Déontologie médicale sur le web

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Le Conseil National de l’Ordre des Médecins a fait paraître un Livre Blanc sur « Déontologie médicale sur le Web ». Une initiative très appréciable et essentielle pour la télémédecine qui doit être saluée.

Ce document est dans la lignée des travaux effectués par l’Ordre depuis plusieurs années, qui ont permis « d’autoriser » les politiques à introduire la télémédecine et la télésanté dans le paysage sanitaire. Voici la lecture qu’on peut en faire.

Résumé

Plusieurs principes introductifs sont à retenir :

  • Les TIC en santé doivent garantir la qualité de la médecine et renforcer la qualité de la relation médecin patient qui doit être au centre de toute réflexion.
  • Les médecins ont un rôle participatif essentiel à la construction du web en santé
  • Toute activité médicale doit être soutenue par le principe éthique de bienfaisance.

Cinq chapitres ont été abordés :

  • Un état des lieux synthétique de la santé sur le web : elle est de type 2.0 grâce à sa dimension participative et entre dans le principe de création d’une démocratie sanitaire qui prend sa source dans la Loi Kouchner de 2002. Forums, partage d’information sur les réseaux sociaux,  blogs, voire micro-blogs (twitter entre autres) sont les aspects émergeants de la santé sur le web. A cela s’ajoutent des outils tels que les vidéos, les moteurs de recherche spécialisés, et le glissement de l’utilisateur de l’ordinateur vers le téléphone portable.
  • La communauté des médecins s’est mise au web assez lentement, un peu bousculée par la pression du citoyen  qui a investi depuis longtemps le web pour mieux comprendre sa santé. La communication entre l’un et l’autre constitue désormais une « relation humaine singulière » ; elle permet au médecin et au patient de se retrouver sur un espace de connaissance commun qui donne au patient d’être davantage acteur de son traitement, et au médecin davantage connecté à la connaissance. Les Pouvoirs publics ne sont pas en reste, puisque, comme le CNOM, ils souhaitent le développement de la santé sur le web.
  • De bonnes pratiques sont toutefois nécessaires pour les médecins, qui doivent rester en permanence connectés au Code de Déontologie médicale. Les médecins participant à des médias en ligne ne doivent pas oublier leurs responsabilités professionnelles et humanistes.
    • Différentes recommandations pratiques sont proposées pour les médecins éditeurs d’information, et relayeurs d’information, notamment en ce qui concerne la transparence quant aux liens qu’ils pourraient avoir avec des entreprises industrielles de santé.
    • En ce qui concerne les médecins modérateurs sur les forums grand public, la prudence est recommandée, notamment en terme d’implication personnelle, les « patients » devant être renvoyés vers les structures médicales réelles.
    • Cette prudence s’étend aux médecins participant à des sites communautaires, des blogs ou des réseaux sociaux. La question se pose de l’identité du médecin qui doit concilier la responsabilité nominale de ce qu’il écrit, et la non publicité à des fins personnelle : la notion d’un pseudonymat enregistré dans un répertoire national est une solution à laquelle le CNOM réfléchit.
    • La Charte HON (Health On the Net) est le moyen recommandée par la HAS pour certifier les sites santé. Le CNOM demande à la HAS (Haute Autorité de Santé) de faire évoluer ce concept afin d’améliorer la qualité de l’information. Le CNOM propose certaines préconisations de bon sens.
  • Le téléconseil est le 4ème point abordé. Ce type de pratique par téléphone ou internet s’apparente à une prestation médicale par la mise à disposition d’une information personnalisée à la demande d’un internaute.
    • D’emblée, et face à un « marché » du conseil en ligne qui émerge, le CNOM reaffirme que ce type d’activité n’entre pas dans le domaine de la télémédecine défini dans le cadre de la Loi HPST, ni dans le cadre de la régulation médicale. Il ne s’agit donc pas d’un acte, au sens de la télémédecine, mais d’une pratique marchande.
    • Toutefois, le téléconseil engage pleinement la responsabilité du médecin qui l’effectue.
    • Par ailleurs, les données qui y sont fournies par l’utilisateur constituent une propriété sur laquelle il a un droit d’accès, de rectification et d’opposition.
    • Le CNOM réclame que ce type d’activité entre dans le cadre de « l’orientation dans la prise en charge », et que le flou juridique actuel puisse être levé par une réglementation sanitaire spécifique.
    • Enfin, sans nier les bénéfices du téléconseil, le CNOM soulève les problèmes éthiques qui peuvent être posés, et la sécurité informatique qui doit présider à ce type d’activité.
  • Bien différent est l’acte de conseil par téléphone ou par mail pour un patient habituellement suivi. Le fait que la relation médecin-patient soit déjà établie inscrit cette pratique dans le cadre préexistant de la relation médecin patient et entre dans le cadre normal du suivi thérapeutique. Cet acte médical nécessite que l’Article 53 du Code de Déontologie médicale, selon lequel « un avis ou un conseil dispensé à un patient par téléphone ou correspondance ne peut donner lieu à aucun honoraire« ,  soit susceptible d’évoluer.

Discussion

L’inscription du web comme outil favorisant la relation médecin-patient est un point central essentiel et fondateur. Le rappel qu’il soit « éthique » est tout aussi important. Et il est clair en cela que le web 2.0 n’offre encore aucune de ces garanties. De même l’évolution de la certification au delà des principes de la Charte HON est une nécessité, car elle ne garantit en aucun cas la qualité des informations fournies.

Un quadruple paradoxe mérite toutefois d’être souligné :

  • Concernant le téléconseil en lui-même : d’un côté, le suivi thérapeutique d’un patient que l’on connait peut être considéré comme un acte médical, alors que le même conseil donné à un patient qu’on ne suit pas ne l’est pas. La connaissance préalable du patient semble donc bien être le facteur discriminant entre ce qui est un acte et une pratique. Or la régulation médicale est bel et bien un acte distant de télémédecine pour un patient qu’on ne connait pas non plus. Le fait de connaître ou non le patient est-il donc le véritable facteur discriminant ?
  • Concernant le téléconseil fourni dans le cadre de la régulation médicale : il est courant que le médecin régulateur décide de pas envoyer de moyens médicaux auprès d’un patient, et de se limiter à lui fournir un conseil médical qui est strictement superposable à du téléconseil. En quoi la nature du téléconseil est-elle différente, puisqu’un téléconseil médical s’assure toujours (ou devrait toujours s’assurer) que la demande ne cache pas une urgence ou la nécessité de consulter un médecin, et de ce fait effectue une véritable « régulation » de la demande ?
  • Concernant la rémunération : un médecin régulateur est payé pour effectuer un acte de régulation sur une personne qu’il ne connait pas et qui engage tout autant sa responsabilité. Si le téléconseil n’est pas un acte et sort donc de la relation médecin-patient, est-il normal qu’il soit payé ? Le fait qu’on accepte un paiement, dans le cadre d’une relation médecin-patient, tendrait donc à prouver soit que le téléconseil peut être assimilé à un acte, soit qu’il est une simple pratique marchande.  Mais dans cette dernière hypothèse, la nature de cette pratique étant un conseil d’ordre médical effectué après avoir éliminé toute urgence ou tout problème grave, la démarche est totalement assimilable dans les faits à une régulation médicale s’achevant par un simple conseil médical.  L’article 53 du code de déontologie montre donc en effet ses limites.
  • Concernant la responsabilité : le médecin qui effectue du téléconseil engage sa responsabilité, et doit donc souscrire une assurance en Responsabilité Civile Professionnelle pour se couvrir. Ce qui signifie que s’il n’est pas « normal » qu’il perçoive une rémunération, il n’est pas « normal » non plus qu’il doive prendre des risques et payer de sa poche une assurance qui le couvre.

Ces quatre paradoxes montrent qu’il existe un flou juridique et même conceptuel sur ce qu’est le téléconseil.

Il faut se reporter à l’essence même de la relation  médecin malade : l’acte médical est une relation humaine avant tout, quel que soit son support, qu’il donne lieu ou non à un paiement. En effet, le non paiement n’exonère pas le médecin de sa responsabilité. Le paradoxe se situe donc bien au delà : la force du contrat moral entre le médecin et le patient tient à l’engagement que le médecin prend de soulager son patient avec une obligation de moyens. Les moyens que confèrent le téléconseil ne sont pas de même nature qu’une consultation réelle, mais la portée est tout aussi importante. En effet, la force de la parole ou de l’écrit, surtout entre deux personnes qui ne se connaissent pas, est le point de départ d’un accès du patient à un certain soulagement, ne serait-ce que par le puissant effet placebo extérieur à toute prescription, qu’apporte l’écoute du patient par le médecin.

Je veux ici rapporter mon expérience de 25 ans où les médecins d’ARMEL ont répondu à plus de 450.000 questions, qui ont engagé leur responsabilité en dehors de tout cadre légal existant. Notre écoute, nos conseils ont aidé beaucoup de patients durant toutes ces années à comprendre leurs pathologies à exprimer auprès d’un médecin leur souffrance, et à engager avec ce médecin une relation pouvant parfois constituer une sorte de thérapie brève. Certaines personnes que nous ne connaissions pas ont été suivies par nous pendant de longues années, et ce dialogue a eu un rôle positif sur l’observance de leur traitement et sur le suivi thérapeutique qu’ils entretenaient avec leur médecin.  A mon sens, ce travail de soutien était un acte de médecine, et il a donné, par le biais du paiement à la société éditrice, lieu à une ménumération.

On peut se demander si en ne faisant pas entrer le téléconseil dans le périmètre de l’acte médical, ce n’est pas un moyen de limiter la responsabilité du médecin au seul contentieux. Ne serait « punissable » qu’un téléconseil ayant donné lieu à une plainte. On peut se demander alors devant quel tribunal ? S’il ne s’agit pas d’un acte médical cela devrait-il être jugé par une juridiction ordinale alors qu’il ne s’agit pas d’un acte médical, ou devant un tribunal de commerce qui peut ne pas s’estimer compétent ?

Propositions

  • Une évolution de l’Article 53 du Code de Déontologie que je réclame depuis 20 ans est nécessaire afin de s’adapter à notre monde. En effet, l’existence même de la notion de téléconsultation et de visioconférence dans le cadre de la loi montre que la distance entre le médecin et le patient n’est pas un critère pour ne pas assimiler le téléconseil à un acte médical.
  • Le téléconseil soit être assimilé à un acte médical à part entière, bardé de garanties très strictes que j’énoncerai ici :
    • Sécurisation des données exclusivement chez un hébergeur de santé agréé
    • Signature des médecins exerçant ce type d’activité d’une e-Charte déontologique, bien distincte du code de déontologie, mais calquée strictement sur lui.
    • Anonymat strict du patient (pas de réponse par mail)
    • Pseudonymat du médecin inscrit dans une base de données hébergée par les autorités compétentes (CNOM par exemple)
    • Traçabilité informatique des échanges entre le patient et le médecin.
      • Par téléphone, enregistrement de la conversation, opposable en cas de contestation juridique.
      • Par internet, connexion du médecin à des bases encyclopédiques traçables, permettant de reconstituer a posteriori la nature des échanges
    • Introduction d’une notion de rémunération « avec tact et mesure »  Cette rémunération est nécessaire à ce que le « contrat moral » de la relation médecin-patient ne soit pas léonin.
  • Le seul cadre du web 2.0 ne suffit pas à garantir à la fois l’éthique et la qualité des réponses. La traçabilité et l’utilisation par le médecin de référentiels d’information médicale est une nécessité, ce que fournissent généralement pas les sites d’information santé 2.0.
  • Il faut enfin introduire dans la relation l’intelligence des machines, qui soit en mesure d’assister efficacement le médecin dans un exercice de conseil rendu très difficile, puisqu’il ne connait pas le patient. L’utilisation de systèmes expert d’aide à l’évaluation et à la décision sont un garde-fou indispensable pour éviter les erreurs et les approximations lors de la fourniture d’avis et de conseils. Ce qui ne se conçoit véritablement que dans un web 3.0, connecté à un DMP 3.0, et à la suite d’une mutation du 2.0 au 3.0 qui va prendre du temps.

Je termine ici pour signaler qu’un article juridique très documenté sur le sujet devrait paraître en Juillet ou en Septembre 2012 dans la Revue Générale de Droit Médical, rédigé par Marie-Hélène Frayssinet, Docteur en droit, enseignant – chercheur Université de Toulouse, CUFR Champollion, École d’ingénieurs ISIS, Laboratoire LERASS EA 827. Le lien sera signalé dans cette page dès que la parution sera effective.

 

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3 Réponses à “Déontologie médicale sur le web”

  1. [...] vers un passage de la medecine à la santé 2.0  [...]

  2. Anonyme dit :

    Je dois saluer cette analyse avec la rigueur courtoise habituelle chez Loic Étienne. Depuis la publication du Livre blanc l’analyse du CNOM a d’ailleurs évoluée. On trouvera à cet égard une note d’analyses juridiques et déontologiques que j’ai coordonnée avec les services juridiques du Conseil national et que nous avons adressée aux services du Ministère. Nous maintenons que la prestation de teleconseil personnalisé est bien une prestation médicale. Comment pourrait-elle honorée quand elle est opérée derrière l’écran d’une société, alors que cela serait prohibé par l’art. R.4127-53 du CSP quand la même prestation serait fourni par un medecin pour un patient qu’il connaît et suit habituellement ? Nous avançons donc comme solution possible que cette prestation est proche d’une teleconsultation du décret telemedecine. Et que les pouvoirs publics doivent lever ces ambiguïtés..
    Jacques Lucas. CNOM.

    • Je remercie le Dr Lucas de son commentaire. Utiliser pour l’instant le mot prestation et le rattacher au cadre de la télémédecine correspond de fait à une réalité de terrain. Il ne faut en effet pas brûler les étapes, car tant que les outils technologiques (traçabilité, stockage, référence à des bases documentaires, etc.), et surtout le cadre tarifaire et réglementaire établi par les autorités compétentes n’auront pas été définis, on ne pourra pas encore parler d’acte à part entière.
      La balle est donc dans le camp de la CNMA et des Pouvoirs Publics.

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