Les bénéfices secondaires des médecins

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Comment appelle t-on un type plein aux as, dont les études ont été payées par la société, et qui escroque ses concitoyens ? Un homme politique ? Non : c’est votre médecin !

Le hasard est espiègle. J’avais laissé cet article en jachère, car il faisait partie du plan général de mon blog, sans faire attention que sa publication automatique viendrait à mon insu.  Ce post écrit en 2011 que je recopie ci-dessous, suggérait le plan suivant :

Problématique proposée : l’aspect financier est-il le seul bénéfice recherché par le médecin?

  • L’aspect financier
  • Les bénéfices secondaires
  • La satisfaction intellectuelle
  • La satisfaction morale
  • La satisfaction émotionnelle
  • L’humanisme médical

Je n’imaginais pas que ces questions posées en 2011 pouvaient, sous le feu des grèves actuelles des médecins, se révéler sous un jour inattendu. C’est le commentaire d’un lecteur qui m’a amené à revoir ces questions sous un jour différent. Je l’en remercie.

Remettons donc ces questions dans le contexte actuel du coup de force mené par MST (Marisol Touraine) contre la médecine libérale.

L’aspect financier

Je commence par là, car c’est un point qui me met mal à l’aise quand je vois tant de détresses dans le paysage français (la 6ème puissance du monde) : les SDF, le quart-monde au bas de nos immeubles, tous ces oubliés qu’il m’arrive de croiser au cours de mes visites… Et lorsqu’on allume la télé, ce sont des cargos entiers de réfugiés, ces guerres atroces qui laissent des enfants mutilés, et la misère de ceux qui vivent dans des pays qui sont loin d’être la 6ème puissance du monde. Alors quand je vois çà, je me dis que je ferais mieux de mettre à cette ligne un point final, et d’aller soigner l’humanité souffrante sans rechigner. Comme chacun des habitants les plus démunis de notre beau pays, dont le niveau de vie équivaut à 15 fois celui de Madagascar.

  • J’ai commencé à exercer en 1980, aux Urgences Médicales de Paris puis à SOS Médecins. Vingt ans de nuit, à vivre à l’envers des autres, mais à vivre intensément, heureux de pouvoir exercer mon métier en me disant que je servais à quelque chose. Et puis au bout de 20 ans, insomnies majeures, mon corps ne suivait plus.  Scotché à la nuit, comme un papillon autour d’un lampadaire, je n’ai pu me résoudre à exercer de jour. J’ai alors volontairement arrêté la médecine de 2000 à 2009 pour développer un projet d’informatique médicale. A cette époque, avant de devoir m’arrêter, ma profession de médecin me permettait de payer mes charges, de travailler dans un ratio de 45 heures de nuit par semaine, de prendre 1 mois de vacances en été, et une semaine en hiver.  J’étais propriétaire de mon appartement et je pouvais faire vivre ma femme (qui travaillait et mes 3 enfants alors étudiants). Quatorze ans après, ayant dû revenir à la médecine après une parenthèse informatique dont je me suis sorti sans trop de dégâts, je me suis retrouvé dans un monde sinistré que j’avais décrit sans croire que je le connaitrais un jour (*). Je suis encore propriétaire de mon appartement (heureusement pour moi !) ma femme continue à travailler, mais depuis 2 ans je n’ai alors plus les moyens de partir en vacances . J’équilibre tout juste mes charges alors que mes enfants sont adultes et ont leurs propres revenus. Quand j’ai payé toutes les charges liées à ma profession, les impôts et taxes diverses, et les charges liées à mon appartement, il ne me reste pratiquement plus rien.  Je précise que ma voiture est une C3, que je n’ai pas de goûts de luxe, que je ne joue pas au golf, et que je n’ai pas d’appétence pour les voyages. Quant aux agios que je paye, je suis prêt à les échanger avec qui veut. Évidemment cela va faire sourire : je suis « un nanti, comme tous ces médecins qui vivent sur le dos de la Sécu », et donc à la limite, on pourrait fort me soupçonner d’avoir un compte aux Iles Caïmans, ou tout simplement d’être un menteur.
  • Mon cas est loin d’être une exception. Beaucoup de médecins généralistes ont du mal à s’en sortir, avec en prime, des journées de 60 heures, voire plus, des mises en demeures de l’URSSAF et de la CARMF car ils ont du mal à payer leurs charges sociales. Avec au bout pour certains le burn-out.
  • Quand l’URSSAF réclame son dû, c’est tout de suite qu’il faut payer ; bon nombre d’entre nous font de la cavalerie car ils n’ont pas les moyens de disposer de 2 mois de trésorerie. Certains patients ne trouvent pas normal de devoir attendre le remboursement pour un service qui leur a été rendu et qu’ils ont payé, mais ce sont les mêmes qui  estiment tout à fait normal que le médecin soit payé à retardement pour ce même service qu’il leur a rendu. Face aux URSSAF, le médecin se trouve dans la même situation qu’un salarié à qui on réclamerait des impôts alors qu’il attend de toucher un salaire qui ne lui a pas été versé. Chacun voit midi à sa porte, mais la crise frappe tout le monde. Les médecins aussi.
  • Bien sûr d’autres médecins s’en sortent mieux : certains spécialistes en secteur 2 peuvent partir avec femme et enfants 15 jours à Courchevel pour Noël, 8 jours à Pâques à Marrakech, et le mois de juillet à Arcachon. Mais c’est un peu comme si on s’imaginait l’ensemble des français en regardant Bernard Tapie en maillot de bains ou Le Flock Prigent dans sa cellule.

La grande manipulation de MST (Marisol Touraine) est d’opposer les français entre eux. Diviser pour régner, la formule n’est pas neuve mais malheureusement elle marche. Ne nous laissons pas berner !

Les bénéfices secondaires

On peut les envisager de différentes façons :

  • Par exemple, moi je peux emprunter la voie des bus pour aller sur une visite sans que la police y trouve à redire, je peux me garer sur le trottoir de travers pour aller voir un patient. Mais d’autres, ils ne payent leur billet d’avion que 10% du prix parce qu’ils travaillent comme médecin à Roissy. Et puis d’autres médecins, salariés, quand ils ont une grippe, ce qui peut leur arriver, ils se mettent en arrêt maladie pris en charge dès le 3ème jour, moi je peux pas, si j’ai une angine je travaille, sinon je ne gagne pas un clou.
  • Mais d’autres ont aussi des bénéfices secondaires : les cheminots prennent leur retraite à 55 ans (je crois) alors que moi je vais devoir continuer jusqu’à 67 ans, et en plus ils ont des réductions sur leurs billets. La pénibilité est prise en compte pour certains métiers comme les maçons (et c’est absolument normal ), mais moi qui ai travaillé 20 ans de nuit, va t-on me donner un bénéfice à avoir vécu pendant 20 ans à l’envers des autres ?
  • Nous avons tous des bénéfices secondaires, et nous ne voyons que ceux des autres en oubliant ceux que la société nous octroie.

La grande manipulation de MST (Marisol Touraine) est d’opposer les français entre eux. Diviser pour régner, la formule n’est pas neuve mais malheureusement elle marche. Ne nous laissons pas berner !

La satisfaction intellectuelle

  • Ca va je me sens mieux sur ce sujet, enfin un peu d’air frais ! Mais évidemment ! la satisfaction de faire un métier passionnant est en soi un bénéfice extraordinaire dont bénéficient les médecins ! Dénicher le diagnostic, trouver la bonne solution pour un patient, obtenir la guérison, vivre avec le patient une aventure humaine où le médecin va accéder à des zones intimes, non dites, indicibles, c’est une véritable satisfaction intellectuelle.
  • Il ne faut pas nier non plus que nos études et notre formation nous ont amené à traquer la cause du mal comme des limiers. Trouver le bon diagnostic,  cela nous valorise pour toutes les fois où nous nous sommes trompé ! Mais cela nous conforte aussi dans l’idée que la médecine est un Art dont l’un des outils est la Science. Ce rapport au réel, à la logique, à la déduction, est le formidable héritage de Claude Bernard, et avant lui du Siècle des Lumières. La raison sans cesse nous guide, et la satisfaction intellectuelle d’avoir compris ce qui se passait réellement dans le corps et l’esprit du patient est une satisfaction intellectuelle que l’on ne peut nous retirer.
  • Tous les médecins sont habités par cette même recherche de la satisfaction intellectuelle que leur procure leur métier. Mais tous ne la vivent pas de la même façon, selon les raisons pour lesquelles ils sont devenu médecin.

La grande manipulation de MST (Marisol Touraine) est d’opposer les médecins entre eux. Diviser pour régner, la formule n’est pas neuve mais malheureusement elle marche. Ne nous laissons pas berner !

La satisfaction morale

  • C’est ce que j’aime le plus dans mon métier : entrer en empathie avec le patient,  trouver les mots qui me feront accéder à son esprit, à ce qu’il n’a jamais dit à personne. Comme s’il s’agissait d’une terre inconnue. Et puis, avec cette personne qu’on ne connait pas et qu’on ne reverra jamais, nouer une relation émotionnelle fondée sur la compréhension et la connaissance. Cette satisfaction, elle n’a pas de prix, elle n’entre pas dans des statistiques économiques, mais c’est cela qui me fait aimer mon métier de médecin d’urgence.
  • Et nous en sommes tous là, nous les médecins, piégés par cette sensation éphémère et délectable de servir ou d’avoir cette illusion de servir à quelque chose.
  • Et le patient en face, c’est notre partenaire, celui sans lequel nous ne serions que des objets vides, des processus aveugles, des machines sans âme. C’est ce qu’on appelle la relation médecin patient, ce que Canguilhem a dénommé le « colloque singulier » ! Et le patient qui referme la porte derrière nous et à qui nous avons pu apporter un peu d’âme et de soutien, il le sait.

La grande manipulation de MST (Marisol Touraine) est d’opposer patients et médecins entre eux. Diviser pour régner, la formule n’est pas neuve mais malheureusement elle marche. Ne nous laissons pas berner !

La satisfaction émotionnelle

  • Elle n’est pas donnée à tous. On peut tout à fait vivre la médecine avec un total professionnalisme, une rigueur totale, avec, au bout, la satisfaction du patient sans que cette composante émotionnelle intervienne d’une quelconque manière.
  • En ce qui me concerne, j’ai besoin de ces émotions, car elles sont un vecteur d’empathie sans laquelle je ne crois pas qu’on puisse véritablement soulager. Il ne s’agit pas de perdre mon objectivité en me laissant berner par une quelconque sensiblerie ou émotivité. Mais il s’agit de manifester à la personne que l’on soigne que l’on est, soi, médecin, un être humain strictement du même métal, et que c’est grâce à cette proximité que l’on est encore plus à même en tant que professionnel de santé de trouver les mots, de faire les choix et d’apporter les solutions qui nous semblent les meilleures.
  • D’autres médecins ont une vision différente qui n’est pas critiquable et qui consiste en une sorte de neutralité bienveillante, gage d’objectivité et de professionnalisme. Chacun vit sa vie et fait son chemin selon sa volonté et sa sensibilité.
  • Évidemment, par rapport à un cabinet ou au domicile du patient,  l’hôpital est un lieu froid et technique moins adéquat pour solliciter la parole du patient ; mais l’hôpital aussi est un lieu où l’on vient de plus en plus souvent pour y finir sa vie, ou pour y soulager des douleurs extrêmes. Ce sont les soignants hospitaliers, et bien souvent surtout les infirmières, qui recueillent ces confidences et ces souffrances ultimes et qui doivent s’en décharger comme autant d’émotions pesantes.

La grande manipulation de MST (Marisol Touraine) est d’opposer soignants hospitaliers et soignants libéraux. Diviser pour régner, la formule n’est pas neuve mais malheureusement elle marche. Ne nous laissons pas berner !

L’humanisme médical

C’est ce qui nous rapproche tous ! Quel que soit notre mode d’exercice ou notre lieu d’exercice, c’est cela finalement qui compte.

  • Alors, une consultation à 25 € plutôt qu’à 23 € ? Ou plus de moyens pour les urgentistes hospitaliers ? Ce sont des questions importantes, car elle garantissent notre survie personnelle et la qualité des soins que nous apportons. Et ne serait-ce que pour cela, le dédain de Marisol Touraine à l’égard de tous les médecins, qu’ils soient hospitaliers ou médecins salariés qu’elle manipule ou encore des libéraux qu’elle méprise, cette attitude est inacceptable. Elle est indigne d’un Ministre de la Santé.
  • Mais ce qui est inacceptable avant tout débat, c’est que ces questions qui touchent l’ensemble de la population soient fondées sur des mensonges, ce à quoi les politiques nous ont malheureusement habitué, mais surtout avec si peu d’humanité et si peu de clairvoyance.

La grande manipulation de MST (Marisol Touraine) est d’opposer tous les français sur la question de la santé.

Diviser pour régner, la formule n’est pas neuve mais malheureusement elle marche.

Ne nous laissons pas berner !

(*) La mort du sorcier Loïc Etienne Ed. Albin Michel 1992

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