle aboutira à la guérison.

Que s’est il passé auparavant ? La plainte a été recueillie, les symptômes identifiés, le diagnostic effectué et le traitement mis en place ! C’est un moment délicat pour le médecin, car, selon la façon dont la maladie évolue, le patient peut mesurer la pertinence de l’action que celui-ci a menée. Rien de pire pour le médecin que de voir revenir son patient avec cette phrase fatidique, « ça ne va pas mieux », ou pire, « ça s’aggrave ».

Le suivi selon le médecin

Il existe des schémas généraux d’évolution des maladies. Chacune d’entre elle possède son évolution propre, sa singularité, qui permet au médecin de prédire a priori les suites probables. Tant que la maladie du patient reste dans ce cadre évolutif, le médecin ne se sent pas remis en cause. Si le patient sort de ce cadre, le médecin est confronté à plusieurs questions :

  • Y a t-il une complication ? Et dans ce cas, cela reste t-il encore dans le cadre d’une évolution possible ? Par exemple, une brûlure qui ne guérit pas et qui va entraîner des cicatrisations inesthétiques ou entraînant une gène fonctionnelle.  Ou encore une maladie chronique qui par définition peut se compliquer.
    • Une réponse positive à cette question nécessite une adaptation du traitement, voire une modification de stratégie, et permet au médecin de rester dans le cadre normal du suivi thérapeutique pour lequel des protocoles sont fixés par les conférences de consensus. Le médecin utilise un raisonnement de type « algorithmique », c’est à dire du type :  » si… alors… et si/ou si … alors… ».
    • Par contre une réponse négative oblige le médecin à réanalyser la situation et à se poser d’autres questions.
  • Le traitement est-il adapté ? Par exemple une infection urinaire qui ne passe pas avec le traitement antibiotique. Il existe des schémas thérapeutiques très protocolisés qui permettent au médecin d’inscrire le suivi thérapeutique dans un cadre connu. Cela le rassure, et le patient aussi. Mais au long des consultations, il se peut que le problème persiste, voire s’aggrave. Le médecin fait alors généralement appel, à des investigations complémentaires et souvent à des avis de confrères plus spécialisés.
    • S’il passe la main à un confrère, cela témoigne, d’une certaine manière, d’un aveu d’impuissance, d’un manque de maîtrise de la situation ; mais en même temps c’est une démarche sage et responsable dans l’intérêt du patient. Le médecin peut la vivre comme une blessure narcissique, mais aussi comme une expérience enrichissante qui va accroitre sa connaissance et donc sa compétence. Ces deux sentiments sont confusément liés, que le médecin a parfois tendance à enfouir. C’est l’un des intérêts des groupes Balint qui permettent au médecin de revisiter l’histoire d’un patient avec d’autres confrères, dans une sorte de thérapie de groupe versus médecin.
    • S’il s’accroche et ne passe pas la main, il ne fait que repousser cette éventualité, et d’une certaine manière est condamné au succès, c’est à dire la guérison du patient ou du moins la stabilisation de la maladie. Dans le cas où l’état du patient ne s’améliore pas, le médecin finit tôt ou tard à se poser la question qui suit.
  • Le diagnostic initial est-il finalement le bon ? C’est ce qui taraude l’esprit de tout médecin. S’être trompé sur un diagnostic peut avoir des conséquences graves sur le patient, notamment en raison de la perte de chances. Sur ce point, les protocoles thérapeutiques sont relativement muets car ils envisagent par principe que le diagnostic était juste. Le médecin est alors confronté à un dilemme :
    • avouer à son patient qu’il pense s’être trompé de diagnostic : d’autant plus difficile à faire accepter si le médecin n’a pas su ou voulu passer la main à temps
    • passer la main à un spécialiste afin qu’il envisage le problème sous un autre angle
    • ou alors renvoyer le patient à sa plainte en lui disant qu’il ne peut plus rien pour lui. Ce choix signe généralement la fin de la relation  thérapeutique, et parfois de la relation tout court.

On peut jeter la pierre aux médecins, stigmatisant leurs erreurs, leurs entêtements, leur manque de courage ou de responsabilité. Nul n’est parfait et aucun médecin ne peut prétendre ne s’être jamais trompé. Mais ce serait oublier qu’à la différence du garagiste ou du plombier, le médecin s’attaque à réparer les désordres d’une machinerie incroyablement complexe qui est le corps et l’esprit humain.

C’est également oublier que la société dans son ensemble a conféré aux médecins le rôle de soigner la population et que celui-ci a l’obligation de moyens et non de résultats. La conception grandissante d’un « homme-machine«  et la recherche illusoire du risque zéro font oublier ce principe et accroissent inéluctablement  la [judiciarisation de la médecine].  On peut douter que cette dérive améliore la qualité du suivi thérapeutique, et par extension la qualité de la relation médecin-patient.

Le suivi selon le patient

Autant le médecin dispose d’outils de réflexion et d’action, notamment grâce à l’application de protocoles,autant pour le patient rien n’est tracé. L’entrée dans la maladie est la plongée plus ou moins brutale dans un monde inconnu et potentiellement effrayant. Avant que le patient ne dispose d’informations compréhensibles, ce qui ne remonte finalement que vers le milieu du XXème siècle, il était soumis au seul bon vouloir d’information du médecin. La transparence était peu de mise car le pouvoir du médecin et la force de l’effet placebo reposait sur le maintien du patient dans un certain mystère de ce qui allait se passer pour lui, et permettait donc au médecin de jouer l’indispensable carte de la confiance.

De nos jours,  surtout depuis les années 80 et a fortiori depuis internet, le patient a conquis une autonomie de compréhension qui le met -avec bonheur- dans une position bien moins démunie qu’il ne l’était auparavant. Désormais, le patient  très bien informé sur la pathologie désignée par le médecin, ce qui modifie considérablement la nature du suivi thérapeutique. La problématique du patient est centrée avant tout sur la notion de confiance. A chaque étape et aux différents nœuds de cette relation, notamment lors des différents moments de négociation, le patient se pose cette question de la confiance. Le suivi thérapeutique n’y échappe pas,  la confiance acquise pouvant à tout moment être remise en cause : finalement ai-je confiance dans le médecin que je consulte ?

  • Oui, sinon pourquoi serais-je là face à lui ?
  • Oui, jusqu’à preuve du contraire, car ce médecin je ne l’ai pas choisi (mon médecin m’a adressé à lui, c’est un médecin d’urgence ou hospitalier que je ne connais pas, c’est la première fois que je consulte ce médecin, etc.)
  • Oui, mais.. : c’est mon médecin, je le connais, mais mon expérience passée avec lui me fait rester sur mes gardes.
  • Non mais… : autrement dit, je n’ai pas d’autre choix que de lui faire confiance.
  • Non, et finalement qu’est-ce que je fais là ? Le patient se trouve alors confronté aux raisons pour lesquelles il n’a pas ou plus confiance.

Si la confiance n’est pas là, la qualité et les chances de succès du suivi thérapeutique sont alors fortement hypothéquées. Ne reste plus qu’à espérer que la « bonne nature » aboutisse à la guérison.  .

Mais tant que la confiance est là, même si elle est minime, son fil ténu reste le garant d’une chance donnée à la relation. Le patient est alors aux aguets de tout ce qui va lui donner des raisons d’espérer une issue heureuse. L’observance du traitement, son efficacité, la docilité plus ou moins grande avec laquelle le patient va se soumettre aux examens parfois contraignants ou douloureux témoignent de cette confiance. Le médecin, par force de l’habitude, ne mesure pas suffisamment à cet instant la portée de cette acceptation : il lui semble naturel que le patient en passe par ses prescriptions, mais il oublie un peu vite que ce n’est pas lui qui va les subir. Il ne le mesure véritablement que le jour où lui-même passe par les mêmes affres lorsqu’il devient patient à son tour. Tout compte alors pour le patient :

  • la qualité de l’écoute
  • la volonté d’explication
  • le degré d’empathie
  • la confirmation du diagnostic évoqué initialement par le médecin
  • la « taille de l’ordonnance » : ni trop longue, ni trop courte
  • l’efficacité apparente du traitement
  • l’histoire de la relation entre le patient et son médecin
  • la réputation du médecin
  • la justesse de ses honoraires
  • les informations glanées sur le web
  • Etc.

Finalement

Les enjeux du suivi thérapeutique, mêmes s’ils sont communs entre le patient et le médecin, ne passent pas par les mêmes chemins, ni par les mêmes ressentis.

  • Le médecin suit un chemin tout tracé alors que le patient entre dans une nébulleuse parsemée de zones d’ombres et de lumière, avec au bout l’espoir de la fin du tunnel.
  • Le médecin n’a pas la même conception de la guérison que le patient et peut estimer un patient guéri là où celui-ci estimera que ce n’est pas le cas.
  • L’observance souhaitée par le médecin se heurte parfois au degré de liberté légitime voulu par le patient dans la gestion de sa maladie.
  • La confiance dont le patient a besoin repose bien plus sur des critères subjectifs mais essentiels, que sur des critères scientifiques et médicaux. Cela confirme s’il était encore nécessaire que la médecine est Art dont l’un des outils est la science.

Un dernier mot sur ce nouvel acteur qui s’imisce dans la relation médecin patient : le web. L’introduction du web 2.0 dans la relation médecin-patient a modifié considérablement le suivi thérapeutique, le médecin n’étant plus le seul pilote de cette phase de la relation. Un patient bien informé sera plus observant, améliorera la connaissance du médecin et facilitera sa tâche. Un patient mal informé risque d’utiliser à mauvais escient son espace de liberté et finalement de compliquer la tâche du médecin qui y ressentira les effets néfastes du web 2.0. L’avènement du web 3.0 et plus largement de la médecine 3.0 devrait permettre de reconsolider cette phase importante du suivi thérapeutique dans la relation médecin patient .

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