Pour en finir avec les déserts médicaux

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Ils progressent comme la sécheresse au Sahara. Mois près mois, les cartes le prouvent. Pour en finir avec ce fléau qui menace une proportion croissante de notre territoire, il faut penser différemment. Think different ! Ca ne vous rappelle rien ?

Territorialité

Le désert médical est une expression galvaudée depuis près de 10 ans, date à partir de laquelle le simple examen des courbes démographiques a fait prendre conscience du risque présenté par la diminution effective du manque de médecins. Cette notion de désertification médicale mérite d’être précisée. On peut distinguer :

  • Les « déserts sanitaires » où il n’y a plus aucun médecin, mais également plus aucun professionnel de santé (pharmacien, infirmières, kinés, ambulanciers, dentistes…). Dans ces déserts, l’hôpital est le plus souvent le seul recours, et en raison du phénomène de concentration hospitalier, il peut être très éloigné.
  • Les « déserts territoriaux« , où il n’y a que très peu de population et pas de médecins. Dans ces déserts, cette grande écharpe qui va globalement du Sud-Ouest au Nord-Est, vivent malgré tout de façon éparse une population le plus souvent vieillissante, dans des villages ou de petites villes qui peu à peu se meurent. Il reste toutefois, des professionnels de santé par endroit : pharmaciens, infirmières, parfois kinés, parfois même dentistes.
  • Les « déserts médicaux« , où dans un bassin de population plus ou moins étendu, il n’y a plus aucun médecin, ce qui oblige les patients à des déplacements de parfois une dizaine de kilomètres ou plus. Ces déserts médicaux  se recoupent dans certains cas avec les déserts sanitaires, mais ce sont des zones où existent encore ça et là des professionnels de santé non médecin.
  • Les « pré-déserts médicaux« , ces zones où il ne reste plus que un ou deux médecins prêts à prendre leur retraite.
  • Les « déserts médicaux sectoriels« . Il y a bien des médecins, mais on manque de certaines spécialités (ophtalmo, gynéco, psychiatres, pédiatres, etc.)
  • Les « déserts médicaux temporels » : durant les heures et jours ouvrables il y a bien des médecins, mais la nuit et le week-end, il ne reste que l’hôpital car la Permanence des Soins n’est pas assurée, le plus souvent par manque de médecins disponibles pour faire les gardes en plus de leur travail durant la journée.

Il y a donc désert …et désert. Les méthodes coercitives (obliger les médecins à s’installer où il en manque), incitatives (prendre en charge tout ou partie des frais de fonctionnement du médecin), ou de détournement (dévoyer des médecins étrangers pour les faire travailler dans les déserts) ne sont visiblement pas une solution qui marche. Les maisons de santé sont une bonne solution pour les déserts médicaux et surtout sectoriels, ce qui n’est déjà pas mal. Mais pour les autres, déserts sanitaires et territoriaux, pas de solution.

Interprofesionalisation

Comment se répartissent les professionnels de santé non médecins dans ces différents déserts :

  • Dans les déserts sanitaires, on pourrait penser qu’il n’y a pas de solution, car pas d’effecteurs qui se rendent au domicile des patients, en particulier les personnes âgées ou médicalement dépendantes. Il reste toutefois deux catégories professionnelles qui maillent le territoire, parfois dans des endroits très reculés : les infirmières -qui font souvent des dizaines de kilomètres pour venir en aide à des patients- et les postiers. Évidemment, ce ne sont pas des médecins, mais ils répondent présent.
  • Que ce soit dans les déserts territoriaux ou les déserts médicaux, il y a des professionnels de santé, non médecin bien entendu, mais qui eux aussi peuvent répondre présent.
  • Et dans les déserts médicaux temporels où la Permanence des Soins n’est plus assurée par les médecins, il reste encore beaucoup de professionnels de santé non médecins.

On voit que quel que soit le désert -sauf les déserts sectoriels- il y a des professionnels de santé actifs et disponibles. Que leur manque t-il pour être une réponse à la désertification médicale ? De n’être pas médecins.

Penser différemment

Imaginez un instant le système suivant :

  • Dans un bassin de population désertifié au sens défini précédemment, on créé un réseau de professionnels de santé non médecins : pharmacien, infirmière, kinés, ambulanciers, dentistes…), voire des postiers pour des actes de prévention. Et on informe la population que sous l’autorité du 15, un numéro d’appel leur permettra, soit d’avoir à leur chevet un professionnel de santé non médecin qui se déplace, soit qui peut les recevoir dans le cabinet ou l’officine où ils exercent.
  • Ce professionnel de santé muni d’un logiciel d’interrogatoire qui n’est certes pas médecin, mais qui raisonne comme tel, devient en mesure de déterminer la gravité de la situation d’un patient, de poser des hypothèses diagnostiques, et de produire un compte rendu envoyé au centre 15 correspondant. Le médecin régulateur du 15, ou un médecin dédié au conseil à distance, complète très rapidement cet interrogatoire, pose des questions complémentaires au patient, exactement comme on le fait en régulation médicale depuis 40 ans . Il peut alors prendre sa décision : de simples conseils, une ordonnance qui sera envoyée au pharmacien du réseau, voire une hospitalisation avec envoi d’une ambulance du réseau. C’est de la télémédecine.

Evidemment il y a un hic, car pour que cela fonctionne, il faut impérativement :

  • une loi qui autorise un non médecin à interroger un patient,
  • une rémunération du professionnel de santé volontaire et du médecin qui réalise l’acte de télémédecine
  • Un accord au sein du territoire des professionnels de santé entre eux
  • Un accompagnement positif de l’Ordre des Médecins
  • Et une application en mesure de penser comme un médecin.

Reprenons ces 5 points :

  • La loi existe, elle a été votée en 2010 : Loi HPST (Hôpital Patient, Santé , Territoires) avec des décrets d’applications sur la télémédecine, effectifs depuis Octobre 2010. Parmi les dispositifs de la loi figure la « délégation des tâches », c’est à dire la possibilité donnée à un médecin de déléguer certaines de ses tâches à un non médecin. L’interrogatoire d’un patient en fait partie. Cette tâche est dévolue depuis de nombreuses années dans les services d’urgence hospitalier, aux Infirmiers d’Accueil et d’Orientation (IAO) qui sont en première ligne pour prendre en charge les patients.
  • La rémunération est possible puisqu’il s’agit de télémédecine finançable par les ARS (Agences Régionales de Santé). Une expérimentation dans un bassin dédié est donc tout à fait dans leur rôle.
  • L’union des professionnels de santé, elle a un nom, les URPS (Union Régionale des Professionnels de Santé).
  • L’Ordre des médecins, sous l’impulsion de son Présidente et de son Vice Président, a beaucoup oeuvré pour faire évoluer les mentalités des médecins, notamment face à la télémédecine qui est l’un des outils majeurs pour lutter contre la désertification médicale.
  • Reste le plus compliqué : une application qui pense comme un médecin. Cette application  existe, elle a été testée avec succès à SOS Médecins, aux Urgences de Lariboisière à Paris et aux Urgences de Casablanca au Maroc, elle commence à s’exporter au Québec et au Mexique. Elle a pour nom MEDVIR (pour Médecine Virtuelle), elle envisage plus de 700 diagnostics dont 350 en urgence, évalue la gravité de la situation, propose une décision et des médicaments de médication familiale si le problème peut attendre, et rédige un compte rendu écrit.

Même si on ne remplacera jamais la présence d’un médecin dans un territoire qui reste la solution idéale,  une telle organisation  serait en mesure de répondre dans les déserts médicaux à la plupart des problèmes de santé urgents de la population de ce bassin et à de nombreux problèmes de bobologie qui finissent actuellement aux urgences hospitalières.

Et voyons plus loin…

  • A terme, une fois ces réseaux créés, il sera facile de transmettre cette connaissance accumulée par les professionnels de santé médecins ou non médecins, à des personnes formées à un nouveau métier : les assistants sanitaires.
  • Inventer ce nouveau métier, créer des emplois, en mailler le territoire, devient alors possible, exactement comme on a créé après guerre le métier d’assistante sociale qui a accompagné efficacement la protection sociale. Faire la même chose avec la protection sanitaire, va donc bien en prolongement de la simple problématique ponctuelle des déserts médicaux.

Que manque t-il ?

Rien. Simplement ce qui depuis des décennies bloque notre pays, la France, l’un des plus créatifs au monde : la résistance au changement.

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11 Réponses à “Pour en finir avec les déserts médicaux”

  1. Anonyme dit :

    Effectivement il faudra changer tout un système et surtout suivre l’évolution que ce soit médicale ou technologique.

  2. Anonyme dit :

    Faut il modifier la formation pour avoir plus de médecins et moins d’années d’études ?

    • Oui, on pourrait gagner du temps dans les études de médecine, si on changeait notre mode de sélection. La plupart des notions acquises en première année ne servent pas à grand chose si ce n’est à sélectionner. Les acquisitions de la 3ème à la 5ème année pourraient être raccourcies si au lieu d’apprendre des maladies et des formes cliniques, on apprenait des syndromes fondés sur la physiopathologie. Sur les 10 ans d’études il y a au moins 2 ans à gagner. On aurait des médecins plus centrés sur la sémiologie et sur la relation médecin-patient, et moins sur les techniques. Par contre, on pourrait former de vrais scientifiques sont le rôle ne serait pas de voir des patients, mais d’appliquer des techniques. Bien des médecins qui sont de formidables techniciens, ne sont absolument pas portés à s’occuper de patients. Et bien des infirmières qui sont de formidables soignantes pourraient avec une formation plus poussée aidée par les nouvelles technologies, devenir ces nouveaux médecins dont nous avons besoin.
      Mais tout cela obligerait non seulement à repenser les études de médecine, mais également à repenser le rôle et les compétences du médecin. On en est très loin…

  3. Anonyme dit :

    Bonjour,
    Que pensez vous du rôle qui pourrait être donné aux professionnelle des métiers du bien-être?
    De plus en plus de personne ont recours aux médecine dites douces ou traditionnelles, ne pourrait on pas former, encadrer, légaliser ses professionnels qui sont déjà au cour du système ?
    Merci de votre réponse,
    Danielle

    • Bonjour,
      les mentalités des médecins ne sont pas encore prête, on voit la réticence voire l’opposition farouche de certains de nos confrères à la simple idée qu’une infirmière puisse interroger un patient, alors que ce sont les professionnelles de santé les plus proches du patient avec les pharmaciens et les kinés.
      Il est clair pourtant qu’avec une formation, un professionnel de santé est tout à fait en mesure de poser des questions sous le contrôle final d’un médecin distant.
      Et donc on pourrait tout à fait imaginer à terme, toujours sous le contrôle d’un médecin que MEDVIR soit utilisable par des professionnels du bien-être.
      Mais comme en toute chose, il est important de ne ps bruler les étapes. Les consciences doivent prendre leur temps pour évoluer…

  4. Anonyme dit :

    Je viens de lire votre article avec le plus grand intérêt.
    Je partage en tout cas votre conclusion concernant la résistance au changement. C’est pourquoi je pense que le changement ne se fera que si le système médical il est obligé.
    Je ne connaissais pas votre blog mais je pense que j’en serais dorénavant un fidèle lecteur.

    • Merci pour votre remarque. En effet, j’ai pu constater chez les pharmaciens par exemple, qui il y a 5 ans encore étaient très frileux face au nouvelles technologies et qui maintenant sont très demandeurs car ils constatent au fur et à mesure les menaces qui pèsent sur leur métier et ils voient qu’il faut évoluer rapidement.

  5. Anonyme dit :

    Merci pour cet article qui décrit bien la situation et vos solutions pertinentes et assez faciles a mettre en oeuvre… si toutes les parties prenantes y adhèrent . Ce qui ne semble pas le cas, pour diverses raisons.
    Une des solutions que vous n’évoquez que de façon très survolée et l’infirmière de pratique avancée qui pourrait dans ses territoires ou déserts médicaux faire du premier recours avec orientation pour les cas nécessitant une intervention médicale. L’avantage c’est qu’elle est formée à l anamnèse, à l’évidence based practice, Elle aura un champ de compétences élargi et des activités dérogatoire comme la prescription ou l’orientation. Comme déjà de nombreux pays à l’étranger elle est en train d’être réglementée en France. Ce n’est pas la solution mais une des solutions

    • Oui, je n’ai en effet évoqué que les principes généraux, mais il est clair dans mon esprit que les infirmiers et infirmières sont a priori les plus à même de jouer ce rôle. Les ambulanciers, dans l’optique des paramedics anglo-saxons sont également des professionnels de santé en mesure d’être des partenaires naturels, de même que les pharmaciens puisqu’ils exécutent les ordonnances des médecins et sont très souvent les premiers à prodiguer des conseils aux patients. Les kinés, ostéopathes et tous ceux qui ont un rapport au corps, sont eux aussi susceptibles de recueillir une anamnèse.
      En fait ce ne sont pas les acteurs potentiels qui manquent mais une véritable volonté politique et l’acceptation de chacun d’entrer dans ce processus. Ce n’est qu’avec un ensemble de solutions qu’on pourra faire reculer les déserts médicaux. Celle-ci en est une parmi d’autres.

  6. Merci de votre proposition j’en prends bonne note. Nous devons tous trouver des solutions pour ce problème de santé publique. Tous les soutiens sont précieux.

  7. Oui, c’est à l’ensemble de la société, mais aussi aux médecins et aux industriels des nouvelles technologies, et surtout à la volonté politique et assurantielle de créer un autre système qui nous permette de changer de paradigme.

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