11 Janvier 2015. Et après ?

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Le 11 Janvier, pendant une journée, la première depuis la Libération, le peuple français a été profondément uni autour de Charlie. Au delà de ses différences.  Et après ?

Après ?

  • Après, ce sera demain quand les média reprendront l’évènement, quand les politiques, les intellectuels, les artistes, et nous tous commenterons l’évènement. Comment nous relever d’un tel upercut qui nous a fait passer de cet état d’opposition généralisée entre les riches et les pauvres, le peuple et les politiques, les musulmans et les juifs, les citoyens et leur police -et tous ceux qui se sentaient à tort ou à raison si éloignés- à un tel instant de grâce ? Nous en avons tous eu les larmes aux yeux durant ces quelques jours ; en vivant ces heures nous avons tous au fond de nous-même fait notre autocritique, nous avons tous regardé cet autre si différent comme un frère passager, un ami qui passe… Un souffle de fraternité est passé sur la France.
  • Après, ce sera après-demain, on le sait. L’émotion va retomber, et nos pauvres esprits sans mémoire retomberont dans leurs litanies, leurs excès, leur incapacité à regarder l’autre autrement que ce à quoi ils ont été programmés par leur religion, leur classe sociale, leur éducation, leur parti politique. C’est ce premier instant qu’il va nous falloir dépasser en n’oubliant pas que ce 11 Janvier 2015, nous avons tous, sous les yeux du monde et derrière les principaux dirigeants du monde,  défilé main dans la main.
  • Après, ce sera hier. J’entends par là  le retour à hier, aux vieilles haines, aux vieux principes, à nos marottes qui nous permettent de ne pas nous poser trop de questions dérangeantes. C’est ce que faisait Charlie : nous déranger. Avec plus ou moins d’intelligence et d’humour, avec plus ou moins de bienveillance, avec plus ou moins de panache. Mais avec cette constance qui a fini par les faire disparaître sous les balles. Ce monde-là, il est trop la perpétuation du monde « d’avant-hier »,  celui des heures sombres de l’humanité.

Il nous faut protéger cette flamme fragile qui est née ce 11 Janvier 2015.

Comment ?

Nous disposons, historiquement et culturellement de tout ce qu’il faut pour réfléchir et guider nos comportements.

  • Il y a, déjà, né il y a 250 ans les idées de Liberté, Egalité, et Fraternité. Mais ces concepts sont délicats à manier et nous amènent à des constats  : la liberté des uns s’arrête là où commence celle des autres ; on sait bien à observer les peuples du monde entier que certains sont plus « égaux que d’autres » ; quant à la Fraternité, elle repose sur des concepts fondateurs que l’on ne partage pas forcément tous. Ces notions sont trop relatives et trop peu impliquantes au plan individuel comme au plan collectif pour servir de repère fiable.
  • Il existe aussi, ce qu’on appelle les vertus théologales : la Foi, l’Espérance, et la Charité. Mais elles font appel à des notions issues de la pensée chrétienne et qui ne peuvent être partagées par tous. Ce n’est donc pas avec cela que l’on peut tous réfléchir sur ce monde qui vient.
  • Les vertus cardinales, elles, remontent à Platon et au premier peuple dans l’histoire des hommes qui ait inventé l’idée de démocratie. C’est bien cette idée-là qui a été visé au travers des victimes des terroristes. Toutes ces vertus ont l’avantage d’être applicables autant aux autres qu’à soi-même, et de l’être de façon pérenne dans un monde aussi explosif qu’est le nôtre. Ce sont la Prudence, la Justice, la Force (le courage) et la Tempérance.
  • Ces idées ont servi d’outils pour fonder les peuples d’Europe, mais bien au delà. C’est donc à l’ensemble de l’humanité à se réunir pour réfléchir à une nouvelle façon de nous comporter entre nous.

La Prudence

  • Chacun l’applique pour soi, pour sa famille, pour ses proches. On n’allume pas un briquet dans une station essence. C’est la simple prudence, et c’est surtout le bon sens. Dans ce monde qui pue l’explosif, la première des prudences est de mesurer la portée de ses propos avant de les formuler. La liberté d’expression s’arrête là où l’autre peut la considérer comme une agression. Est-il utile au nom de la libre expression de blesser ceux qui ne peuvent entendre l’humour de ces propos ? La question est posée, je n’ai pas la réponse.  Chacun d’entre nous a au fond de lui des choses qui lui sont sacrées, à tort ou à raison. Mais elles sont. Nous avons tous une faiblesse où il suffit d’appuyer avec un peu d’humour là où ça fait mal pour nous blesser à mort. Seuls des ascètes, des philosophes, ou des mystiques sont capables d’échapper aux blessures de ce type. La tolérance dont chacun se réclame passe par la reconnaissance de l’autre, et par la prise en compte de ses fêlures. « N’y touchez pas, il est brisé. (*) » . C’est la moindre des prudences si l’on se dit tolérant. Mais cela se fait au prix d’une petite perte de liberté individuelle (modérer ses propos) pour le bien collectif.
  • Mais la prudence, c’est aussi de doter les policiers d’un arsenal juridique adapté aux actes terroristes, et qui passent par l’acceptation d’une certaine perte de liberté concernant internet (surveillance, tracking…)
  • C’est aussi redéfinir les mots. Les Résistants étaient considérés comme des terroristes par les nazis. Certains mots nous manquent, car les crimes contre l’humanité ne s’appliquent encore qu’aux génocides. Il manque un mot entre les deux auquel la tuerie de Charlie Hebdo et de Hypercasher pourrait être appliqué : humanicide ?

La Justice

  • Nous la réclamons tous pour nos proches et pour nous-mêmes. Mais là encore, ce que nous estimons juste pour nous ne l’est pas forcément pour les autres. Chacun d’entre nous est pourtant capable d’exprimer ce qui lui semble juste et ce qui ne l’est pas. Or l’injustice est une blessure des plus profondes.
  • La justice est un droit pour soi, mais aussi pour les autres et pour les peuples. On ne peut réclamer la justice pour soi si on n’accorde pas ce droit aux autres.
  • La conséquence est d’avoir un regard critique sur sa propre parole en terme de « justesse », mais surtout de « justice ».
  • La justice c’est aussi la loi qui permet de protéger les peuples et l’individu. Notre arsenal judiciaire est adapté à un monde de droit. Il ne l’est pas face à des actions hors-la-loi. Il faut aux peuples des outils juridiques pour qu’ils se protègent.

La Tempérance

  • Chacun tente tout au long de sa vie de l’appliquer pour lui-même. C’est la maîtrise de soi, si difficile quand il s’agit de respecter la justice et la prudence pour les autres et pour soi-même. On pourrait appeler cela la modération.
  • Il se trouve que la tempérance est par essence, aux antipodes de l’humour, lequel ne peut se nourrir que d’impertinence et d’intempérance. Et notre monde manque dramatiquement d’humour.
  • La question -qui est au coeur de la fameuse question du Bac « Peut-on rire de tout ?- se pose alors de façon aiguë.
  • Mais la tempérance est surtout affaire d’intelligence. Certains paroles imprudentes, peuvent, par manque de tempérance se révéler parfaitement imbéciles. Et de plus totalement injustes.
  • Où situer la tempérance dans un monde aussi explosif que le nôtre ?

La Force

  • La force, c’est à dire la force intérieure, le courage.
  • Etre prudent et tempérant alors que rien ne vous y oblige demande à la fois l’intelligence pour comprendre la situation et le courage intérieur pour résister à la tentation de n’être ni prudent, ni tempérant.
  • Mais il faut encore plus de courage pour s’opposer face à l’injustice, surtout quand les évènements sont contraires. C’est aussi le courage de dire les choses quand il le faut et de savoir se taire lorsque la prudence ou la justice l’imposent.
  • La force de rester digne, comme la Une de Charlie semble le dire dans la bouche de Mahomet :  » Tout est pardonné ». Phrase riche d’avenir.

Le monde après Charlie

Il y a plus de facilité à détruire un monde qu’à le construire. Tout homme, quel qu’il soit, mettra des années à se construire. La parole qu’il émet ou la parole qu’il reçoit peuvent le détruire en un instant. Nous devons prendre conscience que notre parole est une arme. Tout autant que notre silence.

Notre monde est un monde de paroles, amplifiées par internet et les réseaux sociaux. Ce sont des porte-voix extraordinairement puissants qui peuvent aussi bien détruire que construire.  Notre monde a besoin de ces porte-voix faits de force, de justice, de prudence et de tempérance.

Nous sommes tous, de par la moindre de nos paroles, nous sommes tous des Charlie !

(*) Le vase brisé

Toujours intact aux yeux du monde,
Il sent croître et pleurer tout bas

Sa blessure fine et profonde ;
Il est brisé, n’y touchez pas.

Sully Prudhomme

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