CES Las Vegas : le monde de demain

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CES de Las Vegas, de la démesure du lieu à la démesure des inventions. On en sort hébété et sonné. Mais c’est là qu’on a pu voir émerger les prémices du monde de demain.

Il est évidemment difficile de faire une synthèse de tout ce qui a été présenté au CES de Las Vegas en début Janvier 2016, tant le foisonnement des inventions a été intense, et le nombre de stands important. On peut toutefois dégager les grandes lignes.

L’impression générale

  • D’abord un sentiment de démesure, celui propre à Las Vegas avec ses hôtels hallucinants, mais aussi celui d’être confronté à une véritable révolution numérique qui va envahir notre quotidien. « Internet of me », c’est l’un des mots-clé du CES : tout un monde centré autour de l’individu et censé lui apporter des services inaccessibles auparavant.
  • Ensuite, un émerveillement devant l’énergie, l’inventivité des start-up de l’Eureka Park hébergé dans l’hôtel Venetia : de petites PME, à 30 % françaises, qui présentent des solutions allant du loufoque au stupéfiant. La France est un creuset d’inventivité.
  • Et enfin, le constat d’une sorte de fraternité des inventeurs et des solutions, avec un mélange de transparence, d’intérêt mutuel, de connectivité intellectuelle. « Allez voir là-bas, il y a des gens qui font à peu près pareil que nous, mais qui pourraient vous intéresser pour votre projet « . Cette phrase, combien de fois l’avons-nous entendue et l’avons-nous prononcée ! On est loin du secret, du repli sur soi. Tout le monde échange dans une sorte de gigantesque marché « open source ». Nous avons pu recenser plus de cent contacts intéressants, soit en partenariat, soit en prospect, et parfois dans les deux sens.

En raison de la multiplicité des exposants et surtout de leur intrication dans des univers disjoints (l’automobile et les objets connectés par exemple, ou les imprimantes 3D et le bien-être, les drones et la désertification médicale…), les divers pavillons (SLS, Venetia, Sands, et autres hôtels réservés aux expositions), donnaient une certaine impression d’hétérogénéité, comme une sorte de bouillonnement brownien. En quatre jours il est impossible de tout voir. Cependant, et en se limitant au strict domaine de la santé, voici ce qu’il apparait des grandes tendances.

Le boom des objets connectés

  • Il y en a partout, de toutes les sortes. Avec toutefois un premier constat : tout le monde présente à peu près le même type de capteurs : tensiomètre, thermomètre, saturomètre, glucomètre, électrocardiogramme, spiromètre, accéléromètre, compteur de pas, etc. Ce qui est nouveau en revanche, c’est la prise de conscience que pour que des données aient une valeur, il est indispensable qu’il s’agisse de dispositifs médicaux certifiés et marqués CE, comme ceux de Visiomed.
  • Le deuxième constat  que j’avais émis il y a plusieurs mois dans la crise d’adolescence des objets connectés, est établi de façon certaine par tous les observateurs.  Les objets sont maintenant quasi autonomes en matière énergétique, ils communiquent par bluetooth sans la moindre difficulté, et peuvent répandre leurs données dans un « Cloud », c’est à dire un nuage numérique explorable, c’est tout l’univers des big datas. Mais ces big datas, même certifiées n’ont pas de valeur si elle n’ont pas de sens : que vaut un chiffre de tension, de pouls ou de température s’il n’est pas relié à une histoire de la maladie et à une symptomatologie ?  Sans intelligence artificielle pour leur donner du sens, c’est comme observer des nuages sans comprendre leur signification sur la météo à venir. Il y a donc nécessité de passer du big data aux smart datas (des données très importantes mais qualifiées).
  • Le troisième constat est une interrogation : où cela nous mène t-il ? On voit l’intérêt dans le domaine de la prévention 3.0, et du suivi des maladies chroniques, diabète, hypertension, etc. Mais on ne peut s’empêcher de penser à la pente inéluctable qui nous mène à un univers à la Orwell ou à la Huxley, où la machine pourrait installer un véritable totalitarisme, traquant nos mauvais comportements individuels au profit du bien-être et du bien-penser collectif.

Intelligence et réflexion éthique sont bel et bien les deux axes à mener de front pour obtenir des objets connectés le meilleur et non le pire.

L’invasion de la domotique

  • La maison devient un véritable appendice de l’individu. Elle n’est plus un simple objet qui se pilote à distance, elle se pose en gardien de notre santé et de notre sécurité, elle peut penser pour nous, acheter pour nous, prévoir pour nous. Nous avons pu voir des frigos 3.0, qui savent ce qu’il manque dans le réfrigérateur, et qui peuvent commander les aliments manquants, si l’autorisation leur en est donnée par leurs propriétaires.
  • Les services rendus vont bien au delà de lancer la préparation du repas à distance, de programmer le chauffage depuis son Smartphone, ou d’avertir de la présence des intrus, elle peut aider les personnes âgées pour le maintien à domicile, aider les personnes handicapées, et surveiller ses jeunes enfants. Les robots comme « personne de compagnie » sont une réalité. La maison devient objet communicant de par ses multiples yeux et oreilles ; elle devient notre interlocuteur et peut surveiller les personnes médicalement dépendantes.
  • La voiture connectée est elle-même un appendice de la maison : elle pourra dialoguer avec les objets domotiques pour des tâches qui semblent dépasser ses seuls attributs. Mais surtout en matière de santé, elle reconstruira grâce à ses connexions avec la maison, un environnement fait de sécurité et de prévention.

Ce qu’il manque, là encore, c’est l’intelligence pour corréler toutes ces données, et leur donner du sens.

L’internet des objets

  • « IoT », Internet of Things ». L’image de la maison connectée est l’avant-garde de ce qui nous attend en matière de santé. Chaque objet connecté, qu’il soit ou non dédié à la surveillance de la santé, est en mesure de diffuser ses données dans le Cloud, et ceci en temps réel, puisque les systèmes d’alimentation électrique sont dorénavant très peu consommateurs d’énergie.
  • En matière médicale, notamment dans l’Eureka Park, nous avons pu observer les prémices d’une main intelligente, capable d’apprécier la rugosité, l’humidité, la température et la pression. Cela ouvre à horizon 2 ans à un palpeur qui sera aussi performant que les mains d’un médecin palpant un ventre. Le stéthoscope communiquant existe déjà depuis 2 ans, de même l’otoscope qui prend des photos avec une qualité bien supérieure à ce que nous voyons avec nos otoscopes habituels. Que dire aussi des analyseurs d’urines, des mini-labos en capacité de mesurer des constantes en sang capillaire (glycémie bien sûr, mais aussi kaliémie, et demain troponine, CRP, leucocytes, hémoglobine…). Les caméras sont maintenant 3D,  ce qui rend demain possible une véritable téléconsultation dermatologique, une simple photo n’étant souvent pas suffisante pour porter un diagnostic. Les fonds d’oeil, le fond de la gorge,  les lampes à fentes communicantes, les tonomètres existent déjà. Une équipe de Grenoble est en train de créer un nez artificiel, capable de sentir des odeurs, celles que nous médecins sommes en mesure de percevoir au chevet du patient. Les google glass distribuées par AMA et portées par l’infirmière deviennent les « yeux du médecin distant ». D’ici 5 ans, on disposera de capteurs en mesure de remplacer les 5 sens du médecin, toutes les données étant analysables par des algorithmes de reconnaissance visuelles et auditives et par des systèmes experts.
  • Ce monde « IoT » va faire entrer la télémédecine dans une dimension de télémédecine 3.0 : les résultats obtenus par les objets connectés sont interprétés par des systèmes experts en mesure de rapprocher ces données de l’interrogatoire du patient. Le contre-rendu automatique envoyé au médecin distant lui permettra de poser des diagnostics et de prendre des décisions, si aucun médecin réel n’est disponible. On voit tout l’intérêt que cela représente pour des déserts médicaux.

Cela pose toutefois des questions, qui sont là encore d’ordre éthique. Et pour lesquelles nous ne sommes pas préparés. L’urgence est de réfléchir à ce monde qui nous attend.

L’individu connecté

  • Il est dores et déjà une réalité, mais tout cela se fait en dehors de la relation médecin patient, ce qui ouvre la brèche vers de nombreuses dérives, notamment ce que j’appelle la « connectomanie », et son versant maladif, la « connectochondrie ».
  • Le patient connecté est, lui, bien plus en avance que le médecin connecté. Si les médecins ne prennent pas part à la structuration d’une « relation connectée », ce monde se construira sans eux, et sera laissé aux mains d’industriels, d’assureurs, et d’émanations du Pouvoir politique. C’en sera bien fini du « colloque singulier », dernier vestige de la médecine humaniste.

Là encore, il y a donc urgence.

L’intelligence artificielle (IA)

  • Elle a été la grande absente de ce CES 2016, mais elle sera sans aucun doute au centre des innovations du CES 2017. A part le médecin virtuel MEDVIR que nous avons présenté sous la bannière Bewell Checkup, et le coach virtuel Biomouv, l’IA n’était pas au rendez-vous.
  • Une donnée médicale n’a de sens, je le répète, que si elle est horodatée, géolocalisée, ontologiquement univoque, contextualisée et replacée dans l’histoire d’un patient, de ses antécédents et des symptômes qu’il ressent. Or ce que l’on voit dans les multiples compte-rendus d’hospitalisation ou de suivi thérapeutique, c’est la grande variabilité de leur qualité qui tient au recueil des données, notamment en termes d’anamnèse. Cette variabilité est totalement opérateur-dépendant. De la même façon, la grande variabilité des prescriptions, quelles soient d’examens complémentaires ou de traitement, rend très difficile la comparaison entre plusieurs  publications scientifiques.
  • Les logiciels d’intelligence artificielle, qu’ils soient une aide au diagnostic, à la prescription des examens et à la thérapeutique, vont devenir une nécessité en pratique médicale courante, en raison de l’étendue exponentielle des connaissances, de la multiplication des protocoles, et des données issues de la génomique et de l’épigénétique. La masse des données collectées sera telle qu’en l’absence de ce type d’outils, les médecins ne pourront garantir à leurs patients l’absence de perte de chance, avec la judiciarisation qui s’ensuivra.

Ces logiciels, couplés aux objets connectés (5 milliards actuellement, 25 milliards prévus en 2020), vont nous faire pénétrer dans l’univers hautement dangereux, mais inéluctable de la médecine 4.0. Il y a urgence à construire un mode 3.0 humain et éthique, si nous ne voulons pas aboutir à un monde 4.0 à la Orwell où les machines deviendront hélas plus performantes que les humains.

 

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2 Réponses à “CES Las Vegas : le monde de demain”

  1. Anonyme dit :

    Bonjour,
    merci pour cet article!

  2. Anonyme dit :

    Bonjour,

    article intéressant qui résume bien les évolutions récentes et leur formidable (pour le meilleur comme pour le pire) accélération.

    On pourrait également ajouter à ce tableau la dimension épidémiologique.liées à toute cette collecte globale de données: l’anticipation de l’apparition des maladies, leur suivi dans le temps et l’espace,…

    Votre conclusion résume bien les risques de cette médecine 4.0, qui ne pourra toutefois jamais remplacer la relation entre le médecin et son patient.

    De nombreux secteurs n’ont malheureusement pas mesuré les risques dans des situations similaires, séduits par l’efficacité immédiate et sans en mesurer les conséquences à long terme.L’homme est ainsi devenu dans ceux-ci un simple exécutant au service de la machine…

    Citons par exemple la finance avec ces ordinateurs qui décident automatiquement des ordres de vente et d’achats de titre, provoquant des crises à répétition, les transports (métros automatiques ou demain les taxis autonomes..).

    Le problème est que les citoyens ne sont pas consultés et « éclairés » sur ces changements, ils les subissent insidieusement…A quand une classe politique qui posera aux citoyens la question du monde dans lequel ils veulent vivre ?

    Désolé, je m’écarte du sujet, mais celui-ci a le mérite de soulever beaucoup de réflexions…

    Merci pour l’article.

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