Pourquoi poireaute t-on autant aux urgences ?

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Trois heures d’attente, voire plus ! Patients autant que médecins, tout le monde est excédé. Les urgences sont un véritable goulot d’étranglement, lieu d’angoisse, de stress et de colère.

Ce problème chronique est dû à de nombreuses causes, finalement assez bien répertoriées mais sur lesquelles il semble que les décideurs n’aient aucune prise ou aucune volonté forte d’y porter remède. Pourquoi, alors que les solutions existent depuis plusieurs années ?

Le parcours du combattant

Il faut bien comprendre qu’aux urgences, le goulot d’étranglement est inévitable, ne serait-ce parce qu’il est impossible de prévoir face aux variations de flux entrant, les ressources qu’il va falloir lui présenter. Le parcours aux urgences est quasi invariable, et à chacune de ces étapes inévitables, il y a obligatoirement un temps d’attente. D’où des délais incompressibles :

  • Le patient doit d’abord s’inscrire ou se signaler (de son propre chef ou amené par les pompiers, le samu ou une ambulance) à l’accueil ;
  • ensuite il est vu (dans les services ou ça existe) par un IAO (Infirmier d’Accueil et d’Orientation) qui évalue rapidement la gravité du problème ;
  • puis il est examiné par un médecin qui va prodiguer les soins immédiats et demander les examens complémentaires initiaux ou la consultation d’un spécialiste au sein de l’hôpital ;
  • les divers examens doivent être réalisés, certains prenant du temps, notamment l’imagerie médicale (radios, scanner, IRM, échographie…)
  • Muni du résultat ou de la consultation du spécialiste, le patient est revu par le médecin qui prend une décision (hospitalisation ou non), donne un traitement éventuel, ou renvoie le patient vers une consultation externe.

Ce parcours heurté est à l’origine dans certains services de scènes de violence où le personnel soignant se fait agresser sans la moindre justification. Il est pourtant difficile de le fluidifier plus. Sauf si…

En fait, pourquoi autant de patients viennent-ils aux urgences ?

Les raisons de leur venue sont très nombreuses :

  • Les patients amenés par les pompiers ou le samu pour tous les problèmes survenus sur la Voie Publique.
  • Les patients envoyés par leur médecin pour réaliser en urgence des examens, faire un bilan hospitalier, ou éliminer une urgence grave
  • Les patients qui n’ont pas d’argent ou de couverture sociale pour payer un médecin de ville
  • Les patients qui n’ont pas trouvé de médecin disponible (désertification médicale, encombrement des cabinets, refus de certains médecins de prendre la CMU ou l’AME)
  • Les patients qui sont persuadés à tort ou à raison que leur problème justifie le recours aux urgences
  • Les patients pour qui attendre, même plusieurs heures, n’est pas un problème
  • Les patients qui pensent qu’ils attendront moins aux urgences qu’au cabinet de leur médecin
  • Les patients qui prennent l’hôpital pour un cabinet de ville.
  • Les patients qui ne font pas confiance aux médecins de ville et préfèrent les médecins hospitaliers

Et il y sans doute encore d’autres causes, dont le résultat cumulé est la saturation des urgences. Certaines causes ne peuvent trouver de solution (indigence, hospitalisation nécessaire, problème sur la Voie Publique, etc.), mais d’autres le pourraient si la population disposait de moyen de savoir que leur problème ne nécessite pas le recours à un médecin et encore moins aux urgences.

Cette saturation, bien que répondant à des motivations un peu différentes est strictement superposable à la saturation des centres 15. Et à la saturation des cabinets médicaux.

Les axes de réflexion

Comme dans tout goulot d’étranglement, les solutions ne sont pas très nombreuses : soit on diminue le flux d’entrée, soit on accélère le flux de sortie (donc la capacité de traitement des urgences)

  • Accélérer le flux de sortie
    • Il suffirait  évidemment de doubler voire de tripler le personnel (secrétaires, IAO, médecins d’accueil) et les batteries d’examen (laboratoire et  imagerie médicale avec tout le personnel médical et paramédical qui va avec). Autant dire que l’hôpital qui a déjà du mal à s’en sortir, exploserait son budget. Malgré la logique des revendications syndicales qu’il est raisonnablement impossible de satisfaire dans le contexte économique actuel et de pénurie , c’est une solution utopique.
    • En revanche, il serait possible de limiter l’entrée dans le circuit des urgences, si un tri rapide et fiable pouvait être effectué par les IAO ou par du personnel en amont, et que les patients dont l’état ne présente pas d’urgence soient réorientés vers une maison médicale attenante.
      • Tri des patients en amont du circuit, c’est possible en munissant les IAO ou une personne en amont (externe en médecine par exemle) d’un système expert d’aide à la décision. Mais il faudra de toute façon qu’un médecin valide cette décision et endosse la responsabilité, ce que seul un docteur en médecine est légalement en droit de faire. Un tel outil permettrait toutefois d’accélérer le triage, de le fiabiliser, et de pouvoir faire des études épidémiologiques permettant d’améliorer les conditions et la qualité de l’accueil. Ce n’est pas négligeable. De plus, cela permettrait de prendre en charge le patient dès son inscription par un simple interrogatoire de 3 mn, et de diminuer sa pression revendicative éventuelle. Cela aiderait par ailleurs à la formation des externes et des étudiants en médecine.
      • Envoi vers une maison médicale : un pourcentage important de patients (sans doute de l’ordre du tiers) pourraient être vus par les médecins des maisons médicales attenantes à l’hôpital. Le problème est celui du paiement, car comme on l’a vu, bien des patients viennent aux urgences parce qu’ils sont totalement démunis. Il suffirait alors tout simplement que pour tout patient qui ne peut pas payer le médecin de la maison médicale, ou qui ne dispose d’aucune aide (CMU, AME, etc.) l’hôpital rémunère ce médecin.
      • Limiter les examens complémentaires en améliorant la qualité de l’interrogatoire par les médecins et le moindre recours aux examens complémentaires. Cette question  ne date pas d’hier, puisque depuis les années 60,  les médecins préfèrent recourir aux batteries d’examens plutôt que de passer un peu plus de temps sur l’examen clinique et sur l’anamnèse. Mais les médecins sont aussi soumis aux aléas de la [judiciarisation de la médecine] et ont tendance parfois à « ouvrir le parapluie » pour se couvrir, ce qui explique ce recours quasi systématique aux examens complémentaires.
  • Diminuer le flux d’entrée
    • Les campagnes d’information et d’incitation (ne pas encombrer les urgences, ne pas appeler le 15 pour rien) n’ont en rien changé les comportements. La raison est que chacun est persuadé que son problème justifie le recours aux urgences de l’hôpital
    • Fournir à la population un outil simple d’aide à la décision version grand public, afin d’évaluer la situation du patient, de lui fournir les conseils d’automédication lorsque cela est possible, et de lui donner une idée des délais raisonnables pour consulter. Cet outil de régulation des flux entrants, je l’avais proposé dès 2004 dans le cadre de la Loi d’Août 2004 sur l’Assurance maladie dans un projet de plateforme à la fois internet et par téléphone, appelée le 3333, sous l’égide du 15, et destiné à aider les patients à s’autoréguler. L’amendement (9 ter) voté par l’Assemblée Nationale avait finalement été repoussé par le Sénat. Cette idée semble à nouveau émerger, elle participerait de la solution.

Les solutions pratiques

  • Adjoindre, en amont des IAO, du personnel formé mais moins qualifié qu’un infirmier dont le rôle est essentiel aux urgences, ou recrutés parmi les étudiants en médecine. Ce personnel en utilisant un système expert de triage pourrait rapidement évaluer la situation.
  • Développer grâce à ce type d’outils l’automédication des patients, ce qui permettrait également de désengorger les cabinets médicaux de toute la « bobologie »
  • Créer un véritable réseau ville-hôpital avec des maisons médicales attenantes aux Services d’Urgences, où le médecin serait payé par l’hôpital le prix d’une consultation en cas de carence de paiement du patient.
  • Mettre à disposition de la population, par internet et par centre d’appel un 3333

Les anglais, les suisses, et certains états aux USA le font déjà. Qu’attendons-nous ?

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3 Réponses à “Pourquoi poireaute t-on autant aux urgences ?”

  1. Anonyme dit :

    Entièrement d’accord avec ces solutions ! Qui osera mettre un terme a ce  » foutoir » il faut utiliser les mots adaptés et celui la l’est ! J’ai un tas d’exemples a citer mais manque de place ici ! Pour les conditions des patients aux vrais besoins d’urgence et dans le respect du travail des équipes de soins urgentistes il est néssecaire d’agir ! et vite ! Une pétition peut être ?

    • Une pétition, oui c’est une très bonne idée, cela permettrait déjà de voir son impact au sein de la population, et peut-être (on peut l’espérer) de faire bouger les décideurs.
      Si vous avez le temps de rédiger un texte qui regroupe ces propositions, on pourrait le relayer assez facilement et proposer grâce à un petit widget, une sorte de sondage en ligne.
      Merci de votre excellente suggestion.

  2. Ah ! vous posez une question qui me trotte dans la tête depuis longtemps.
    Quand on sait que 3% seulement des consultations en urgence en sont vraiment, et que parmi ces 3%, 10% à peine sont des urgences vitales, on peut se demander en effet si le meilleure moyen de vider les urgences ne serait pas de faire payer (le simple prix d’une consultation, soit 23 € remboursés par la sécurité sociale) toutes ces personnes qui viennent aux urgences uniquement parce que c’est gratuit.
    Et dans ce cas-là, l’hôpital se comporterait comme les médecins libéraux : ceux qui ont la CMU soient soignés gratuitement, et l’hôpital se fait payer par l’assurance maladie ; ceux qui n’ont pas d’argent laissent un chèque qui est encaissé une fois qu’ils ont obtenu leur remboursement. C’est ce que font tous les médecins libéraux, et ça marche très bien (quoi qu’en dise notre ministre).
    D’une manière générale, un peu plus de médecine libérale dans le système hospitalier les rendrait plus responsables en matière de finances !

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