L’automédication c’est quoi ?

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Interdite par le corps médical jusqu’aux années 90, décriée jusqu’aux années 2000, et finalement intégrée à la Loi en 2009, l’automédication est une pratique ancestrale qui trouve sa désormais justification médicale et économique dans le cadre de la législation.

La difficulté qui se pose quand on parle d’automédication, c’est qu’on dispose d’un seul mot pour définir des situations et des enjeux très différents et qui entrainent des confusions regrettables. 

La définition officielle selon l’Ordre National des Médecins est la suivante : « L’automédication est l’utilisation, hors prescription médicale, par des personnes pour elles mêmes ou pour leurs proches et de leur propre initiative, de médicaments considérés comme tels et ayant reçu l’AMM (Autorisation de Mise sur le Marché), avec la possibilité d’assistance et de conseils de la part des pharmaciens ».

A première vue, la définition de l’automédication tient dans son libellé : « médication pour soi-même ». S’en tenir à cette définition est un piège dans lequel il est facile de tomber. Quelques remarques sur ce mot suffisent pour comprendre.

Un mot ambigu

  • « Auto », donc pour soi. Or bien souvent l’automédication s’applique aux autres que nous-même : nos enfants, notre conjoint, notre entourage. Ce que l’on conçoit comme médication pour soi ne l’est pas pour les autres, car ce qu’on sait de soi de façon intime, on ne le sait pas forcément pour l’autre qui n’est pas soi. Le geste de l’automédication est un acte volontaire, individuel et responsable. Seule exception, les enfants, car les parents en ont la charge et doivent se substituer à eux. Mais ce faisant ils prennent un risque. L’automédication pour les enfants comporte donc plus de risque que pour soi. Il faut le savoir.
  • « Médication » suppose médicament. Or bien souvent, on peut se soigner avec des moyens simples ne comportant aucun médicament, même pour des pathologies urgentes ou semblant l’être. Par exemple, une laryngite striduleuse chez un enfant peut être soulagée par de la vapeur d’eau pendant 20 mn ; on peut enrayer certaines crises de tachycardie en buvant « cul sec » un verre d’eau glacée ; les crises de spasmophilie peuvent être soulagée en respirant son propre air dans un sac en plastic.
  • L’automédication est destinée à se soigner par ses propres moyens, en l’absence de tout médecin ou conseil médical. Mais que veut dire se soigner ? Au plan sémantique, il est intéressant de s’attarder un peu sur les mots :
    • Si l’on soigne ce dont on se plaint (un mal de tête, des selles fréquentes et liquides, une envie de vomir, etc.), on reste dans le strict domaine de l’automédication, puisque qu’on soigne la plainte, laquelle est en amont du symptôme.
    • Si l’on soigne le symptôme, on reste dans le domaine de l’automédication, mais on fait un pas vers la « médicalisation de la plainte » (on soigne une céphalée, une diarrhée, des nausées, etc.).
    • Et si l’on soigne la cause dont on pense être à l’origine de ces symptômes, on passe dans le domaine de l’autodiagnostic (on soigne ce que l’on pense être une migraine, une gastroentérite ou une indigestion. Ce faisant on s’est substitué au médecin, et en tombant dans le piège des mots, le patient aboutit bien souvent à des erreurs que le médecin lui reprochera par la suite.  C’est à cause de cette confusion dans les esprits entre autodiagnostis et automédication que bien des médecins sont encore hostiles à cette pratique.

L’automédication est malheureusement un terme consacré et populaire, mais qui porte en lui le germe d’une méprise.

Petite histoire de l’automédication

On s’est toujours automédiqué. Le simple fait de prendre un « cachet d’aspirine contre la migraine » est un acte d’automédication.

  • Avant les années 2000, l’automédication était considéré par la profession médicale comme nuisible : risque de retard dans le diagnostic et le traitement, perturbation des examens éventuel, masquage de pathologies sous-jacente, erreurs de dosage, interactions médicamenteuses. Ces craintes et réserves sont d’ailleurs toujours parfaitement justifiées si le public en faisant de l’automédication fait de l’autodiagnostic et de l’autotraitement.
  • Pourtant, dès les années 85, un mouvement très minoritaire parmi les médecins dont j’ai fait partie avec le Pr Jean-Paul Giroud, a prôné la nécessité de l’introduction d’une automédication encadrée. Il ne faut pas oublier qu’à cette époque, il était strictement interdit de citer le Primpéran* ou le Doliprane*, on ne pouvait parler que de paracétamol ou de metoclopramide, les principes actifs de ces spécialités pharmaceutiques. Un film, en particulier avait été retiré de toutes les salles de cinéma et obligé d’être remixé parce que l’un des acteurs disait « Tu n’as qu’à lui donner de la catalgine ! ». La législation aurait nécessité au sens strict de dire « Tu n’as qu’à lui donner de l’acide acetyl salycillique ! ». Audiard aurait apprécié… Je pense avoir été l’un des premiers en France à citer dès 1987 dans le 3615 ECRAN  SANTE les spécialités pharmaceutiques par leur nom de spécialité et non par leur dci (dénomination commune internationale). Un congrès sur l’automédication vers les années 95 continuait à diaboliser l’automédication et la considérer comme nuisible, car aucun médicament ne devait être pris sans qu’un diagnostic ait été porté, lequel à cette époque, je le rappelle, ne pouvait se concevoir sans que le patient ait été examiné physiquement par un médecin. Cela n’empêchait nullement ces mêmes médecins, plutôt que de se déplacer chez leurs patients à leur proposer par téléphone de s’automédiquer sans les avoir examiné.
  • Cette hypocrisie a été ébranlée par la sortie d’un livre « Prozac, le bonheur sur ordonnance » en 1994. Citer une spécialité ne devenait plus tabou. Alors qu’il ne s’agit pas d’automédication, ce livre a eu le mérite de faire entrer les spécialités pharmaceutiques dans le langage courant et d’ouvrir une brèche dans le mur : alors que la législation était toujours fermée, le langage s’autorisait à communiquer sur ces termes interdits.
  • C’est d’une part l’arrivée du web 2.0 qui a contribué à poser ouvertement la question de la légitimité de l’automédication, et d’autre part la problématique économique en santé à partir des années 2005.
  • L’automédication a été officiellement introduite dans le paysage le 30 juin 2008, avec le décret sur l’automédication.

Il reste toutefois à ce jour un débat entre les opposants et les tenants de l’automédication, qui est dû essentiellement à la définition imprécise qui en est faite et que je vais préciser.

Quelques chiffres

  • 80% des français recourent à l’automédication plus ou moins fréquemment.
  • Pic de fréquence : de 40 à 70 ans
  • Les accidents liés à un produit de santé représentent 3,6% des hospitalisations.
  • Parmi elles, entre 5 et 50 % (!) serait due à l’automédication
  • En 2010, l’automédication représentait 6,1% du marché des médicaments

Pourquoi s’automédique t-on ?

  • Ca coûte moins cher que le médecin
  • On ne dérange pas le médecin pour de la « bobologie »
  • On n’a pas de médecin
  • On n’a pas le temps d’aller voir le médecin
  • On sait bien ce qu’on a
  • Le « réflexe médicament »

Comment s’automédique t-on ?

  • Armoire à pharmacie familiale
  • Internet
  • Conseils de l’entourage
  • Médicaments de médication familiale (OTC) chez le pharmacien
  • Anciennes ordonnances

Un seul mot pour 3 types d’automédication

Comme on l’a vu, il ne faut pas confondre automédication (soigner seul ses symptômes) et autodiagnostic (faire son diagnostic tout seul). L’autodiagnostic est nuisible, l’automédication utile.


 

Il y a en fait 3 types d’automédications :

  • L’automédication « primaire » : elle permet de soigner des symptômes alors qu’aucun diagnostic n’a été porté par un médecin. Cette automédication ne doit pas durer plus de 1 jour ou deux. En cas de non sédation des symptômes , il faut consulter le médecin. On peut utiliser, soit certains types de médicaments vendus sans ordonnance (médicaments OTC ou de médication familiale) soit des médicaments en urgence qui sont au nombre d’une dizaine,  et qui ne sont utilisables que sous certaines conditions précises. Exemple, le mal de tête.
  • L’automédication « secondaire », appelée également « remédication » : elle permet de soigner les symptômes d’une maladie ou d’une crise qui a déjà été diagnostiquée par le médecin. Celui-ci vous a alors laissé une ordonnance avec des indications précise pour que vous sachiez quoi faire au cas ou la crise surviendrait. Exemple : la colique néphrétique.
  • L’automédication tertiaire : elle est pratiquée depuis de nombreuses années par les personnes ayant une maladie chronique comme l’asthme ou le diabète insulino-dépendant. Ce sont les personnes elles-mêmes, avec l’accord et sous le contrôle régulier du médecin, qui s’administrent les médicaments a des doses qu’ils connaissent et qu’ils adaptent le cas échéant

Les grands principes de l’automédication primaire

  • Traitement de courte durée (24 à 72 heures selon les symptômes)
  • Utilisant des médicaments non périmés pris dans une liste déterminée
  • Avec des doses adaptées, et en respectant les contre-indications
  • Pris en l’absence de signes de gravité
  • Dans l’attente de la consultation du médecin si les signes ne diminuent pas
  • En surveillant la disparition du symptôme.
  • En connaissant les problèmes d’interaction médicamenteuse
  • Les médicaments sont
    • soit des médicaments OTC vendus en pharmacie,
    • soit des médicaments de réserve que l’on a dans sa pharmacie familiale.
  • Il est nécessaire et bénéfique d’informer le médecin traitant qu’on s’est automédiqué.
  • Il faut savoir ne pas s’automédiquer s’il y a des signes de gravité. Et c’est bien là toute la difficulté !

Comment se repérer ?

Pour résoudre cette difficulté, le seul moyen possible existant à ce jour, à part le recours à un médecin est d’utiliser un système expert d’aide à la décision. L’un de ces systèmes qui a nécessité 25 ans de mise au point est désormais prêt à être mis en exploitation. C’est le seul système au monde en mesure, grâce à de simples questions,  d’évaluer la gravité d’une situation, d’envisager les diagnostics les plus probables et de proposer l’attitude à adopter, l’automédication n’étant que l’un des aspects.

L’automédication n’est pas un but ou une fin en soi, c’est l’une des possibilités. En effet, ne prendre aucun médicament et appeler un médecin d’urgence le samu ou aller à l’hôpital sont des attitudes tout aussi responsables. C’est ce que j’appelle l’autovigilance, qui est plus une attitude, une façon de se comporter, qu’une méthode thérapeutique. L’autovigilance est l’un des aspects importants de la prévention moderne, la prévention 3.0.

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4 Réponses à “L’automédication c’est quoi ?”

  1. Anonyme dit :

    Merci pour ces informations docteur. j’ai un exposé sur ce sujet et vos informations m’ont beaucoup aidé. Mais j’aimerais savoir si le profil des personnes qui pratiquent l’automédication est le même sur tous les continents.

    • Difficile déjà de savoir pour la France, car on ne dispose que des chiffres de l’Afipa que je vous conseille quand même de consulter.
      Pour l’étranger, je ne sais pas.
      Heureux d’avoir pu vous aider.

  2. Anonyme dit :

    Félicitations.
    Pr Jean-Paul Giroud

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