L’intelligence artificielle MEDVIR aurait-elle pu sauver Naomi ?

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Lhistoire tragique de Naomi Musenga a secoué la France et le monde des Urgences. Les faits sont encore incertains. Mais on peut se demander si cela n’aurait pas pu être évité.

Des faits encore incertains

29 Décembre 2017, 11h du matin, Naomi Musenga, 22 ans, appelle les pompiers de Strasbourg pour une douleur abdominale très violente. Un certain flou entoure les faits. Il semblerait que les pompiers se soient déplacés, et que l’intervenant sur place (ou l’opératrice des pompiers au téléphone, on ne sait pas), ait conversé avec sa collègue du SAMU en mettant en doute la réalité de l’urgence. Informée par sa collègue, l’ARM (Aide à la Régulation Médicale) du SAMU prend alors Naomi en direct. L’enregistrement est glaçant : non seulement la plainte de Naomi n’est pas prise au sérieux, mais c’est surtout l’inhumanité de la prise en charge qui choque. Inhumanité dont les réseaux sociaux se sont emparés. On ne dispose actuellement que du passage de relai entre les deux opératrices, suivi de la conversation de 1mn 30 où l’ARM lui conseille d’appeler SOS Médecins ou son médecin traitant.

Plusieurs erreurs

On dispose de peu d’éléments au cours de cet enregistrement très bref. Mais ce qui apparait de façon certaine, c’est qu’aucune question médicale (antécédents, caractéristiques de la douleur, signes d’accompagnement) n’a été posée. On peut toutefois analyser les faits de la façon suivante :

  • Le contexte : 29 Décembre, c’est la période hivernale où sévit la grippe. C’est d’ailleurs la question que pose l’ARM du SAMU, à laquelle l’opératrice des pompiers ne sait pas répondre.  Cette période est en flux tendu, on est en pleine matinée, et les cabinets médicaux étant le plus souvent débordés, le recours à la permanence des soins (SOS Médecins, SAMU, Pompiers) est fréquent, même pour de la bobologie. On est donc dans un contexte de très forte activité dominée par les pathologies hivernales. Cela n’excuse pas l’attitude de l’ARM, puisqu’il semble que ce jour-là, il n’y avait pas une activité débordante au centre 15.
  • La subjectivité. Le patronyme de Naomi, et son très léger accent sont un élément très important dans cette prise en charge. Parce qu’on doit aller vite en raison de l’afflux des appels, la régulation utilise des raccourcis dont la « clusterisation » : au téléphone, tout compte puisqu’on ne dispose que de la voix de l’appelant. Un accent et un patronyme sont des moyens rapides pour mettre l’appelant dans des « cases » : maghrébin, africain, antillais, asiatique, etc. Le milieu de la Régulation sait très bien ce que veut dire le terme de « syndrome méditéranéen » par exemple : on enferme à cause de son nom et de son accent une personne dans son origine ethnique dont le trait est forcé (Exemple : les maghrébins sont angoissés, ils veulent un médecin tout de suite, ils exagèrent toujours, etc.). Il ne s’agit pas de racisme à proprement parler, mais de simplification par enfermement de l’appelant dans des clusters (des catégories), auquel on prête des caractéristiques prétendument générales. On peut penser que Naomi a été mise dans le « cluster africain ou antillais ». Est-ce ce schéma de pensée qui a obscurci le raisonnement de l’ARM, une réaction raciste comme certains le laissent entendre, un échange mal conduit par la première ARM ? C’est l’enquête qui le dira.
  • L’absence d’interrogatoire. A partir de là, l’ARM ne fait plus jouer son cerveau, mais sa subjectivité. Aucune question n’a été posée à Naomi : Depuis quand cette douleur ? Est-ce venu brutalement ? Est-elle pâle et en sueurs ? A t-elle soif ? A t-elle de la fièvre ? Etc. C’est la première erreur. Au plan strictement médical.
  • L’absence d’escalade. Tous les cas litigieux ou délicats, notamment quand les signes sont forts, ce qui était le cas (douleur abdominale intense avec malaise et fatigue exprimée et reconnaissable) sont quasi systématiquement passés au médecin régulateur. Quasiment, mais pas toujours. L’ARM n’ayant fait aucun interrogatoire, cette voie n’a pas été déclenchée, et c’est là que se situe la deuxième erreur qui a été fatale à Naomi.
  • L’inhumanité. La subjectivité liée à la clusterisation, et l’absence d’interrogatoire de Naomi sont à l’origine de cette tragédie. Mais ce qui a choqué la France entière, c’est la façon désinvolte et agressive avec laquelle Naomi a été traitée. Et sans doute est-ce cela l’erreur la plus grave qui a été commise.

L’enquête et peut-être l’autopsie dira ce qu’il en est.

Les signes recueillis et analysés par MEDVIR

J’ai repassé dans MEDVIR le peu d’éléments dont on dispose à ce jour : douleur abdominale très violente et inhabituelle, se situant dans tout le ventre (mal partout), avec malaise (impression de mourir) et fatigue intense (épuisement de la voix au téléphone). J’y ai rajouté l’origine africaine ou antillaise, qui en l’occurrence est un élément qui pris en compte de façon positive aurait pu aider à donner l’alerte. Ces simples éléments ont permis de mesurer l’urgence de la situation (appel au 15), ainsi que les divers diagnostics envisageables. Nous avons présenté ci-dessous la façon dont MEDVIR aurait recueilli les symptômes, avec le peu d’éléments à notre disposition. Il est clair que si toutes les questions que nous avons envisagées ci-dessus avaient été posées, on aurait à ce jour un éclairage très approfondi de ce dont se plignait Naomi.

La plainte initiale

Des douleurs abdominales et une impression de mourir qui déclenchent 2 autres symptômes : le malaise et la fatigue.

Les caractéristiques des symptômes exprimés

Naomi, jeune africaine (ou antillaise, on a choisi africaine) avait mal de façon continue, avec une douleur très forte et inhabituelle, située dans tout le ventre.

 

 

 

 

 

 

L’évaluation de la gravité

La gravité retenue est claire : l’appel au 15 était justifié.

Les diagnostics envisagés

La douleur abdominale nécessite une exploration, il peut s’agir aussi d’une crise vaso-occlusive drépanocytaire (puisque Naomi est africaine ou antillaise), d’une crise d’aérophagie (bénigne mais douloureuse), ou d’une péritonite (grave et urgente). C’est à cause de ce risque de péritonite est des caractéristiques de la douleur que la gravité maximale a été retenue.

Naomi aurait-elle pu être sauvée ?

Il est impossible de répondre à cette question, car en dehors du contexte des faits, et sans connaître la raison exacte de son décès, bien malin qui pourrait l’affirmer. De plus une intervention plus précoce du SAMU et de l’hôpital n’aurait peut-être rien changé à l’issue.

En revanche, ce qu’on peut dire, c’est plusieurs choses :

  • La subjectivité introduite par la clusterisation et l’absence d’écoute des symptômes de Naomi sont directement à l’origine de sa mort. Il s’agit donc d’une erreur humaine.
  • Un système intelligent à qui on aurait fourni ces informations aurait trouvé sinon le diagnostic, du moins la bonne décision. Un système expert n’a pas d’état d’âme, il n’est jamais fatigué, il raisonne froidement et sans a priori.
  • Un être humain assisté par une machine ne perd ni son libre arbitre, ni son pouvoir de décision, mais grâce à une intelligence artificielle, il améliore sa compétence et diminue son risque d’erreur.

Reste l’inhumanité de la prise en charge qui reste du domaine personnel des intervenants. Sans dédouaner ni excuser cette attitude, il est important de comprendre que de nombreuses personnes appellent le 15 à tort et à travers pour des problèmes non urgents, que l’encombrement engendre une nécessité de rapidité, donc d’erreurs, et que la régulation reste un exercice extrêmement difficile où le risque zéro n’existe pas. Comme dans tout ce qui concerne la médecine d’ailleurs !

En quoi l’intelligence artificielle peut-elle améliorer la prise en charge des urgences ?

  • D’abord en mettant à disposition du citoyen un système expert de « régulation citoyenne » qui permette au public d’évaluer si leur problème nécessite véritablement l’appel au 15 ou la venue aux urgences de l’hôpital. Désencombrer les urgences et le 15, c’est diminuer la pression subie par les professionnels de santé et donc améliorer leurs performances par une moindre nécessité de rapidité.
  • Ensuite en dotant le 15 d’un outil permettant une aide à la régulation. L’obsession d’aller vite est due à l’encombrement, mais également à une culture de la rapidité qui risque d’aboutir tôt ou tard à des catastrophes.
  • Enfin en dotant les urgences hospitalières du même type d’outil afin de faire du triage dans la salle d’attente, en amont de la prise en charge par le personnel infirmier et médical. Le temps patient est un temps précieux qu’il faut utiliser à bon escient.

Ce système existe, il s’appelle MEDVIR, il est français, et de plus en plus d’urgentistes, notamment à l’étranger, commencent à l’utiliser.

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