Relation médecin-patient, les scénarios de fin

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Toute relation a une fin, même si elle est amenée à reprendre par la suite. La relation médecin-patient n’y échappe pas.

La raison pour laquelle le patient a initialement sollicité le médecin est la recherche de la guérison ou du moins du soulagement de son mal. Cet objectif, commun au patient et à son médecin est le scénario idéal ; il ne se réalise pas toujours. Parfois, la maladie n’est pas guérie, ou du moins le patient ne s’estime pas guéri, c’est ce qu’on pourrait nommer le « statu quo ». Et puis il arrive que la relation aboutisse à une non satisfaction du patient, voire à un conflit, dont le terme ultime peut être la [judiciarisation] de la relation. Ces divers scénarios sont relativement constants quel que soit le cadre de la relation.

Le rituel de fin

Toute consultation ou tout acte médical s’achève selon un rituel qui est celui du paiement. Même si l’acte est gratuit, il ne peut se passer d’une gratification du médecin. Le médecin y a droit et il en a besoin de façon à ce que son acte ait une valeur, ne serait-ce qu’affective. Mais le le patient en a également  besoin. En effet un acte qui n’a pas donné lieu à une gratification du médecin, ne serait-ce qu’un simple remerciement, est un acte qui ne vaut… rien. « Un traitement qui ne coûte rien, ve vaut rien  » (1) Le rapprochement avec la psychanalyse est ici évident, le paiement étant nécessaire afin que ne s’installe pas une dette morale que le patient éprouverait et qui pourrait interférer dans la relation ultérieure. Le paiement libère le patient d’une dette morale qu’il pourrait avoir s’il ne payait pas. Il serait intéressant d’étudier la variation de l’effet placebo en fonction du paiement ou de l’absence de paiement.

On peut bien entendu relativiser cette affirmation,  puisque la puissance des médicaments peut sans problème entraîner une guérison de façon très mécanique et se passer de cette étape. C’est vrai si on évacue toute dimension humaine à la relation thérapeutique. Mais si on admet que la relation soignant-soigné possède une dimension  humaine qui va au delà de la simple guérison chimique, cette étape semble inévitable.

En effet, si on revient un peu en arrière, au moment initial où le patient s’est tourné vers un médecin pour que celui-ci le soulage, s’est mis en place un contrat tacite. Celui-ci est fondé sur d’une part sur l’échange réciproque et éclairé d’informations, et d’autre part sur l’obligation de moyens mis en oeuvre par le médecin au cours d’un acte médical qui amène à une rémunération. Au delà du simple aspect pécunier que certains peuvent qualifier de mercantile, il y a une dimension psychologique bien plus importante que le simple respect d’un contrat moral. Le « tact et la mesure » , inhérent à la déontologie médicale est tout aussi important que le fait pour le patient de payer des honoraires.

Une fois ce paiement effectué, se met en place le suivi thérapeutique, qui aboutira ou non à la guérison. 

La guérison

Elle est le scénario idéal. Mais elle n’a pas le même sens ni la même nature pour le patient et pour le médecin.

  • Pour le patient, la guérison est une notion incertaine : 
    • Il peut s’agir de la disparition sans séquelles de la plainte qui l’a amené à consulter. C’est la solution en apparence idéale, mais qui ne suffit pas, parce que disparition de la plainte ne signifie pas forcément guérison de la maladie.
    • En effet, il peut ne s’agir que d’une simple rémission, notamment en ce qui concerne les cancers. La rémission n’est pas la guérison. Au delà d’un certain temps, le patient ne s’estimera guéri que s’il bénéficie de la part du médecin d’une sorte de certification, d’une phrase de fin qui clôt le dossier. Sans cette phrase « vous êtes guéri », le patient ne peut recouvrer véritablement un état de bonne santé. Il lui restera toutefois en mémoire une crainte qui est celle de la rechute. L’entrée dans une maladie grave laisse forcément une séquelle inconsciente. Peut-on alors parler véritablement de guérison ?
    • Dans le cas des maladies chroniques (asthme, diabète, hypertension, etc.), ce sont les organes qui sont atteints durablement par des lésions qui s’expriment par des accès aigus entre deux phases silencieuses. Cette faiblesse définitive, ce quasi handicap, si elle est compensée par les traitements et reste silencieuse est compatible avec une bonne santé. Le rapport avec le médicament devient alors le mode de médiation le plus compatible avec un état que le patient pourra estimer être une guérison.
    • Parfois, enfin, le patient ne s’estime pas guéri alors que le médecin estime que la guérison a été obtenue ou du moins que l’état du patient est satisfaisant par rapport à ce qu’on est en droit d’espérer. La négociation sur cette notion de guérison peut aboutir à une divergence de vue et parfois à un conflit, voire une cessation de la relation.
  • Pour le médecin, la guérison est beaucoup plus normée.
    • La définition qu’il utilise se fonde sur l’expérience, les statistiques, et la connaissance des maladies. Les termes de guérison, stabilisation, rémission, correspondent à des concepts précis qu’il est parfois difficile à partager avec le patient.
    • Le médecin peut également estimer que le patient est guéri, car il juge son état compatible avec ce qu’il estime être la bonne santé. Il peut s’ensuivre une différence d’appréciation qui peuvent perturber la relation.

Cette différence de conception de ce qu’est la guérison peuvent entrainer un conflit plus ou moins ouvert entre le patient et son médecin. Le patient est d’autant plus démuni qu’il y a souvent dans l’expression de son ressenti quelque chose d’indiscible, et que face à cette difficulté à dire s’oppose le médecin qui s’appuie souvent sur l’avis de ses confrères. Le patient reste seul face à un corps médical aux têtes multiples. Les associations de patients constituent en cela un contre-pouvoir qui permet au patient de rompre sa solitude et d’être aidé dans son expression.

Le statu quo

Cette situation est malheureusement très fréquente, médecin comme patient convenant que la guérison n’est pas au rendez-vous.  Cela peut engendrer une frustration de part et d’autre : le médecin peut éprouver une sorte de blessure narcissique parce qu’il n’a pu ou su guérir son patient, et ce dernier, insatisfait, a tendance à reporter sur son médecin la responsabilité de son état. Il faut alors beaucoup de confiance et de dialogue pour que la négociation sur le statut du patient aboutisse. Le temps finit par créer progressivement au long des multiples consultations, une sorte de de constat dont il faudra bien que chacun s’accomode.

  • Il faut au médecin beaucoup d’humilité pour reconnaître ses limites, sans toutefois perdre la face, car il perdrait du même coup le pouvoir de guérir que le patient lui reconnaissait. Il s’ensuivrait alors une perte de confiance que ni le patient ni le médecin ne souhaitent, ne serait-ce que pour que l’effet placebo puisse continuer à agir.
  • Il faut au patient du courage pour faire le deuil d’un certain état de bonne santé antérieur, et accepter le passage à la chronicité.

Mais parfois, ce double travail n’est pas possible, et peut amener soit à la séparation soit au conflit.

La séparation

Comme dans tout couple, elle est douloureuse .

  • Le médecin a perdu définitivement son patient et en conçoit une amertume plus ou moins consciente car elle remet en cause d’une certaine façon ses capacités. Parfois, c’est le médecin qui perd patience, et annonce à son patient qu’il ne peut plus rien pour lui.
  • Le patient, lui, repart avec sa plainte initiale, prêt à s’engager -ou non- dans une nouvelle relation thérapeutique avec un autre médecin qui peut être un autre médecin traitant, un autre spécialiste, ou un médecin utilisant des thérapies alternatives. Il en conçoit une certaine méfiance et parfois un rejet du corps médical dans son ensemble. Qu’il juge son médecin comme insuffisamment compétent, ou son état non soignable par son médecin, il y a dans la séparation la rupture du contrat moral qui les avait lié l’un et l’autre au début de la relation. Cette séparation amène beaucoup de patients à se tourner vers le téléconseil, et les forums de  santé 2.0.

Le conflit

Il reste rare, car à moins d’une erreur manifeste, grave, et entraînant des préjudices majeurs, le simple dialogue entre le médecin et le patient suffit à désamorcer la situation. Il apparaît que les plaintes qui aboutissent au Conseil de l’Ordre sont généralement le fruit d’une absence de dialogue majorée par un manque d’écoute du médecin et/ou une attitude procédurière du patient.  Cette judiciarisation est normale, comme elle l’est dans tout contrat. Il est à bien différencier d’une sorte d’état d’esprit général qui a pris sa source Outre Atlantique, et qui est l’application manichéenne du risque zéro.

Le conflit entraine réparation ou non lieu. Il témoigne quelqu’en soit le résultat de la faillite ultime de la relation entre le médecin et son patient.

Bibliographie

Le mystère du placebo. Patrick Lemoine, Ed Odile Jacob

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