le Guide des médicaments, un livre inutile et dangereux ?

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Le Guide des médicaments publié par les Prs Even et Debré dénonce les médicaments inutiles et dangereux. On peut se demander si finalement ce n’est pas ce guide qui mériterait de tels qualificatifs ?

C’est un livre choc qui fustige l’industrie pharmaceutique, dénonce son absence d’inventivité, enfonce le clou sur des médicaments jugés inutiles, voire dangereux, et malgré tout remboursés par la Sécurité Sociale. Cette démarche semble au départ frappée du coin du bon sens. Il y a 15 ans déjà, le livre du Pr Giroud « Guide de tous les médicaments avec ou sans ordonnance (1) », mettait des notes aux médicaments, assortis de commentaires parfois savoureux. Ce nouveau  « Guide des médicaments » enfonce des portes ouvertes depuis longtemps.

Pourtant au delà de la volonté louable de faire le ménage et de venir en aide à l’économie de la santé, se pose un problème sérieux qui est celui des effets collatéraux d’une telle entreprise de destruction. Ses auteurs se sont-ils posé la question ?

Les bonnes intentions

  • Les nouvelles molécules se font rares par manque de recherche de la part des laboratoires pharmaceutiques. Depuis 1990, peu d’avancées médicales, en raison d’un budget annuel de recherche limité (5%), contre 15% pour le développement, 10% pour la fabrication entièrement sous-traitée en Inde ou au Brésil, et surtout 45% pour le marketting et le lobbying. Rappeler ces chiffres est utile.
  • Dénoncer le parcours chaotique du médicament émaillé d’expertises sujettes à caution, de pratiques douteuses au plan de la validation scientifique, et d’études biaisées remet un peu les pendules à l’heure et devrait inciter les Pouvoirs Publics à un peu de vigilance quant à l’indépendance des experts.
  • Mettre le doigt sur la manipulation des statistiques qui font, au lendemain d’un congrès médical, d’une personne en bonne santé un patient à soigner, tient du strict bon sens. Et devrait faire réfléchir la communauté médicale à la légitimité du diktat de la norme. Et par delà,  l’Assurance Maladie lorsqu’elle met en place le [paiement à la performance (P4P)] pour faire entrer patients et praticiens dans le droit chemin des statistiques et des économies de santé.
  • Souhaiter plus de transparence et une meilleure pharmacovigilance tombe sous le sens et mérite qu’on le souligne.

Mais au delà…

  • Les médicaments -et c’est le sujet du livre- sont incriminés. De même que la légèreté du médecin qui prescrit et du patient qui s’y soumet (parfois en termes caricaturaux). Le propos met surtout l’accent sur la dangerosité supposée et l’inutilité des molécules censées nous soigner. Outre que certains médecins et non des moindres réagissent à certaines assertions, c’est un peu court. En effet, il n’y a pas que les médicaments qui soignent, il y a aussi les interventions chirurgicales, les médecins qui diagnostiquent et prescrivent, les hôpitaux  qui accueillent les patients, les paramédicaux et les soignants qui interviennent dans le parcours de soins, les techniques diverses et variées censées nous soulager, les thérapies physiques ou psychiques destinées à nous guérir. Alors pourquoi se limiter aux médicaments jugés inutiles ou dangereux et ne pas s’attaquer aussi à tous les intervenants de la chaîne de soin ? Tel médecin n’est-il pas finalement un danger public, telle technique inutile, tel hôpital un mouroir ? On le voit bien, une telle démarche, logique, aboutirait à mettre en pièce et à jeter le discrédit sur toute la médecine. L’exercice n’est pas inutile, encore doit-il être fait avec bienveillance (on peut se demander si ce « Guide des médicaments » est fait avec cet esprit), et surtout dans l’intérêt du patient. En effet, une fois qu’on aura jeté aux orties des médicaments jugés avoir un SMR (service Médical Rendu) insuffisant, voire inutile, par quoi va t-on les remplacer ?
  • Cela pose la question de ce qu’est un médicament. Patrick Lemoine (2) et (3) a largement étudié la question dans divers ouvrages, et a bien montré que limiter le médicament au seul pouvoir de sa molécule, revenait à le priver d’une bonne partie de sa dimension thérapeutique. Un médicament agit pharmacologiquement, mais il agit également par la valeur symbolique de ce qu’il est censé soigner et par la confiance que le patient accorde à son prescripteur (une partie de ce qu’on appelle l’effet placebo).
  • Diminuer l’effet placebo, ou aller à son encontre en décrédibilisant une molécule, prive de soulagement les patients atteints de maladies contre lesquelles on ne dispose d’aucun traitement spécifique. Estimerait-on déontologique l’attitude d’un médecin qui en l’absence de tout traitement réellement efficace, achèverait de retirer tout espoir à son patient en lui prouvant - »guide des médicaments » à l’appui- qu’il n’a rien à espérer.
  • Cela  revient
    • à scier la branche sur laquelle, concernant un très grand nombre de pathologies,  sont assis le patient qui souffre et le médecin qui soigne.
    • à dénier au patient la possibilité qu’il a de trouver en lui-même, et grâce au truchement d’un médicament, ce qu’Edouard Zarifian (4) appelait « la force de guérir ».
    • en corrolaire, à considérer que seule la science sur ses seules certitudes possède la solution. Et d’envoyer au panier d’autres thérapeutiques alternatives qui par un mécanisme non encore connu guérissent des patients.
    • à croire si aveuglément à la science que tout ce qu’elle ne maîtrise pas n’existe pas.

Ce genre d’ouvrage, s’il met le doigt sur certains dysfonctionnements indéniables de notre système de soin, participe d’une décrédibilisation du nombre limité d’armes thérapeutiques dont nous disposons, d’une sape de la relation médecin-patient et surtout de la désespérance de certains patients qui n’ont que ces médicaments-là pour vivre au quotidien des pathologies parfois douloureuses et invalidantes.

Une fois que des entreprises myopes de démolition comme le « Guide des Médicaments » auront finit de discréditer tous les éléments de la chaine et de faire perdre toute confiance aux patients, que restera t-il à ces derniers ? Autour de quel espoir, patients et médecins pourront-ils se retrouver ? Ce guide ne fait pas que porter atteinte au crédit de médicaments sur lesquels comptent les patients, il sape tout simplement la relation médecin-patient , avec tout ce qu’elle a d’incertain, d’humble, d’errant parfois, mais si profondément ancrée dans notre humanité.

Sans souhaiter au Pr Even et au Pr Debré de se retrouver un jour confrontés à une pathologie ouvrant vers le vide thérapeutique qu’ils auront créé, il semble toutefois raisonnable de leur demander d’écrire d’urgence un second ouvrage fondé sur les données de la science et  intitulé : « médicaments inutiles : par quoi les remplacer ? »

Bibliographie

  • (1) Guide Giroud Hagège de tous les médicaments avec ou sans ordonnance. Pr Giroud, Dr Hagège, Ed du Rocher. 1997
  • (2) Patrick Lemoine, Le mystère du placebo, Éditions Odile Jacob, Paris, 1996
  • (3) Bernard Lachaux et Patrick Lemoine, Placebo, un médicament qui cherche la vérité (Medsi/McGraw Hill)
  • (4) Edouard Zarifian, La force de guérir Ed. Odile Jacob,Paris 1999

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