Web santé : passage du web 2.0 au web 3.0

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Le web 2.0 est balbutiant et se cherche encore. Est-il raisonnable d’envisager le 3.0 alors que le 2.0 n’a pas atteint sa maturité ?

Et d’ailleurs cette discussion théorique est-elle vraiment nécessaire ? Je pense que oui, le 2.0 n’étant à mon sens qu’une étape intermédiaire, une sorte d’échafaudage vers ce qui sera un web stabilisé et mature, le 3.0.

Web 2.0 : état des lieux

Actuellement, le web 2.0 est fondé sur des principes techniques de flux des informations et de façon de les organiser. Pour l’internaute, c’est la possibilité d’abord de s’informer, mais de bénéficier d’un service (diagnostic, avis régime alimentaire, suivi de pathologies chroniques, etc.) ; ce faisant il fournit des informations personnelles de santé au serveur détenu par l’éditeur.

Pour l’éditeur, la fourniture d’information lui permet de recueillir en retour des données en provenance de l’internaute. Grâce au trafic obtenu, il peut vendre soit de la publicité, soit les données recueillies par l’internaute, (le data mining). C’est sur ces deux points que se situe à la fois le risque de dérive du web 2.0, et surtout l’absence de règles éthiques bien définies. C’est sur le modèle économique que devront s’instaurer les règles du web 3.0.

La question du modèle économique

Le problème est que la plupart du temps, les données servent surtout à faire du profiling afin de déterminer des cibles qui pourront être attaquées par la publicité. La vision du web 2.0 est avant tout mercantile. Ainsi, l’internaute à son insu donne des clefs à ceux qui financent la gratuité des sites. Le web 2.0 est donc non éthique dans ses fondements ; il suffit de consulter certains sites santé qui ne sont plus que des panneaux publicitaires au milieu desquels une information dilacérée, fragmentée, conçue pour « faire du clic » et de la « page vue », a bien du mal à trouver sa place.

Il semble difficile (et finalement peu éthique) de rendre les sites santé payants. La gratuité est donc la règle. Mais comme la fabrication et la maintenance d’un site est loin de l’être, on dispose d’un nombre restreint de modèles économiques :

  • Le paiement déguisé : c’était le minitel, formidable modèle économique, bousillé par la myopie de France Télécoms qui a voulu vers les années 95 imposer le principe technique obsolète du minitel et n’a pas vu les extraordinaires potentialités d’internet. Le paiement des éditeurs de services et de sites par la facture téléphonique est une possibilité à laquelle on aboutira peut-être un jour. Cependant, dans le contexte économique actuel, et avec la perspective d’une médecine à 2 ou 3 vitesses, ce type de modèle économique n’est pas souhaitable car il ne fera qu’aggraver la fracture entre la médecine pour les riches et celle pour les pauvres.
  • La fausse gratuité : c’est le modèle de la quasi totalité des sites actuels. ce sont les annonceurs qui financent le site par l’intermédiaire de régies publicitaires. En raison de la contextualisation des pubs et du profiling des internautes,  voire de la récupération de leur adresse mail, ce qu’on croit gratuit ne l’est pas, car on finit toujours par consommer les produits vantés par la publicité. Ce modèle, disons-le franchement, n’est pas éthique, car la pub détourne l’indépendance de l’information. Le simple exemple de la présentation d’un médicament de médication familiale (non remboursé) à côté d’un conseil pour la fièvre suffit pour comprendre que l’information est alors totalement dépendante de l’annonceur et manipule donc l’internaute.
  • Le don : ce système a été en vogue aux USA, il est éthique, mais c’est un modèle inconstant, qui s’essouffle vite, les sites qui y ont recours finissant rapidement aux abois.
  • La gratuité totale : elle n’est bien sûr qu’apparente : pas de paiement, pas de mail laissé en otage, pas de publicité. C’est possible, et c’est à mon sens la voie de l’avenir, mais le site est alors obligé de vivre avec du data mining, c’est à dire de la vente de données, ce qui dans le domaine de la santé est très discutable. On en vient donc à la conclusion que ce type de financement n’est possible que s’il est parfaitement éthique : données totalement anonymisées, engagement de non agression publicitaire, données cumulées et non individualisées.  Le web 3.0 sera donc un web 2.0 totalement éthique.

Les outils de la mutation

Quel que soit le modèle économique retenu permettant à la fois aux éditeurs de sites de vivre et d’investir, et aux internautes de bénéficier des services du web, l’éthique devra être au centre des préoccupations :

  • anonymisation des données compatible avec une personnalisation de ces données et une sécurisation totale.
  • Non réutilisation des profils personnels des internautes pour leur vendre des produits en retour
  • Indépendance des informations face aux pouvoirs politiques et financiers. C’est ce point que la Charte HON (Health On teh Net) a bien délimité.
  • Qualité des informations fondée sur l’Evidence Base Medicine et les conférences de consensus, mais discutée grâce à des forums thématiques et non thématiques.
  • Forums modérés à la fois par une encyclopédie intégrée fournissant en référence les informations sur le sujet, et par des médecins.

La façon dont doivent être conçues les bases de données est importante. Sans une ontologie profondément réfléchie, l’information deviendra inexploitable pour le data mining, et finit par fournir aux machines des données fausses. Le  choix des mots dans une base de connaissance est essentiel. Par exemple, si à propos d’une douleur dans la tête, on parle, pour des raisons éditoriales de « migraines », on fait un abus de langage et on introduit une confusion dans l’esprit du public. La conséquence en ce qui concerne l’automédication, est que si on soulage une migraine au lieu d’un mal de tête, on va employer des médicaments de prescription, et donc on sortira du cadre de l’automédication primaire. Autre exemple, la CIM 10, classification Internationale des Maladies de 10ème génération, s’est améliorée, mais comporte de nombreuses approximations qui finissent par aboutir à des contresens (pourquoi une douleur thoracique serait-elle forcément d’origine cardiologique ?). L’intelligence des machines va dépendre d’une acceptation de déconstruire une certaine nosographie sur laquelle le corps médical s’appuie. Par analogie, et pour donner une idée des conséquences, le bug de l’an 2000 – qui n’a pas eu lieu – était envisagé parce que les sous-couches de kobol qui existaient encore dans les programmes informatiques étaient codés sur 2 chiffres, ce qui risquait en 2000 de nous faire revenir en …1900.

Il est donc indispensable de revoir notre façon de classifier les maladies et de déterminer une ontologie qui tienne la route. C’est l’une des conditions pour que les machines intelligentes ne deviennent pas stupides et donc inutilisables. Cet aspect sera abordé ultérieurement dans le chapitre sur le « médecin virtuel ».

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8 Réponses à “Web santé : passage du web 2.0 au web 3.0”

  1. [...] Le web 2.0 est balbutiant et se cherche encore. Est-il raisonnable d’envisager le 3.0 alors que le 2.0 n’a pas atteint sa maturité ? Et d’ailleurs cette discussion théorique est-elle vraiment nécessaire ?  [...]

    • En effet, si le web était une succession d’étapes comme la construction d’une fusée, il serait présomptueux d’imaginer le 3.0 tant que le 2.0 n’aurait pas atteint un stade de maturité suffisant. Et on pourrait d’ailleurs objecter qu’avant de faire un web 2.0, il faudrait déjà envisager un web 1.0 qui tienne la route !
      En fait, les notions de 1.0, 2.0 etc. ne sont pas des étapes comme la construction d’une fusée par exemple, ce sont des façons de concevoir la circulation de l’information. Pour résumer : le 1.0 c’est la relation de l’individu isolé avec un ordinateur qui lui délivre de l’information. Et là il y a déjà beaucoup de choses à améliorer. Le 2.0, c’est l’interaction des individus entre eux au travers d’un ordinateur qui leur permet d’échanger de l’information. Et là aussi on peut critiquer, car les forums entre autres peuvent être responsables du meilleur comme du pire. Quant au 3.0, c’est la survenue dans ce dialogue, de machines intelligentes qui apportent leur contribution. C’est déjà une réalité depuis longtemps (Exemple : les embouteillages signalés sur les sites de mapping, sont un exemple de web 3.0, puisque c’est l’observation par des machines de la vitesse de déplacement des téléphones portables qui permet de savoir si les voitures sont ou non à l’arrêt).

      Je pense donc -au risque de vous contredire- qu’il est particulièrement important de structurer notre réflexion autour de ces concepts afin d’essayer de les maîtriser dans le futur, et de concevoir des machines 3.0 qui allient intelligence et éthique. Cela est d’autant plus important, que d’ici 5 ans je pense, ce qui nous attend, c’est le web 4.0 (appelé également « internet des objets »), qui permettra aux machines d’échanger entre elles des données nous concernant. Avoir réfléchi au 3.0 nous évitera, il faut l’espérer, des déconvenues cuisantes et irrattrapables. Voila pourquoi que je pense que la réflexion théorique est vitale, et que parler du 3.0 n’empêche nullement de structurer le 2.0, et le 1.0 qui restent comme vous le dites balbutiants et nécessitant des améliorations.
      Bien cordialement

  2. [...] vers un passage de la medecine à la santé 2.0  [...]

  3. Anonyme dit :

    Bonjour Dr Etienne, actuellement chercheur associé à l’Espace Ethique Méditerranéen, je réfléchis en ce moment à un concept d’une Médecine 3.0 qui serait l’étape supérieure du 2.0. Cela correspondrait à une Médecine qui considère le SI comme un partenaire à part entière de la relation médecin-patient et qui doit serait utilisé d’un point de vue éthique et humain, en prenant en compte les exigences du professionnel de santé mais également les attentes des usagers de soins … Apparemment, nous avons des champs de réflexions qui se recoupent. J’aimerai vous envoyer un article que j’ai publié dans la revue « Les Cahiers du Numérique » qui s’intitule : « Modélisation éthique de la recherche collaborative d’information » dans la relation médecin-patient. Ainsi, vous pourrez me faire des remarques dessus afin d’approfondir mes recherches sur le sujet. N’hésitez pas à me contacter sur mon e.mail personnel. Cordialement. Jérôme

    • Bonjour, ce sera avec plaisir, cette notion de 3.0 dont j’ai posé quelques principes de base correspond à ce que vous décrivez. Cette idée fait peu à peu son chemin, le 2.0 n’étant à mon sens qu’une étape. Je serai heureux de voir avec vous comment avancer sur ce sujet. Je pense que le 3.0 s’il est conçu avec éthique et intelligence ouvre la voie vers une amélioration de la relation médecin patient, un retour vers la séméiologie, et la mise en place d’épidémiologie en temps réel fondée sur la parole du patient, dont nous, les médecins, nous avons absolument besoin pour faire progresser la connaissance.
      Cordialement
      Loïc

  4. [...] Web santé : passage du web 2.0 au web 3.0 – Zeblogsanté From http://www.zeblogsante.com (via @DSirmtCom) – Today, 10:49 AM vers un passage de la medecine à la santé 2.0 (RT @NoelDominique: Web santé : passage du web 2.0 au web 3.0 http://t.co/5H66RfHl via @drloicetienne #hcsmeufr #msante via @contact_amfe…)… [...]

  5. Anonyme dit :

    Je me propose d’étudier avec Loïc ETIENNE, inventeur du système expert d’aide à la décision qu’il décrit, la création d’une FONDATION qui donnera son label à quelques didacticiels dont Medecine explorer et quelques autres Fondations où les ontologies et les codifications seront articulées et mises à jour en permanence

    BONNE ANNNEE
    Dr Claude MEISEL

  6. Anonyme dit :

    Posts like this brighten up my day. Thanks for tkanig the time.

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